Les fermiers de Beita luttent pour récolter leurs olives à proximité d’un avant-poste de colons

Bien que les colons aient été évacués en été, l’avant-poste est toujours à Beita et les soldats israéliens ont maintenu une présence constante dans la zone.

 

Des fermiers palestiniens récoltent leurs olives à Beita, dans le nord de la Cisjordanie occupée. (Photo : Akram al-Waara)

Des fermiers palestiniens récoltent leurs olives à Beita, dans le nord de la Cisjordanie occupée. (Photo : Akram al-Waara)

Yumna Platel, 12 novembre 2021

Dans la périphérie de la ville de Beita, au sud de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, un jeune homme vêtu d’un sweat à capuche gris se tient courbé derrière des arbres et se déplace discrètement au milieu des oliveraies qui couvrent le terrain vallonné.

Aux yeux d’un passant, Ammar Hamayel, 30 ans, aurait l’air louche, comme s’il faisait quelque chose qu’il ne serait pas censé faire.            

En réalité, Ammar Hamayel essaie tout simplement d’accéder aux oliveraies de sa famille, sur Jabal Sabih (le Mont Sabih), dans la périphérie de la ville où il réside, Beita.

« C’est dingue que je doive me faufiler et agir comme un criminel tout bêtement pour aller sur la terre de ma famille et cueillir nos olives »,

dit-il à Mondoweiss.

« Le voleur, ce n’est pas moi, c’est eux »,

dit-il avec indignation, pointant du doigt un petit rassemblement de caravanes blanches au sommet de la montagne, ainsi qu’un groupe de soldats israéliens en armes qui patrouillent dans le secteur. 

« Nous avons tous les papiers qui prouvent que cette terre nous appartient, et cela remonte à plus de cent ans »,

explique Ammar Hamayel.

« Mais, du fait qu’ils disent ‘nous sommes le peuple élu’, ils peuvent s’amener comme ça et me voler ma terre, et me dire que je n’ai plus le droit d’y retourner. Qu’est-ce qu’il y a d’honnête là-dedans ? »,

demande-t-il. 

Ammar Hamayel est l’un des centaines de Palestiniens de Beita qui ont été mis dans l’impossibilité d’accéder à leur terre sur Jabal Sabih depuis qu’un groupe de colons israéliens a installé un avant-poste illégal au sommet de la montagne, en mai dernier. 

Bien que les colons aient été évacués en été, l’avant-poste est toujours là et les soldats israéliens ont maintenu une présence constante dans la zone. Et, ainsi donc, les protestations se sont poursuivies : Depuis mai, les soldats israéliens ont tué huit Palestiniens et en ont blessé des milliers d’autres dans les parages même de la montagne.

Et, quand le début de la cueillette des olives a été proche, lors des premiers jours d’octobre, les résidents de Beita ont donc été confrontés à la perspective peu engageante de ne pouvoir être en mesure de récolter leurs olives sur Jabal Sabih, tout couvert d’oliviers à perte de vue.

« Durant les jours précédant la récolte, nous ne pouvions cesser de nous inquiéter et de penser : Allons-nous pouvoir récolter nos olives ou pas ? »,

a déclaré à Mondoweiss Amal Bani Shamsa, une résidente de Beita qui possède elle aussi de la terre sur Jabal Sabih.  

« Les forces israéliennes ne cessent pas d’exercer leur violence contre nous depuis des mois »,

dit-elle.

« Ainsi, naturellement, nous avons peur de ne pas pouvoir avoir accès à nos oliveraies. »

Le premier jour de la cueillette, Amal Bani Shamsa, en compagnie de sa famille, d’autres fermiers et d’un groupe de volontaires palestiniens qui aident les fermiers durant la saison de la cueillette des olives, s’est rendue à Jabal Sabih. 

« À chaque pas que nous faisions, nous nous attendions à être bloqués par les soldats israéliens »,

raconte-t-elle.

« Je retenais mon souffle en permanence. »

Amal Bani Shamsa dit qu’elle avait reçu un choc en même temps qu’elle s’était sentie soulagée que le groupe était parvenu à atteindre pile la limite de l’avant-poste des colons, où se trouvaient des dizaines de soldats israéliens. 

« Ce premier jour, nous avons pu cueillir nos olives sans le moindre problème »,

dit-elle, en ajoutant que l’atmosphère était toujours « tendue » en raison de la présence des soldats.

 

Fermiers contre soldats

La satisfaction de pouvoir récolter les olives allait rapidement retomber, toutefois. Quand les mêmes familles ont tenté de retourner sur leurs terres dans les jours qui ont suivi, elles ont rencontré beaucoup d’opposition et de brutalité de la part des forces israéliennes.

« Tout d’un coup, ils ont commencé à nous dire que nous ne pouvions nous trouver là et que nous avions besoin d’une autorisation des autorités israéliennes pour cueillir nos olives »,

déclare Amal Bani Shamsa à Mondoweiss

« Ces quelques dernières semaines, les soldats ont été présents chaque jour, ils nous ont lancé des gaz lacrymogènes et nous ont empêchés d’accéder à nos oliveraies »,

dit-elle.

Selon Amal Bani Shamsa, il y a environ 60 dounams (6 hectares) de Jabal Sabih sous contrôle complet des soldats israéliens, et personne n’a le droit d’y accéder.

« Mais il y a des dizaines d’autres dounams tout autour de cette zone auxquels nous ne pouvons avoir accès du fait qu’ils nous tirent dessus, qu’ils nous envoient des gaz, etc. »,

ajoute-t-elle.

Ammar Hamayel et sa famille ont été confrontés aux mêmes manœuvres de refoulement de la part des forces israéliennes, qui ont insisté en disant qu’il leur fallait la permission de l’Administration civile israélienne afin d’accéder à leur terre, qui occupe environ trois dounams et demi (0,35 hectare) sur Jabal Sabih.  

Quand Ammar Hamayel a tenté d’accéder à sa terre sans permis, il a dû faire face aux gaz lacrymogènes et à des bombes incapacitantes.

« Il y a une semaine, ma famille et moi-même sommes allés cueillir nos olives et, au moment où nous sommes arrivés à la base de la montagne, ils se sont mis à nous tirer dessus. Il y avait des femmes et des enfants avec nous, de sorte que nous avons dû rebrousser chemin »,

raconte-t-il.

« Pourquoi devrais-je avoir une autorisation pour aller cueillir mes olives ? 

« La situation est très mauvaise. Elle en est à un point où, si vous voulez aller cueillir vos olives, vous devez placer votre âme dans les mains d’une autre personne. Nous risquons notre vie, tout cela pour ce simple fruit. »

 

Les attaques des colons se multiplient

À l’instar de celles des années précédentes, la récolte des olives en Cisjordanie, en 2021, a été rendue compliquée par la violence des colons et par d’innombrables exemples où les autorités israéliennes ont empêché les Palestiniens d’accéder à leur terre en vue de la récolte.

Depuis le début de la cueillette des olives en octobre, les organisations de défense des droits humains ont répertorié des dizaines d’exemples d’attaques contre les fermiers palestiniens, tant de la part des forces israéliennes que des colons.

Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), durant la période du 5 octobre au 1er novembre, les colons israéliens ont endommagé ou volé la récolte de quelque 2 200 oliviers en Cisjordanie, estime-t-on.

En outre, des colons israéliens ont commis des dizaines d’agressions physiques contre des Palestiniens et leur propriété au cours de la période de la récolte. L’OCHA rapporte que quatre Palestiniens au moins ont été blessés à coups de pierres quand des colons les ont attaqués dans leur village de Burin, dans le district de Naplouse. 

Dans un village proche, Yasuf, une femme a été agressée au spray au poivre par des colons qui ont également lancé des pierres sur d’autres Palestiniens alors que ceux-ci cueillaient leurs olives.

Lors d’un autre incident, rapport encore l’OCHA, des colons israéliens ont agressé au spray au poivre trois membres du Comité international de la Croix-Rouge qui rendaient visite à des fermiers palestiniens de Burin.

À Hébron, un garçon palestinien a été aspergé de spray au poivre et une fillette de sept ans est tombée et s’est blessée alors qu’elle était traquée par des colons.

À quelques kilomètres à peine de Beita se trouve la ville palestinienne de Burin, site depuis un an au moins d’attaques incessantes de colons, et ces attaques ont repris de plus belle dès le début de la saison de récolte des olives.

En bordure de la ville, à quelques centaines de mètres à peine de la colonie de Har Bracha (un nid de colons d’extrême droite,  extrêmement violents), un groupe de fermiers palestiniens cueillaient leurs olives, entourés de jeunes hommes et femmes vêtus de t-shirts portant le mot « Faz3a » (prononcez « Faza’a ») sur le dos.

Constituée de volontaires et d’activistes, Faz3a (« assistance », en arabe) aide les fermiers palestiniens dans les « endroits chauds » de Cisjordanie lors de la saison de cueillette des olives. En raison du très grand nombre d’agressions dont elle est témoin dans le district de Naplouse, l’organisation a passé la majeure partie de la saison dans le nord de la Cisjordanie.

« L’autre jour, ici, entre 30 et 40 colons ont attaqué une famille qui cueillait ses olives »,

explique à Mondoweiss Khaled, un volontaire de Faz3a.

« Les colons s’emparent également de la récolte, incendient les arbres, les déracinent ou encore les abattent. Tout cela, bien sûr, sous la protection des soldats israéliens, qui sont présents dans ces zones 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. » 

« Les colons cherchent à instiller la peur chez les fermiers et à les terroriser de sorte qu’ils ne viendront plus sur leurs terres et, finalement, les colons pourront les leurs reprendre »,

explique encore Khaled.

« Mais nous sommes ici pour tenter de les en empêcher.

« Nous aidons non seulement les fermiers à cueillir leurs olives, mais nous cherchons aussi à les protéger par notre présence »,

dit-il.

« Ainsi, si les colons devaient descendre et agresser une famille, au lieu de tomber sur cette seule famille, ils trouveraient également des dizaines de volontaires et, peut-être cela aura-t-il un effet dissuasif. »

Alors que Faz3a n’existe que depuis deux ans, de nombreux volontaires de l’organisation, dont Khaled, assistent depuis des décennies à des attaques de colons contre les cultivateurs d’olives palestiniens et c’est un phénomène qui, de plus, ne cesse d’empirer. 

« Je voudrais pouvoir dire que cette année n’est pas aussi mauvaise que les précédentes, mais c’est pire, en fait »,

ajoute-t-il.

« Chaque année, cela empire, et nous voyons que les colons deviennent de plus en plus agressifs. »

Khaled fait remarquer que les volontaires de Faz3a ont eux-mêmes subi des agressions et des forces israéliennes et des colons, durant cette saison de récolte des olives. Il estime que les volontaires de Faz3a ont été attaqués à huit reprises au moins.

« Ces attaques ont toujours lieu, et leur nombre augmente. Tant que les colons et les militaires ne devront pas rendre des comptes pour leurs actions, ces attaques se poursuivront »,

dit-il.    

Des activistes de Faz3a cueillent des olives au village de Burin, à l’extérieur de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée. (Photo : Akram al-Waara)

Des activistes de Faz3a cueillent des olives au village de Burin, à l’extérieur de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée. (Photo : Akram al-Waara)

 

Sale coup pour la récolte

En raison de l’accroissement des restrictions d’accès à leurs oliveraies, en sus des attaques des militaires et des colons israéliens, bien des fermiers palestiniens ont encaissé un coup dur, cette année.

« La récolte de cette année n’a même pas atteint la moitié de ce que nous récoltons habituellement »,

déclare Ammar Hamayel à Mondoweiss, ajoutant que même les jours où il peut accéder à ses vergers, les seuls coûts de transport sont élevés.

« Auparavant, nous nous rendions directement à nos oliveraies à partir du village ; aujourd’hui, nous devons prendre des taxis, faire le tour de plusieurs villages différents et passer par des check-points puis emprunter des chemins détournés pour éviter d’être repérés par les soldats »,

dit-il.

Amal Bani Shamsa dit que sa famille et bon nombre de ses voisins à Beita ont également subi un coup très dur, cette saison, en raison des restrictions. 

« Ici, à Beita, presque chaque famille du village à des oliviers et tout le monde dépend de la récolte, culturellement et économiquement. Pour certains d’entre nous, l’huile d’olive est ce que nous vendons et c’est sur cela que nous comptons pour soutenir nos familles le reste de l’année. Désormais, nous ne disposons plus que d’une fraction de ce que nous récoltons habituellement. »

Aussi bien Amal Bani Shamsa qu’Ammar Hamayel expriment leurs inquiétudes quant au fait que la majeure partie de leurs terres doivent rester sans soins – et cela porte préjudice à l’état de santé général des oliviers.

« Si nous ne pouvons prendre soin de nos arbres maintenant et procéder à la récolte normalement, il est possible que la récolte de l’an prochain soit affectée négativement, et l’année d’après encore plus »,

explique Amal Bani Shamsa.

« Tout simplement, ça va devenir un cercle vicieux. »  

Selon Ammar Hamayel, davantage même que les pertes financières que sa famille a subies cette saison, c’est la perte des traditions et coutumes qui l’a affecté le plus.  

« Depuis que je suis tout petit, je viens sur ces terres pour aider ma famille à récolter les olives et à prendre soin des arbres et ma maman faisait déjà pareil quand elle était petite, et mon grand-père avant elle »,

ajoute-t-il.

« Ces arbres signifient tout, pour nous. Ils font partie de notre religion, de notre culture, de notre héritage »,

dit-il.

« Ils me rappellent mes grands-parents, les membres de la famille qui se réunissaient et qui cueillaient les olives tous ensemble, et qui mangeaient ensuite tous ensemble sous les arbres. »

Ammar Hamayel, tout en colère à cause de l’injustice de la situation à Beita, dit qu’il ne renoncera pas à ses oliveraies, pas plus que les gens du village n’ont renoncé aux terres de Jabal Sabih. 

« Quoi qu’il arrive, nous ne quitterons pas cette terre »,

dit-il.

« Nous avons grandi ici, nous avons appris ici ce que cela veut dire, être palestinien et ce que la terre signifie pour nous. Je ne partirai pas d’ici tant que mon âme n’aura pas quitté mon corps.

« Cette terre est notre droit, nous ne l’avons prise à personne, personne ne nous l’a donnée en cadeau. Elle nous appartient depuis des générations, et les choses en resteront là, quoi qu’il advienne. »

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Akram al-Waara (vidéo-journaliste freelance) a contribué à cet article depuis la Cisjordanie.

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Publié le 12 novembre 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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