La crise ukrainienne met en évidence l’hypocrisie occidentale à propos du vol de territoire par Israël

Frustrés par la complicité, l’hypocrisie et l’irresponsabilité de leurs dirigeants, les citoyens du continent lancent une Initiative citoyenne européenne en vue de forcer Bruxelles à fermer les marchés européens aux produits et services en provenance des colonies dans les territoires occupés, y compris les colonies israéliennes sur les terres palestiniennes et syriennes.

14 mars 2020. Des vétérans du bataillon nationaliste d’extrême droite Azov, une unité de la garde nationale ukrainienne, organisent un rassemblement à Kiev, la capitale. Les organisations d’extrême droite et néonazies ont joué un rôle clé dans le renversement, soutenu par l’Occident, du président ukrainien en 2014, ce qui a débouché sur la crise actuelle. (Photo : NurPhoto via ZUMA Press)

 

Ali Abunimah, 22 février 2022

Un jour à peine après que Moscou a reconnu l’indépendance de Donetsk et Lougansk vis-à-vis de l’Ukraine, l’Union européenne s’est opposée vivement à ce qu’elle a qualifié d’« agression russe ».

Elle a condamné la démarche de Moscou comme « illégale et inadmissible » et a souhaité imposer des sanctions « afin de cibler ceux qui étaient impliqués dans cette décision illégale ».

Les mesures frapperont également « les banques qui financent l’armée russe et d’autres opérations dans ces territoires » et elles tendront à contrecarrer la « capacité de l’État et du gouvernement russes à accéder au capital et aux marchés financiers et services de l’UE ».

Ces sanctions – susceptibles d’être suivies par d’autres – découlent sans doute du profond respect de l’UE envers les « lois internationales », ainsi qu’envers « la souveraineté et l’intégrité territoriale » de l’Ukraine.

Les EU énonceront aussi des sanctions en réponse de ce que Washington décrit comme une « invasion » russe des deux régions orientales qui sont sous contrôle des séparatistes prorusses depuis 2014.

L’Allemagne, qui est fortement dépendante des livraisons de gaz de la Russie, a annoncé la suspension des plans de construction du pipeline Nordstream 2.

L’actuelle crise en Ukraine peut être liée au soutien américain au coup d’État de 2014 contre le président élu du pays, prorusse, coup d’État qui avait amené au pouvoir l’extrême droite et même les nationalistes néonazis ukrainiens.

Le but de Washington était d’attirer l’Ukraine dans l’alliance militaire de l’OTAN, antirusse, que Moscou perçoit comme une menace existentielle et à laquelle s’oppose avec force une grande partie de l’importante population d’ethnie russe en Ukraine.


Biden reconnaît les crimes d’Israël

Pourtant, on ne peut trouver nulle part ce soudain souci pour les lois internationales à propos de l’Ukraine une fois qu’il s’agit de l’occupation illégale et de l’annexion par Israël de terres palestiniennes et syriennes, et de la soumission, toujours par Israël, de toute la population palestinienne à un régime d’apartheid, ce qui constitue un crime contre l’humanité.

Ces crimes d’Israël ne pourraient naturellement pas être perpétrés sans le soutien et l’accord des EU et de l’UE.

Quand l’administration Trump avait transféré l’ambassade des EU de Tel-Aviv à Jérusalem en 2017, reconnaissant de fait l’annexion illégale de la ville par Israël, l’UE avait rejeté cette démarche.

Elle avait également rejeté la reconnaissance par les EU en 2019 de l’annexion illégale par Israël des hauteurs occupées du Golan appartenant à la Syrie.

Ironiquement, l’un des rares pays disposés à suivre les EU dans la reconnaissance de l’annexion illégale de Jérusalem par Israël n’est autre l’Ukraine, dont le gouvernement est soutenu par les EU et l’UE.

Il convient de remarquer que l’administration Biden a refusé d’annuler la reconnaissance par Trump des actes on ne peut plus manifestement illégaux d’Israël, même si Washington descend la Russie en flammes parce qu’elle reconnaît Donetsk et Lougansk.

En effet, Biden lui-même poursuit une occupation américaine illégale de certaines parties de la Syrie.

Sous Trump, le but explicite de cette occupation était de piller le pétrole du pays.

Mais l’Union européenne, qui a critiqué et les EU et la Russie pour leurs actions, n’a imposé aucune sanction à Washington pour avoir aidé et favorisé les crimes d’Israël.

Ce n’est guère surprenant. Depuis des décennies, l’UE reconnaît que l’occupation, le vol et l’annexion par Israël de la terre palestinienne sont illégaux mais, au lieu de les sanctionner, Bruxelles récompense et encourage ces actions.

L’éclatant contraste avec le recours immédiat des EU et de l’UE à des sanctions contre la Russie n’a pas échappé aux Palestiniens.

« Nous, Palestiniens, assistons à cette discussion et nous nous demandons où se tient cette discussion une fois qu’il s’agit de la Palestine »,

a déclaré jeudi Wesam Ahmad, de l’organisation palestinienne de défense des droits humains, Al-Haq,

Ahmad avait pris la parole lors d’un webinaire accueilli par la députée finlandaise Veronika Honkasalo, lequel tournait autour d’un projet de loi que la députée même a introduit afin d’interdire le commerce de marchandises en provenance des territoires occupés.

« L’occupation du territoire palestinien se poursuit depuis une période bien plus longue »,

a fait observer Ahmad.

Et d’ajouter que « l’absence persistance d’action » en réponse aux violations par Israël des droits palestiniens et des lois internationales « sapait la crédibilité de pouvoir de la loi censée être appliquée à tous les niveaux ».

La pression émanant des citoyens

Frustrés par la complicité, l’hypocrisie et l’irresponsabilité de leurs dirigeants, les citoyens du continent lancent une Initiative citoyenne européenne en vue de forcer Bruxelles à fermer les marchés européens aux produits et services en provenance des colonies dans les territoires occupés, y compris les colonies israéliennes sur les terres palestiniennes et syriennes.

Une Initiative citoyenne européenne est une procédure officielle censée permettre à des citoyens d’influencer la politique européenne. Elle requiert la collecte d’au moins un million de signatures en provenance de toute l’Union. (*)

La présente initiative a déjà franchi le premier obstacle consistant à se faire officiellement enregistrer par la Commission européenne, c’est-à-dire le corps exécutif de l’UE.

Ceci, après que la Commission avait refusé d’enregistrer une initiative similaire en 2019, une décision qui avait été annulée l’an dernier, lorsque les organisateurs étaient allés en justice.

« Même si les colonies illégales constituent un crime de guerre, selon les lois internationales, l’UE permet le commerce avec elles »,

a déclaré le Centre européen d’assistance juridique, l’une des 100 organisations qui insistent pour que les citoyens de l’UE signent l’initiative.

Human Rights Watch – l’une des plus importantes organisations de défense des droits humains à avoir conclu l’an dernier qu’Israël commettait bel et bien ce crime contre l’humanité qu’est l’apartheid – soutient également l’initiative.

« Les colonies dépouillent illégalement les populations locales de leurs terres, ressources et moyens de subsistance »,

a déclaré Bruno Stagno, un haut responsable de Human Rights Watch.

« Aucun pays ne devrait autoriser le commerce de marchandises produites suite à un vol de terre, une déportation de population et des discriminations. »

Frances Black, une sénatrice irlandaise qui, dans son pays, a soutenu une législation visant à interdire le commerce de marchandises en provenance de colonies, insiste elle aussi pour que l’on soutienne l’initiative.

Bien que le parlement irlandais ait adopté le projet de loi de Black sur les territoires occupés, le gouvernement de Dublin bloque son entrée en vigueur.

Dans l’intervalle, le projet similaire introduit en Finlande sera soumis à un premier vote ce vendredi. Il bénéficie du soutien assuré de 35 des 200 parlementaires finlandais.

S’il passe, ce ne serait qu’une première étape avant qu’il ne se mue en loi.

Contrairement aux doléances persistantes du lobby pro-israélien qui prétend qu’Israël est particulièrement visé, toutes ces initiatives interdiraient le commerce de marchandises en provenance de n’importe quel territoire occupé – y compris le Sahara occidental, qui est occupé par le Maroc.

En septembre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a annulé un traité commercial entre l’UE et le Maroc, parce qu’il comprenait le Sahara occidental sans le consentement de son peuple et de ses représentants internationalement reconnus, le front Polisario.

Lors du séminaire de mardi accueilli par la députée finlandaise Honkasalo, Salah Abdulahe Mohamed, un défenseur de l’autodétermination saharaouie, a accusé l’UE de continuer d’importer des marchandises pillées dans le territoire saharaoui – comme des sardines et des tomates, entre autres – et faussement étiquetées en tant que produits du Maroc.

L’Initiative citoyenne européenne qui voudrait interdire le commerce avec les colonies d’Israël serait confrontée à une lutte des plus acharnées. Bien sûr, elle ne serait même pas nécessaire si les gouvernements de l’UE respectaient vraiment les normes dont ils prétendent qu’elles sont actuellement violées par la Russie.

Mais, une fois encore, il s’avère que les lois internationales ne sont pas un étalon à l’aune duquel tout se mesure, mais bien un bâton utilisé exclusivement par les forts à leur propre avantage.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

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Publié le 22 février 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

(*) Signez ICI la pétition de l’Initiative citoyenne européenne pour interdire les produits des colonies !

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