Les liens robustes entre la France et Israël maintiennent Georges Abdallah en prison

Sur son site Internet, le ministère français des Affaires étrangères se targue de ce que Paris a établi des liens  robustes avec « Israël », « marquées par un engagement constant envers son existence et sa sécurité » et par une contribution à sa puissance militaire.

Bennett, Macron, Georges Ibrahim Abdallah. (Photo : Al Mayadeen)

Bennett, Macron, Georges Ibrahim Abdallah. (Photo : Al Mayadeen)

Ahmad Karakira, 25 avril 2022

La France a été l’un des tout premiers pays à établir des liens diplomatiques avec l’occupation israélienne, le 11 mai 1949.

En compagnie d’« Israël » et de la Grande-Bretagne, la France avait attaqué l’Égypte en octobre 1956 au cours de ce qu’on avait appelé l’agression tripartite contre l’Égypte, après la nationalisation du canal de Suez par le président égyptien de l’époque, Gamal Abdel Nasser.

Mais, dans le sillage de la guerre des Six-Jours contre l’Égypte, en 1967, qui vit « Israël » occuper la Cisjordanie, la bande de Gaza, la péninsule du Sinaï et les hauteurs du Golan, la France adopta la Résolution 242 des Nations unies sommant « Israël » de se retirer « des territoires occupés ».

Depuis lors, la politique officielle de la France a été une combinaison de soutien au prétendu « droit à l’existence et à la sécurité » de l’occupation israélienne, de soutien à la solution à deux États, et de condamnation supposée de « la politique illégitime et illégale d’« Israël » de mise en place de colonies dans les territoires palestiniens occupés.

Le ministère français des Affaires étrangères considère que « l’annexion de territoires palestiniens, quelle qu’en soit l’importance, constituerait une violation des lois internationales et en particulier de l’interdiction de l’acquisition de territoires en recourant à la force ».

Selon le ministère, l’annexion de territoires palestiniens « aggraverait les tensions et compromettrait gravement la solution à deux États, et elle serait contraire aux intérêts des Israéliens comme des Palestiniens, ainsi qu’à ceux des Européens et de la communauté internationale au sens plus large ».

Il a également prétendu que l’annexion « ne pourrait avoir lieu sans riposte ou sans conséquence pour les relations de l’UE avec Israël ».

Bien que la France prétende respecter les lois internationales, lors de l’agression israélienne, en mai 2021, contre la bande de Gaza, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin a annoncé une interdiction des protestations de solidarité avec la Palestine.

La police de Paris a également publié un décret jugeant de telles manifestations illégales et prétendant qu’elles pourraient aboutir à ce que « des éléments à risque pourraient provoquer de violentes confrontations avec la police ».

En outre, le président français Emmanuel Macron avait insisté, lors d’un appel téléphonique adressé le 14 mai au Premier ministre israélien du moment, Benjamin Netanyahou, sur son « attachement indéfectible » à la sécurité d’« Israël » et il avait condamné en même temps la résistance palestinienne.

La collaboration économique

Selon le ministre français des Affaires étrangères, « les relations bilatérales entre la France et « Israël » sont également soutenues par la présence en « Israël » d’une importante communauté française (150 000 personnes), alors que la France, de son côté, héberge la plus forte communauté juive d’Europe ».

La France est dans les chiffres la 12e fournisseuse d’« Israël » et sa 10e cliente.

En 2017, quelque 100 sociétés françaises se sont installées en « Israël », créant 5 530 emplois et générant un revenu évalué à 534 millions d’euros.

Selon des données de la Banque de France, le stock des investissements directs de la France à l’étranger (IDE) pour « Israël » atteignait 2,9 milliards d’euros fin 2017, ce qui représentait une hausse annuelle de 6 % depuis 2012.

La coopération scientifique et technique

La France est la cinquième partenaire scientifique et technologique d’« Israël ». La collaboration universitaire, y compris le laboratoire commun de l’INSERM Nice et l’Institut israélien de technologie Technion à Haïfa, en même temps que l’échange de jeunes chercheurs, sous-tend cette collaboration.

Le Conseil supérieur franco-israélien pour la recherche et la coopération scientifique et technologique assure cette collaboration depuis 2003.

Des accords militaires secrets

Un article de recherche intitulé France and the Israeli occupation : talking the talk, but not walking the walk ? (La France et l’occupation israélienne : On tient le même langage mais on ne joint pas les actes à la parole) a révélé que, « dans les années 1950, la France était la principale fournisseuse d’équipements militaires à Israël via un certain nombre de marchés secrets comprenant des avions, des chars et des munitions ».

« Elle a également joué un rôle crucial dans l’acquisition par Israël de capacités nucléaires via la fourniture d’expertise, de matériel et de technologie », ajoutait l’article.

« Dans un accord secret signé en 1956, la France s’engageait à aider Israël à construire un réacteur nucléaire et à lui fournir de l’uranium », mentionnait encore l’article de recherche.

Dans le même contexte, l’historien militaire américain Warner Farr avait mis en lumière le fait que « la coopération fut si étroite qu’Israël travailla avec la France au design de préproduction du premier avion à réaction Mirage, destiné à être capable de transporter des bombes nucléaires ».

Farr révéla que « des experts avaient construit en secret le réacteur souterrain d’Israël à Dimona, dans le désert du Néguev (Naqab). (…) Des centaines d’ingénieurs et de techniciens français avaient envahi Beersheba (Beer Al-Sabe), la plus grande ville du Néguev ».

Le plus ancien prisonnier politique d’Europe

Quand nous mentionnons les liens solides entre la France et l’occupation israélienne, nous ne pouvons que mettre en lumière la juste cause de Georges Ibrahim Abdallah, ancien dirigeant des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL, une organisation marxiste-léniniste). Abdallah a été accusé d’avoir cofondé les FARL.

 Les FARL ont lutté pour arrêter l’invasion israélienne du Liban et elle a pris pour cibles plusieurs importantes personnalités américaines et israéliennes impliquées dans la guerre. Tous les membres des FARL ont été relâchés, sauf Abdallah.

Les FARL a également revendiqué la responsabilité des opérations menées en riposte à l’occupation israélienne de la Palestine.

Abdallah est emprisonné à Lannemezan (Hautes-Pyrénées, SO de la France) depuis 1984 et il a purgé le terme minimum de sa sentence en 1999.

Il avait été condamné à la prison à vie en 1987 pour son implication supposée dans l’assassinat, en 1982, de l’attaché militaire américain Charles Ray et dans celui du diplomate israélien Yakov Barsimentov à Paris, ainsi que dans une tentative d’assassinat sue la personne de Robert O. Homme, consul américain à Strasbourg.

Le révolutionnaire n’a jamais répondu à la liste des accusations et a estimé que le système judiciaire français était « méprisable » pour avoir extrait l’action de résistance de son contexte.

Il était déjà possible de libérer Abdallah en 1999, mais les autorités françaises ont rejeté ses requêtes de liberté sur parole à neuf reprises.

En novembre 2003, l’entité qui accorde la liberté conditionnelle dans la ville de Pau – dont dépend Lannemezan, où Georges Abdallah est actuellement détenu – avait donné son feu vert à l’une des requêtes de libération de Georges Abdallah.

Pourquoi n’a-t-il toujours pas été libéré ?

Toutefois, le ministre français de la Justice, Dominique Perben, était allé en appel de la décision, décrivant l’affaire comme « extrêmement grave », et avait maintenu Abdallah en prison, après quoi son dossier avait été transmis à un autre tribunal.

La requête de libération sur parole d’Abdallah, en mai 2009, a de son côté été rejetée par une cour d’appel de Paris qui a prétendu, citant une loi française de 2008, que le prisonnier était « un militant résolu et impitoyable », qui pouvait reprendre à nouveau son « combat » au Liban.

Un juge de Paris approuvait la libération de Georges Abdallah le jeudi 10 janvier 2013 et fixait la date de son extradition vers Beyrouth au lundi 14 janvier.

Toutefois, la décision était retardée en raison d’un appel gouvernemental. La porte-parole de la Maison-Blanche, à l’époque Victoria Nuland, avait déclaré que les EU – le plus grand allié d’« Israël » – était toujours occupé à discuter avec le gouvernement français sur la façon de bloquer cette décision.

Un document Wikileaks concernant l’ancienne secrétaire d’État américaine Hillary Clinton laissait passer des courriels révélant qu’entre le 10 et le 14 janvier, elle avait adressé un courriel à l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, disant que « bien que le gouvernement français ne dispose pas de l’autorité juridique d’inverser la décision du 10 janvier de la cour d’appel, nous espérons que les responsables français pourront trouver une autre base afin de contester la légalité de cette décision ».

En d’autres termes, les EU ordonnaient au gouvernement français de piétiner son système juridique ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs.

L’avocat d’Abdallah, Jean-Louis Chalanset, expliqua aux médias français que les autorités libanaises avaient dit à diverses reprises qu’elles étaient prêtes à accueillir Georges Abdallah au Liban, où il est considéré comme un prisonnier politique.

Chalanset a déclaré qu’une décision de libérer son client serait politique avant d’être judiciaire. Il croit que le garder en prison constitue de la part de paris une « absence de courage » et une marque de « servilité ».

Au fil des années, des parlementaires de gauche, des organisations des droits humains telle la Ligue des droits de l’homme et même le chef des renseignements français ont demandé la libération d’Abdallah.

Mélenchon soutient Georges Abdallah

En relation avec l’élection présidentielle française, le dirigeant de gauche Jean-Luc Mélenchon a exprimé en maintes occasions sa solidarité avec la cause de Georges Abdallah.

Selon le Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, le parti de Mélenchon, La France insoumise (LFI), participe régulièrement aux protestations réclamant la libération immédiate du révolutionnaire libanais.

Parallèlement, la campagne de Mélenchon a déclaré qu’il était prêt à soutenir des sanctions contre l’occupation israélienne à propos de ses colonies illégales en Cisjordanie occupée et du blocus qu’elle impose à la bande de Gaza.

Le dirigeant de gauche a promis d’annuler le fameux mémorandum du ministère français de la Justice (appelé la « Circulaire Alliot-Marie ») ordonnant aux procureurs de réprimer les activistes du mouvement BDS. Par ailleurs, le président français Emmanuel Macron a insisté en 2017 pour dire que « l’État français condamnait BDS et tous les boycotts ».

« Il soit être clair que cela continuera si je suis élu à la présidence », a-t-il ajouté lors d’une interview de la radio Beur FM.

Comment Georges Abdallah passe-t-il son temps en détention ?

En détention, en tant que prisonnier politique révolutionnaire, Abdallah passe son temps à lire livres et journaux en cinq langues, à rédiger des déclarations et analyses politiques sur l’impérialisme, le capitalisme et le colonialisme, ainsi qu’à répondre aux lettres de solidarité qui lui viennent du monde entier.

Le révolutionnaire libanais échange des lettres avec des prisonniers palestiniens et lance des grèves de la faim en guise de soutien d’autres prisonniers, dont la dernière en date, le 16 avril, afin de réclamer la libération de Sibel Balaç et de Gokhan Yildirim des prisons turques.

Lettre adressée par Georges Ibrahim Abdallah à la directrice de la prison de Lannemezan pour l’informer de sa grève de la faim de solidarité. (Photo : Al Mayadeen)

Lettre adressée par Georges Ibrahim Abdallah à la directrice de la prison de Lannemezan pour l’informer de sa grève de la faim de solidarité. (Photo : Al Mayadeen)

Ses points de vue les plus récents

En France, Abdallah considère que les révoltes et mouvements populaires des masses, tels les Gilets jaunes, défient partiellement le capitalisme.

Selon Tom Martin, de Samidoun, le Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, Abdallah voit d’un bon œil la résistance inébranlable du peuple palestinien et du peuple libanais face à l’impérialisme et au sionisme. Néanmoins, il pense que les organisations de résistance doivent intensifier leurs actions et viser un programme radical et clair contre le sionisme et l’impérialisme.

Dans sa seule déclaration sur la guerre en Ukraine, Abdallah a souligné l’hypocrisie du camp impérialiste, notamment dans le fait qu’il ferme les yeux sur la présence de bataillons néonazis ukrainiens, alors qu’il criminalise les mouvements propalestiniens.

Il croit que les Ukrainiens sont des victimes et que la solution de cette crise ne dépendrait que de leurs efforts qui consisteraient à s’écarter de toutes les forces impérialistes.

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Publié le 25 avril 2022 sur Al Mayadeen
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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