Mohammad Sabaaneh nous fait découvrir pourquoi l’oiseau en cage chante en Palestine
Dans le tout nouveau livre de Mohammad Sabaaneh, l’auteur utilise le personnage d’un oiseau pour raconter l’histoire palestinienne. L’oiseau communique avec un artiste emprisonné, qui n’est autre que Sabaaneh en personne. « Tu apportes le crayon et j’apporterai les histoires », dit l’oiseau à l’écrivain.
Terry Weber, 22 décembre 2021
« Cet oiseau a collecté des histoires de Palestiniens pour montrer qu’ils sont emprisonnés, certains dans des endroits restreints, appelés prisons ; d’autres dans des endroits plus vastes appelés villes et villages, entourés de check-points militaires, de murs et de colonies »,
écrit Sabaaneh.
L’image rappelle le poème « Sympathy », écrit en 1899 par Paul Laurence Dunbar, un poète afro-américain. En voici quelques vers restés célèbres :
« I know what the caged bird feels!
I know why the caged bird beats his wing
Till its blood is red on the cruel bars;
For he must fly back to his perch and cling
When he fain would be on the bough a-swing;
And a pain still throbs in the old, old scars
And they pulse again with a keener sting— I know why he beats his wing! »« Je sais ce que ressent l’oiseau en cage !
Je sais pourquoi l’oiseau en cage agite ses ailes
Jusqu’au moment où son sang rougit les barreaux cruels ;
Car il voudrait retourner à son perchoir et s’y accrocher
S’il désire être sur le barreau de la balançoire ;
Et la douleur palpite encore dans les très vieilles cicatrices
Et elles palpitent à nouveau d’une piqûre plus vive – Je sais pourquoi il agite ses ailes ! »
Dunbar était l’un des poètes favoris de Maya Angelou, qui se servit du premier vers de la dernière strophe pour intituler son autobiographie, datant de 1969 : « Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante ». Sabaaneh et Angelou ont bien plus de choses en commun que leur recours à l’image d’un oiseau en cage. J’ai rencontré Sabaaneh en 2007 dans le camp de réfugiés de Jénine, alors qu’il faisait partie du conseil d’administration du Théâtre de la Liberté de Jénine. Nous venions de lancer le Théâtre des Amis de la Liberté à New York. Maya Angelou, qui était également une amie, était très enthousiaste, à propos du Théâtre de la Liberté. En, fait, elle fit partie du bureau des conseillers des Amis jusqu’à son décès, en 2014. Elle voyait des similitudes entre le combat de libération des noirs et la lutte des Palestiniens pour leur liberté.
Depuis des années, Sabaaneh est un caricaturiste politique au talent souvent récompensé – et c’est également un ancien prisonnier politique. Il avait été arrêté par l’armée israélienne en 2013 et placé en rétention administrative pendant cinq mois pour des liens supposés avec une organisation terroriste.
Ce nouveau livre nous raconte bien des choses sur ce qui se passe dans la tête des prisonniers quand on les traîne vers les interrogatoires et qu’on les ramène dans leurs cellules – et c’est manifestement une allégorie de l’expérience palestinienne. Comme d’habitude, le travail artistique de Sabaaneh est incroyablement évocateur. Bien que dans le passé il recourût généralement au trait noir, sa technique est différente, cette fois :
« Je n’ai pas dessiné les pages de ce livre ; j’ai recouru à la linogravure. J’étais incapable de graver mon nom sur les murs de ma cellule, en prison. Je me suis longtemps demandé comment les prisonniers étaient capables de graver leur nom dans ces murs durs et rugueux. C’est pour cette raison que j’ai décidé de graver leurs histoires et de les partager avec le monde. »
Sabaaneh a pratiqué de nombreuses coupes en ligne droite, même dans certains visages de prisonniers. Mais, grâce à un ombrage délicat, à une accentuation des lèvres, des yeux et des expressions faciales, le lecteur est amené à imaginer ce que ressent le prisonnier. Voici certains commentaires-phylactères que j’ai particulièrement aimés :
« Thamer a passé des mois à convaincre sa fille que son père n’était pas une photo » – en parlant d’un prisonnier qui a retrouvé sa fille après de nombreuses années de séparation.
« Mon fils, je t’ai tenu au chaud la nuit pour toute ta vie. Comment pourrais-je te tenir au chaud à la morgue ? » – en parlant d’une mère et de son fils dont la dépouille est retenue par Israël du fait qu’il est mort en résistant à l’occupation.
« Monsieur, quand je serai un martyr, vous peindrez mon portrait ? » – c’est la question qu’un garçon a posée à Sabaaneh lorsqu’il avait peint le portrait de son frère aîné tué par les forces israéliennes. Le garçon n’allait pas tarder à mourir de la même façon, ce qui avait amené Sabaaneh à cesser de rendre ce service artistique aux familles en deuil.
Il y a même une page montrant un garde poussant un prisonnier aux yeux bandés vers le bas d’un escalier dont on dirait que c’est M.C. Escher qui l’a dessiné. La noirceur des existences des prisonniers et de la vie sous occupation transparaît dans ces gravures et amène le lecteur à y réfléchir intensément.
Comme me l’a enseigné l’amitié que j’entretiens avec Mohammad, c’est un homme positif. Partant, ses dernières illustrations sont des images d’un bébé qui grandit dans la matrice de sa mère au moment où celle-ci participe à des activités de résistance, dans le même temps que le père est en prison. Dans la dernière image, un soleil éclatant entoure la tête du nouveau-né. Tout au long de son travail artistique, Sabaaneh témoigne son respect pour les femmes dans leur rôle prépondérant dans la lutte des Palestiniens pour leur libération.
°°°°°
Terry Weber est un professeur de mathématiques retraité de New York. Il a longtemps été actif auprès des Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine.
°°°°°
Publié le 22 décembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine