Ahmad Mansour, le Palestinien qui se charge du sale boulot d’Israël en Allemagne

Ahmad Mansour entretient des liens étroits avec les groupes de réflexion pro-israéliens de l’extrême droite. Il ne fait pas de doute que son rôle en tant qu’enquêteur « indépendant » a conféré un vernis de crédibilité à la chasse aux sorcières contre les journalistes arabes en Allemagne – du moins aux yeux de l’establishment allemand.

 

Ahmad Mansour (à droite), un Palestinien qui propage des opinions pro-israéliennes et antimusulmanes en Allemagne, reçoit une récompense de la part de la Société alémano-israélienne de Hanovre, le 9 septembre 2019. L’homme a joué un rôle clé dans la purge des journalistes arabes au sein du service international allemand de diffusion, Deutsche Welle. (Photo : Sina Schuldt / Picture-Alliance / DPA)

Ali Abunimah, 9 février 2022

Lundi [7 février 2022], le service international allemand de diffusion Deutsche Welle a licencié cinq journalistes arabes suite à une campagne de diffamation organisée par des médias israéliens et à une enquête prétendument indépendante, dont le coresponsable décrit les Arabes comme des « sauvages » meurtriers.

L’enquête, lancée en décembre, a été provoquée par des allégations concernant des remarques « antisémites et anti-israéliennes » de la part de certains employés du réseau.

Dans un rapport publié ce lundi, les enquêteurs ont déclaré qu’ils n’avaient découvert aucun antisémitisme « structurel » au sein de Deutsche Welle.

Cela ne les a pas empêchés de conclure que les cinq journalistes méritaient d’être licenciés

« pour des déclarations équivalant à de l’antisémitisme, au rejet de l’Holocauste ou à sa relativisation, ainsi que pour des déclarations qui refusaient à Israël le droit à l’existence ».

Dans la foulée de ce rapport, Deutsche Welle a accepté la démission du responsable de sa division arabe.

Lundi, l’une des journalistes licenciées, Farah Maraqa, une Palestino-Jordanienne, a tweeté :

« Je viens tout juste de me voir notifier, sans autre explication, que je recevrai de la part de Deutsche Welle un avis de fin de contrat avec effet immédiat. »

« Je n’ai pas encore été informée des raisons de la chose (…) pas plus que je n’ai reçu le rapport sur lequel reposeront ces allégations » a-t-elle ajouté.

 

Maraqa travaillait à la division arabe de DW à Berlin en qualité de productrice de sa principale émission d’information en soirée. Elle apparaissait également sur les ondes pour parler du Moyen-Orient et des questions géopolitiques.

L’enquête a été menée par Ahmad Mansour, un psychologue dont les opinions antimusulmanes, anti-arabes et pro-israéliennes ont fait un chouchou des médias et institutions financées par l’État allemand, et par Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, une ancienne ministre allemande de la Justice appartenant au Parti libéral-démocrate (FDP – de droite).

Alors qu’elle assumait toujours ses fonctions voici neuf ans, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger était restée étonnamment silencieuse quand, lors d’une visite à Jérusalem, on l’avait interrogée sur les violations par Israël des droits humains à l’encontre des Palestiniens et des demandeurs d’asile originaires des États africains.

Comme nous l’expliquons plus loin, Mansour entretient des liens étroits avec les groupes de réflexion pro-israéliens de l’extrême droite.

Leur rapport de 56 pages se sert de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, un document très controversé promu par Israël et ses groupes de pression.

La « définition » confond critique envers Israël et sectarisme antijuif et elle est devenue un outil principal afin de calomnier et de censurer les partisans des droits palestiniens.

Une illustration de la partialité antipalestinienne du rapport réside dans la façon dont il dit de l’hashtag des médias sociaux #rettetSheikhJarrah – Sauvez Sheikh Jarrah – qu’il s’agit d’un exemple de « propagande palestinienne subjective ».

Mais même le gouvernement allemand, résolument pro-israélien, a demandé à Israël « de mettre un terme pour de bon aux procédures d’éviction et de démolition des structures palestiniennes » dans ce quartier de Jérusalem-Est occupée.

On peut présumer, selon les normes défendues par Mansour, Leutheusser-Schnarrenberger et Deutsche Welle, que cela fait du gouvernement allemand même un pourvoyeur de « propagande palestinienne ».

Le rapport prétend qu’en principe, la critique est permise à l’égard d’Israël, mais il dresse tellement d’obstacles que la moindre déclaration critique ou presque peut être interprétée comme « antisémite ».

« Si Israël seul est pointé du doigt par l’ONU pour des violations des droits humains, alors que le comportement de violateurs connus comme la Chine, l’Iran ou la Syrie tend à être ignoré, ce sont deux poids et deux mesures qui sont appliqués et, dans ce cas, il s’agit d’antisémitisme »,

affirme le rapport, par exemple.

Mais cette affirmation, en réalité, résout un problème qui n’existe pas.

Israël n’a jamais été « pointé du doigt » pour quoi que ce soit, hormis pour son impunité totale. Des dizaines d’autres pays, par contre – dont l’Iran et la Syrie – sont confrontés depuis des décennies à d’onéreuses sanctions de l’ONU, des EU ou de l’UE pour divers crimes supposés.

Israël n’a jamais été sanctionné par l’ONU, les EU ou l’UE pour ses violations des droits palestiniens et des lois internationales.

Loin d’être « indépendant », le rapport régurgite les points de discussion du gouvernement israélien longtemps utilisés comme prétextes pour intimider toute personne mettant en question les actions d’un régime considéré par les principales organisations des droits humains comme un perpétrateur de l’apartheid, ce qui constitue l’un des plus graves crimes contre l’humanité.

Calomnies et propos déformés

« Cette affaire illustre bien le racisme antipalestinien qui règne en Allemagne et les attaques extrêmement problématiques contre la liberté d’expression »,

a déclaré lundi le Centre européen d’assistance juridique qui défend la liberté d’expression pour les partisans des droits palestiniens.

Il a mis en garde contre le fait que le licenciement des journalistes allait « créer un grave effet dissuasif du côté de la défense des droits palestiniens ».

The Electronic Intifada comprend que les journalistes licenciés par Deutsche Welle soient en train d’examiner leur options juridiques.

Outre Maraqa, Deutsche Welle a également licencié Bassel Aridi, le chef du bureau de Deutsche Welle à Beyrouth, Daoud Ibrahim, un formateur free-lance au profit du réseau au Liban, Maram Salem, une Palestinienne travaillant en Allemagne, et Murhaf Mahmoud, un traducteur et journaliste syrien travaillant lui aussi en Allemagne.

Aridi a été licencié, paraît-il, en raison d’un tweet de 2014, détruit depuis, qui disait que les gens qui avaient collaboré avec Israël – un État qui a envahi le Liban à plusieurs reprises, tuant des dizaines de milliers de personnes, et qui, depuis, est resté en guerre avec lui – étaient des traîtres qui méritaient la peine de mort.

Ibrahim a été licencié pour un tweet publié il y a dix ans et qui disait : « L’Holocauste est un mensonge #FreedomOfSpeech ».

Ibrahim a expliqué lundi, selon le journal libanais L’Orient-Le Jour, qu’il avait

« contextualisé son tweet sur Twitter, à l’époque, et qu’il avait depuis expliqué aux journalistes et à ses collègues de DW qu’il essayait tout simplement de pointer du doigt ‘les deux poids et deux mesures bien connus une fois qu’il s’agit de la liberté d’expression’ ».

« Il a insisté sur le fait qu’en réalité, il n’était pas d’accord avec la position exprimée dans le tweet »,

ajoutait le journal.

Ibrahim peut avoir eu l’intention de défier ces deux poids et deux mesures flagrants dans toute l’Europe où le venimeux vitriol antimusulman – telles les caricatures dénigrant les musulmans et le prophète Mahomet – est célébré comme « liberté d’expression », tandis que le rejet de l’Holocauste est criminalisé, dans certains pays.

Tous les cinq journalistes avaient déjà été suspendus en décembre, après une campagne de calomnies lancée contre eux dans les médias allemands.

Euro-Med Human Rights Monitor, une organisation installée à Genève, avait à l’époque exprimé ses inquiétudes à propos de

« la hausse alarmante, récemment, du ciblage, de la singularisation et de la diffamation envers les journalistes arabes et palestiniens dans les médias allemands ».

« Ceci vient après des campagnes de diffamation qui s’appuient soit sur la culpabilité par association, la mise en exergue sélective d’écrits vieux de plusieurs années ou de journalistes ciblés qui ne sont pas représentatifs de leurs points de vue aujourd’hui ; soit par la mésinterprétation délibérée ou l’extraction de mots hors de leur contexte critique afin d’évoquer des accusations d’antisémitisme »,

a ajouté l’organisation.

Dans une série de messages de blog rédigés après sa suspension, Maraqa a décrit ce qui s’était passé dans son propre cas.

« C’était un jour de travail normal à Deutsche Welle quand j’ai reçu un courriel d’un journaliste du [journal] Süddeutsche Zeitung me demandant si je désirais commenter trois phrases qu’il avait prélevées dans de vieux articles qui semblaient critiques à l’égard d’Israël »,

a rappelé Maraqa.

« Les phrases étaient tirées d’un article ironique que j’avais écrit et qui remontait à 2014 et 2015 »,

a-t-elle ajouté.

Euro-Med dit qu’il « a examiné les articles en question et qu’il a estimé que les propos de Maraqa peuvent avoir été sortis de leur contexte et mésinterprétés ».

L’organisation pour les droits humains a également mis en lumière un autre cas dans lequel Nemi El-Hassan, une journaliste d’origine palestinienne, a vu son émission scientifique annulée par un autre service de diffusion allemand, Westdeutscher Rundfunk.

La transgression supposée d’El-Hassan avait consisté à « liker » des messages Instagram sur le compte de Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix), une organisation bien connue installée aux EU, qui fait campagne pour les droits palestiniens et qui s’oppose au sionisme, l’idéologie de l’État d’Israël.

Mercredi, EuroMed a dénoncé le rapport « indépendant » de Deutsche Welle rédigé par Mansour et Leutheusser-Schnarrenberger, le qualifiant de « partial, faussé et dangereux ».

L’organisation a déclaré qu’elle avait passé le rapport en revue et conclu que

« son cadre, son analyse et ses recommandations contenaient de multiples preuves de partialité en faveur d’Israël et au détriment des Palestiniens ».

EuroMed a mis en garde contre une nouvelle escalade de « ce qui équivaut à une purge anti-arabe dans les médias allemands ».

L’élimination des critiques à l’encontre d’Israël

La purge opérée contre les journalistes arabes à Deutsche Welle n’est que le dernier épisode d’une campagne qui veut s’assurer qu’il n’y ait pas d’espace pour la critique contre Israël dans les médias allemands.

En mai, alors qu’Israël était occupé à anéantir des familles palestiniennes entières en bombardant Gaza, Deutsche Welle me [l’auteur lui-même, Ali Abunimah, NdT] dénonçait publiquement comme antisémite. Il s’en était suivi une interview en direct dans laquelle je critiquais la complicité allemande dans les crimes d’Israël.

Les élites allemandes ont longtemps perçu le fait d’accorder leur soutien inconditionnel à Israël comme un moyen bon marché et facile d’« expier » l’assassinat par le gouvernement allemand de millions de juifs pendant l’Holocauste.

« Je pense qu’il est temps pour les gens en Allemagne et pour l’élite allemande de cesser de faire payer les enfants palestiniens de la bande de Gaza pour les crimes du peuple allemand contre les Juifs européens »,

avais-je dit dans l’interview.

À la suite de mon interview, Deutsche Welle avait sorti un mémorandum interne limitant strictement ce que les journalistes ou invités ont la permission de dire sur Israël, et interdisant par la même occasion l’utilisation de mots comme « apartheid » ou « colonialisme ».

Ensuite, en décembre, à peu près au moment où il a suspendu les cinq journalistes, Deutsche Welle a mis un terme à un accord de coopération avec la chaîne de télévision jordanienne Roya, prétendument parce que le service d’émission diffusait du matériel « anti-israélien et antisémite » sur les médias sociaux.

Lundi dernier [7 février 2022], Deutsche Welle a publié un plan en dix points qui fera en sorte que l’émetteur du gouvernement allemand deviendra encore plus pro-israélien et antipalestinien qu’il ne l’était déjà.

Parmi les mesures, figure l’adoption d’une définition « mandataire » de l’antisémitisme qui « comprend la reconnaissance du droit d’Israël à l’existence et le rejet du refus ou de la banalisation de l’Holocauste ».

On y trouve également le renforcement de l’équipe de Deutsche Welle au bureau de Jérusalem. On présume que ces renforts ne seront pas constitués de Palestiniens.

Des « sauvages » arabes

Il ne fait pas de doute que le rôle d’Ahmad Mansour en tant qu’enquêteur « indépendant » a conféré un vernis de crédibilité à la chasse aux sorcières contre les journalistes arabes en Allemagne – du moins aux yeux de l’establishment allemand.

Palestinien de citoyenneté israélienne qui s’est retourné contre son propre peuple, Mansour a adopté le rôle d’informateur autochtone, légitimant ainsi les points de vue racistes et antimusulmans des élites occidentales.

Comme d’autres personnalités en vue de son engeance vivant en Amérique du Nord et en Europe depuis les attentats du 11 septembre 2001, il prétend avoir été jadis un musulman dévot avant d’avoir découvert la lumière.

La Bridge Initiative, un projet de l’Université de Georgetown sur l’islamophobie, décrit Mansour comme un « validateur ».

Selon Fear Inc., l’importante étude du Center for American Progress sur le réseau de l’islamophobie, un validateur est un individu qui « revendique une connaissance interne sur les réalités de l’Islam radical » et qui renforce

« les points de vue extrémistes des experts de la désinformation islamophobe, des facilitateurs des médias de droite et des hommes politiques hostiles à l’Islam ».

Parmi ses liens avec l’extrême droite antimusulmane et pro-israélienne, Mansour a été un directeur de programme en même temps qu’un important conseiller politique de la Fondation européenne pour la démocratie (EFD).

Ce groupe de réflexion installé à Bruxelles

« se concentre sur la diffamation à l’égard des organisations de la société civile musulmane et sur les tentatives en vue de les exclure de l’arène politique européenne »,

estime la Bridge Initiative.

L’EFD est étroitement associée à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), qui lui a d’ailleurs fourni des fonds substantiels.

Cette FDD, un important groupe de réflexion siégeant à Washington, a travaillé en secret avec le gouvernement israélien afin de contrôler, de diffamer et de saboter les partisans des droits palestiniens.

L’EFD a détruit la page consacrée à Mansour sur son site Internet quelque temps après le 21 avril 2021, la dernière date pour laquelle une copie archivée de cette page est disponible.

Un profil généralement positif de Mansour, publié dans le quotidien israélien Haaretz en 2019 le décrit « comme l’un des plus éminents critiques de l’Islam en Allemagne ».

Il est inimaginable que quelqu’un puisse être incidemment décrit au 21e siècle comme, par exemple, « l’un des plus éminents critiques du judaïsme en Allemagne », sans se faire frapper de la condamnation la plus violente.

Mais, comme le fait remarquer Haaretz, Mansour, qui s’est installé en Allemagne en 2004,

« est un interviewé très recherché dans les émissions d’information et autre talk-shows allemands, ainsi que dans la presse – aussi bien conservatrice, libérale que de gauche – et il publie régulièrement des tribunes d’opinion dans les journaux locaux ».

Son livre de 2015, Generation Allah, qui valide les craintes allemandes à propos de la « radicalisation » de la jeunesse musulmane dans le pays, a été un best-seller.

Comme l’a dit Haaretz,

« ce que dit Mansour, dans ses écrits comme dans notre entretien, c’est que ce qu’il appelle le courant musulman habituel en Europe – qui rejette les radicaux et certainement le terrorisme – est actuellement responsable pour une grande partie de la radicalisation parmi les jeunes musulmans : Le courant traditionnel ne comprend pas ce qui mène à l’assassinat et à l’extrémisme ni que c’est lui-même qui pose les fondations sur lesquelles s’appuie l’extrémisme ».

En d’autres termes, tous les musulmans en Europe sont suspects, même s’ils ne soutiennent pas le « radicalisme » et le « terrorisme ».

Ses opinions sur les Arabes ne sont pas moins ignobles : « Certains Arabes sont des sauvages et d’autres pas », admet-il généralement.

« Définissons le ‘sauvage’ », élabore-t-il. « Je pense que les Arabes traditionnels ont d’énormes problèmes avec la démocratie et avec tout ce qui touche les droits de l’homme. »

« Il existe des problèmes de violence qui ont trait à la culture », ajoute-t-il.

« Je ne pense pas que la plupart des Arabes veulent tuer, mais je pense que nous avons un problème. Oubliez les juifs. Voyez combien d’Arabes ont assassiné des Arabes ces dernières années. C’est beaucoup. »

Voilà le genre de racisme à l’état pur déployé depuis longtemps en Europe et en Amérique du Nord à l’encontre des peuples autochtones et des communautés marginalisées, y compris les Juifs d’Allemagne, pour justifier la violence coloniale outre-mer et la répression et la discrimination au pays même.

Il fait aussi écho aux tropes racistes concernant la violence « des noirs envers les noirs » qui avaient été utilisés pour détourner l’attention de la violence de l’ancien régime d’apartheid sud-africain ou celles des forces de l’État américain.

De telles affirmations sont souvent enracinées dans des points de vue racistes prétendant que les noirs – à l’instar du point de vue de Mansour concernant les Arabes – sont de façon innée plus disposés à la violence que les autres populations.

Bombardé d’honneurs

Inutile de dire que Mansour n’a pas perdu son boulot ou son statut pour avoir généralisé que les Arabes sont des « sauvages », culturellement enclins à commettre des meurtres. En effet, ces opinions racistes expliquent précisément pourquoi Mansour jouit d’un statut aussi élevé en Allemagne.

Il a été bombardé d’honneurs, dont un prix des « droits de l’homme » par le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie ainsi qu’une récompense de la Société alémano-israélienne de Hanovre.

Actuellement, Mansour travaille pour la ZDK Society for Democratic Culture, une organisation financée par le gouvernement allemand et l’Union européenne.

Fondée en 2003, cette organisation affirme que son but est de défier

« les mouvements idéologiques hostiles à la liberté et radicaux, comme le radicalisme de droite et l’islamisme, de même que le radicalisme de gauche, qui est lui aussi hostile à la liberté ».

Tout cela équivaut à propager la crainte des musulmans et des immigrants en général, tout en prétendant combattre toutes les sortes d’« extrémisme ». Mais, en réalité, l’organisation est très modérée vis-à-vis de la droite, de l’extrémisme néonazi – une menace croissante dans toute l’Europe.

Mansour a utilisé sa plate-forme pour promouvoir l’affirmation selon laquelle les jeunes musulmans issus d’un contexte migrant sont responsables d’une recrudescence de l’antisémitisme en Allemagne et Mansour requiert donc une répression plus dure.

De telles affirmations fausses sont régulièrement avancées par les partisans d’Israël, qui tentent d’associer tout soutien aux droits palestiniens – particulièrement fort en Allemagne dans les communautés d’origines turque et arabe – au sectarisme antijuif et à l’extrémisme religieux.

En fait, selon des statistiques émanant de la police fédérale allemande, la grande majorité des incidents antisémites et crimes de haine répertoriés dans le pays en 2020 avaient une motivation politique de droite – rien à voir avec le mouvement de solidarité avec la Palestine ni avec les musulmans.

Pour Mansour, le remède à cet « antisémitisme » supposé rampant chez les musulmans en Allemagne consiste à leur enseigner sans ambiguïté le soutien à Israël.

« Nous avons besoin de mosquées qui, lors de la prière du vendredi, diront que, dans ce pays, les gens ne doivent pas mettre en question le droit d’Israël à l’existence »,

a-t-il dit. Mansour est également président du Forum musulman d’Allemagne, une organisation créée à l’aide d’un financement émanant de la Fondation Konrad Adenauer, elle-même une organisation résolument pro-israélienne associée à l’Union chrétienne-démocrate (CDU – de droite).

Dans ce rôle, Mansour fournit une couverture à l’islamophobie traditionnelle et respectable. Il est cité avec approbation, par exemple, dans un article de Deutsche Welle rédigé par Susanne Schröter, une « chercheuse sur l’Islam ».

Pour Schröter, parmi les dangers que les musulmans sont censés poser à l’Allemagne, il y a le fait que

« presque chaque mosquée a des équipes de football qui jouent contre d’autres équipes d’autres mosquées. Des crèches et des centres culturels islamiques sont financés ; des organisations islamiques d’aide, du travail social et du travail avec la jeunesse ont fait leur apparition. »

Le prétexte de son inquiétude à propos de toute cette activité prosociale, c’est qu’elle mène prétendument à la « ségrégation ».

« Il serait bien d’espérer que ces jeunes gens puissent gagner l’accès au savoir que les musulmans libéraux, éclairés et humanistes ont développé »,

imagine Schröter.

Parmi ces musulmans « éclairés » se trouvent naturellement Mansour et le Forum musulman d’Allemagne soutenu par l’Union chrétienne-démocrate.

Schröter ne semble pas reconnaître que les communautés migrantes, et particulièrement les musulmans, pourraient chercher le confort et la sécurité au sein de leur propre communauté face au racisme et à l’exclusion de plus en plus répandus qu’ils ont connus depuis toujours et qu’ils connaissent encore dans la société allemande traditionnelle.

Un effort de bonne foi en vue d’« intégrer » ces communautés – quoi que cela puisse signifier – impliquerait avant tout de mener une attaque de front contre le racisme allemand bien implanté et à la vie dure qui, de mémoire d’homme, a conduit au génocide et qui se manifeste aujourd’hui par un soutien officiel inconditionnel au régime d’apartheid d’Israël.


Un « Who’s Who » de l’armée et des renseignements d’Israël

Il n’y a pas que les médias et les hommes politiques allemands à consommer avec enthousiasme le sectarisme sur mesure de Mansour.

Mansour a également été identifié comme membre de l’équipe de l’Institut international de contre-terrorisme, un groupe de réflexion de droite hébergé à IDC Herzliya, une université israélienne qui entretient d’étroits liens avec l’appareil des renseignements et de la propagande de l’État sioniste.

Le bureau et le personnel du groupe de réflexion constituent une sorte de Who’s Who des personnalités israéliennes de l’armée et des renseignements, y compris Shabtai Shavit, un ancien chef de l’espionnage international israélien et de l’agence de tueurs qu’est le Mossad.

Le fait que Mansour a été choisi pour siéger lors du jugement des journalistes de Deutsche Welle indique que les seuls Arabes ou musulmans qui seront autorisés à faire carrière au sein des institutions allemandes seront ceux qui perçoivent comme ennemis les pays et communautés d’où eux ou leurs parents sont originaires.

Les cinq journalistes doivent chercher et recevoir des réparations pour avoir été licenciés et traités comme des boucs émissaires par Deutsche Welle. Pourtant, leur licenciement constitue également un moment de clarté.

Leur présence, ainsi que celle d’autres Arabes et musulmans, a permis aux médias institutionnellement antimusulmans, antipalestiniens et anti-arabes de l’Allemagne de se présenter fallacieusement comme « diversifiés ».

Deutsche Welle devrait désormais être perçu pour ce qu’il est : le porte-parole raciste d’un État qui l’est tout autant et où le seul « bon » Arabe ou musulman est celui qui hait les Arabes et les musulmans et qui aime leurs oppresseurs, et tout particulièrement Israël.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

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Publié le 9 février 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Lisez également : Solidarité avec Khaled Barakat, face à la répression

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