Israël coupe les vivres et l’eau à des millions de Palestiniens qu’il traite de « bêtes humaines »

Ce lundi, Israël a annoncé un siège complet et une guerre totale contre Gaza. C’est le troisième jour consécutif qu’il bombarde sans relâche l’enclave côtière.

 

9 octobre 2023. Des enfants blessés en traitement à l’hôpital al-Shifa de Gaza

9 octobre 2023. Des enfants blessés en traitement à l’hôpital al-Shifa de Gaza.  (Photo : Atia Darwish / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 10 octobre 2023

 

Dans la soirée de lundi, troisième jour des actuels affrontements entre l’armée israélienne et la résistance palestinienne dirigée par le Hamas, on faisait état de près de 700 tués palestiniens lors des frappes de représailles israéliennes par air, mer et terre contre la bande de Gaza.

Le nombre de tués en Israël s’élevait à 900, ce lundi, alors que la guérilla palestinienne continuait d’opérer en territoire israélien, non loin de la frontière de Gaza. L’armée israélienne a conseillé au public de faire le plein de vivres et d’eau, alors qu’elle mobilisait en vue d’une offensive terrestre contre Gaza, où les Palestiniens détenaient des douzaines d’Israéliens capturés samedi.

Lundi, dans l’intervalle, Israël envoyait des chars et des troupes à la frontière avec le Liban, où ses forces ont tué un certain nombre de combattants du Hezbollah. En guise de riposte, celui-ci a tiré une salve de roquettes, menaçant ainsi d’intensifier l’escalade. Plus tard, les médias israéliens ont rapporté qu’un soldat israélien avait également été tué lors des échanges de tirs.

Lundi, la Cisjordanie s’est retrouvée sous blocus, puisque Israël empêchait tout mouvement palestinien entre les villes et avait fermé le pont Allenby donnant accès à la Cisjordanie, de même que le checkpoint de Qalandiya entre Ramallah et Jérusalem.

« Cela effraie les gens, ici »,  a déclaré Imran Khan, un correspondant d’Al Jazeera au cours d’une émission en direct. Les gens se sont mis à stocker de la nourriture, du fait qu’« il règne un véritable sentiments de peur qui ne s’atténue en aucun cas », a-t-il ajouté.

Cinq Palestiniens au moins ont été abattus et tués par les soldats israéliens en Cisjordanie, ce lundi : Muhammad Hammad, 20 ans, au camp de réfugiés d’al-Aroub ; Muntasir Zaaqiq, 31 ans, à Beit Umar ; Ahmad Abu Turki, 28 ans, à Hébron ; Adam al-Julani, 16 ans, au checkpoint de Qalandiya entre Ramallah et Jérusalem ; et Rajeh Taha, à Hébron. L’agence officielle d’information en Palestine, WAFA, a déclaré que, dans le territoire, 18 Palestiniens, dont trois enfants, avaient été tués depuis samedi.

Dans l’intervalle, les médias israéliens ont rapporté que l’armée israélienne allait équiper les colons dans le territoire d’environ mille fusils, probablement livrés dans le cadre de l’aide militaire américaine à Israël. Cela va armer et encourager plus encore les colons qui, ces derniers mois, ont déjà mené nombre de pogroms meurtriers au sein des communautés palestiniennes.

 

Les dirigeants israéliens annoncent des crimes de guerre dans un langage génocidaire

Alors que lundi à Gaza, les Palestiniens dégageaient des décombres les victimes des frappes israéliennes, le ministre israélien de la défense, Yoav Galant, annonçait :

« Nous allons imposer un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant – tout sera bloqué. »

« Ce sont des bêtes humaines, que nous combattons et nous agirons en conséquence »,

a-t-il dit de la population de Gaza, de plus de deux millions de Palestiniens, dont une moitié d’enfants, et dont la plupart sont des réfugiés des régions situées de l’autre côté de la frontière de Gaza que les guérilleros ont rompue samedi dernier.

Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, a utilisé un langage tout aussi déshumanisant dans sa déclaration de guerre officielle de ce lundi, décrivant

« un ennemi abominable, des bêtes humaines qui se glorifient d’assassiner des femmes, des enfants et des personnes âgées ».

Netanyahou a remercié « les nombreux dirigeants mondiaux », pour leur « soutien sans précédent à Israël » – suggérant par-là que les puissants alliés d’Israël ont donné au Premier ministre carte blanche pour faire ce que bon lui semblerait à Gaza, qu’importe le coût pour la population civile.

En effet, aussi bien le département d’Etat américain que le Bureau du gouvernement américain traitant des Affaires palestiniennes ont supprimé des déclarations publiées dans les médias sociaux et qui encourageaient les efforts turcs vers un cessez-le-feu et exhortaient à la retenue.

Ces déclarations ont été remplacées par des condamnations sans équivoque des attaques palestiniennes et par un soutien au « droit d’Israël de se défendre ».

 

Les dirigeants des EU, du Royaume-Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie ont laissé de côté leur prétention habituelle à se soucier de la protection des civils et ont sorti ce lundi une déclaration commune soutenant sans équivoque « le droit d’Israël de se défendre » et rejetant sur le Hamas le blâme pour les crimes de guerre israéliens à venir.

« Nous tous reconnaissons les aspirations légitimes du peuple palestinien et soutenons une égalité dans les mesures de justice et de liberté tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens »,

ont déclaré les dirigeants.

« Mais qu’on ne s’y trompe pas : Le Hamas ne représente pas ces aspirations et il n’a rien d’autre à proposer au peuple palestinien que plus de terreur et de bains de sang encore. »

 

9 octobre 2023. Des Palestiniens transportent une personne blessée ou tuée vers l’Hôpital indonésien de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza.

9 octobre 2023. Des Palestiniens transportent une personne blessée ou tuée vers l’Hôpital indonésien de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. (Photo : Bashar Taleb / APA images)

 

Human Rights Watch, dont le siège se trouve à New York, a déclaré que la déclaration du ministre israélien de la défense équivalait à « un appel à commettre un crime de guerre » et a demandé instamment à la Cour pénale internationale de « prendre note », encore que le procureur principal de cette même cour ait apparemment annulé la priorité de son enquête sur la Palestine.

Al-Haq, une organisation palestinienne de défense des droits humains, a déclaré que la déclaration de Galant « était porteuse d’un langage génocidaire ».

L’appel à couper les besoins élémentaires destinés à la survie humaine au beau milieu d’attaques systématiques et à grande échelle contre des civils « peut atteindre le seul d’’extermination’ », a ajouté Al-Haq.

L’organisation de défense des droits a expliqué que l’appel de Netanyahou à réduire Gaza en « ruine » « rappelle la politique de la ‘terre brûlée’ poursuivie à Nuremberg ».

La « politique de la terre brûlée » est

« une tactique militaire consistant à détruire tout ce qui permet à l’ennemi de faire la guerre, y compris les récoltes, le bétail, les bâtiments et infrastructures »,

peut-on lire dans l’Encyclopédie britannique.

Les dirigeants et officiers du régime nazi ont été poursuivis à Nuremberg pour des crimes graves, y compris leurs campagnes de terre brûlée. Ces procès ont fourni

« la base des législations modernes concernant les crimes de guerre et crimes contre l’humanité et ont servi de modèle aux récentes poursuites internationales de tels crimes »,

explique la Faculté de Droit de Harvard.

 

Israël entend frapper le Hamas, même si cela doit nuire aux otages

Une source importante du gouvernement israélien a expliqué à des journalistes ce lundi qu’Israël allait frapper toutes les cibles du Hamas à Gaza, même si, ce faisant, cela pouvait nuire aux otages israéliens détenus sur le territoire.

Israël a également laissé tomber sa pratique occasionnelle consistant à prévenir les résidents palestiniens qu’il était sur le point de détruire un bâtiment lors d’une prochaine frappe.

Les Brigades Qassam, l’aile armée du Hamas, ont menacé d’exécuter les prisonniers israéliens en réponse aux frappes aériennes qui ont tué des douzaines de familles palestiniennes dans leurs foyers.

Abu Obeida, le porte-parole des Brigades Qassam, a dit que l’un de ses captifs serait exécuté chaque fois qu’Israël bombarderait la maison d’une famille gazaouie sans avertissement préalable.

Marwan Bishara, un analyste politique d’Al Jazeera, a dit que la menace d’exécuter des prisonniers montrait que

« le Hamas subit une pression de plus en plus grande en vue de réagir aux bombardements en cours et au massacre de la population civile de Gaza ».

Bishara a fait remarquer qu’il y avait une relation directe entre l’oppression et la force utilisée contre les Palestiniens d’une part et la sévérité des tactiques de la résistance.

La menace d’exécuter les captifs – qui, apparemment, n’avait pas encore été mise à exécution lundi soir, même si Israël continuait sans relâche à bombarder et à tuer des civils à Gaza – a été vivement condamnée par les organisations de défense des droits humains.

 

Des comptes rendus médiatiques ont fait savoir que des pourparlers en vue d’un échange de prisonniers étaient en cours, et l’agence d’information Reuters a déclaré que le Qatar négociait la libération des femmes et des enfants détenus par les guérilleros palestiniens à Gaza, et ce, en échange de 36 femmes palestiniennes emprisonnées en Israël.

Dans une interview accordée à Al Jazeera, Moussa Abu Marzouk, un important responsable du Hamas, a expliqué que l’organisation était ouverte à une trêve avec Israël, du fait qu’elle avait « réalisé ses objectifs ».

Les médias israéliens ont fait savoir lundi soir qu’il y avait eu un sursis de deux heures dans les tirs de roquettes (après trois jours de salves permanentes), indiquant que le Hamas était ouvert à un cessez-le-feu.

En attendant, a-t-on rapporté, Israël avait rejeté un échange de prisonniers et il est apparu que ses dirigeants avaient l’intention de se venger de la violation par surprise, par la voie maritime, aérienne et terrestre, de la frontière puissamment militarisée de Gaza samedi dès l’aube.

Samedi, Netanyahou s’est concentré sur la vengeance, en déclarant :

« Nous les détruirons et nous vengerons par la force cette journée sombre qu’ils ont imposée à l’État d’Israël et à ses citoyens ».

Selon le quotidien de Tel-Aviv, Haaretz, Bezalel Smotrich, le ministre des finances israélien, d’extrême droite, a déclaré lors d’une réunion de cabinet que

« nous devons être cruels maintenant et ne pas trop prendre les captifs en considération ».

« Ce ne sont pas les propos d’un dirigeant engagé à ramener les captifs »,

a déclaré Haaretz dans un éditorial lundi :

« La vengeance ne les ramènera pas. Seules des négociations le feront. »

Mais Netanyahou a dit à Biden, ce lundi :

« Il nous faut y aller [à Gaza]. Nous ne pouvons négocier maintenant ».

Et d’ajouter :

« Nous devons restaurer la dissuasion. »

Biden, dit-on, n’a pas tenté de dissuader Netanyahou, malgré le tribut élevé en termes de vies humaines qu’une invasion terrestre requerrait certainement.

9 octobre 2023. Des soldats israéliens se mettent à couvert lors qu’une frappe de roquette de Gaza sur Sderot.

9 octobre 2023. Des soldats israéliens se mettent à couvert lors qu’une frappe de roquette de Gaza sur Sderot. (Photo : Atef Safadi / EFE)

 

Et, effectivement, un tribut élevé en vies humaines semble être un point de départ, pour Netanyahou, qui a déclaré :

« Israël n’avait pas d’autre choix que de répondre par la force, car un pays ne peut faire montre de faiblesse, dans le Moyen-Orient »,

rapportait Axios.

En attendant, lundi, Netanyahou s’est adressé à des hommes politiques locaux, dans le sud d’Israël, et leur a dit :

« Je sais que vous avez vécu des situations très dures et terribles. Ce que le Hamas va vivre sera très dur et terrible. »

Et d’ajouter :

« Je vous demande d’être forts, parce que nous allons changer le Moyen-Orient. »

Orly Noy, un journaliste israélien, président de l’organisation de défense des droits humains B’Tselem, a expliqué dans la publication américaine Democracy Now! que, dans le sillage d’un étonnant échec des renseignements se traduisant par des centaines de morts israéliens,

« le gouvernement israélien fait la seule chose qu’Israël sache faire, qui consiste à se venger – avec plus de force, et plus de mort encore ».

« Il y a un très fort sentiment de demande de vengeance au sein du public israélien »,

a ajouté Noy.

 

Le chagrin était palpable, lundi, à Gaza, et l’air était rempli de débris et de relents chimiques nocifs provenant des frappes incessantes d’Israël.

 

Des quelque 700 Palestiniens qu’on dit avoir été tués à Gaza jusqu’à ce lundi soir, 140 étaient des enfants et plus de 100 étaient des femmes – ce qui suggère qu’un nombre important de morts étaient des civils.

Au moins 50 personnes ont été tuées lundi au cours d’une seule attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de Gaza, et où vivent 120 000 Palestiniens.

 

Quatorze personnes de la famille Madhoun ont perdu la vie lors d’une frappe israélienne à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, rapportait WAFA lundi.

Les organisations de défense des droits humains ont continué de faire état des familles palestiniennes qui avaient été littéralement oblitérées dans leurs foyers par les frappes israéliennes au cours de la journée :

 

Une prise de vue aérienne de l’armée israélienne montre qu’elle a complètement anéanti tout un quartier de Gaza :

 

Les Brigades Qassam ont déclaré lundi que quatre Israéliens qu’elles détenaient à Gaza avaient été tués lors de frappes israéliennes en même temps que les Palestiniens qui les gardaient.

 

Des journalistes tués, blessés et portés manquants

Depuis samedi, Israël a tué, blessé et arrêté plusieurs journalistes palestiniens à Gaza, où il y a très peu de présence de médias internationaux de langue anglaise en dehors des correspondants palestiniens qui vivent sur le territoire.

 

Le Comité de protection des journalistes, dont le siège est à New York, a expliqué lundi qu’il était

« troublé par des rapports selon lesquels six journalistes au moins se trouvaient parmi les civils qui avaient été tués, blessés ou portés manquants au cours de l’actuel conflit entre Israël et Gaza ».

Trois journalistes palestiniens ont été abattus et tués en plein travail samedi : le photographe d’Ain Media, Ibrahim Mohammad Lafi, tué au checkpoint d’Erez dans le nord de Gaza ; Mohammad Jarghoun, un journaliste de Smart Media tué à l’est de Rafah, dans le sud de Gaza ; et le journaliste freelance Muhammad al-Salhi, abattu dans le centre de Gaza.

Deux photographes palestiniens – Nidal al-Wahidi et Haitham Abdelwahid – sont portés manquants depuis samedi. Il paraît que la famille d’Al-Wahidi a déclaré qu’il était vivant et qu’il avait été arrêté par les forces israéliennes alors qu’il couvrait la prise du checkpoint d’Erez samedi par les guérilleros.

 

Une équipe de télévision travaillant pour Sky News Arabia a déclaré que la police israélienne avait agressé ses membres et qu’elle avait endommagé leurs équipements d’Ashkelon, une ville du sud d’Israël qui avait été touchée par des roquettes tirées depuis Gaza.

« Firas Lutfi, le correspondant de la chaîne, a dit que la police israélienne avait pointé ses armes vers sa tête, qu’elle l’avait forcé à se déshabiller, qu’elle avait confisqué les téléphones de l’équipe avant de lui faire quitter les lieux sous escorte policière »,

a déclaré la Comité de protection des journalistes.

Peu avant la publication du présent article, Al Jazeera a fait savoir que plusieurs journalistes avaient été tués et blessés au cours d’un raid aérien israélien qui visait une tour résidentielle située dans l’ouest de la ville de Gaza.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 10 octobre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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