Israël condamne un travailleur humanitaire de Gaza dans un verdict classé

Un tribunal israélien a annoncé un verdict de culpabilité contre un travailleur humanitaire de Gaza qui était en jugement depuis six ans pour des accusations de financement du « terrorisme » s’appuyant sur des preuves secrètes et sur une confession sans doute obtenue par coercition.

15 juin. Des Palestiniens protestent par solidarité avec Mohammed El Halabi , travailleur humanitaire, en face des bureaux gazaouis du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). (Photo : Youssef Abu Watfa / APA images)

15 juin. Des Palestiniens protestent par solidarité avec Mohammed El Halabi en face des bureaux gazaouis du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). (Photo : Youssef Abu Watfa / APA images)

Maureen Clare Murphy, 15 juin 2022

Le tribunal de district n’a pas estimé Mohammed El Halabi coupable d’« assistance à l’ennemi », l’accusation la plus sérieuse contre lui, selon son avocat qui, plus tard, a déclaré qu’il irait en appel contre la condamnation devant la cour suprême israélienne.

Mais, dans sa décision classée de 254 pages, le tribunal estime El Halaby coupable d’avoir transféré des millions de dollars au Hamas, le parti politique et organisation de résistance qui supervise les affaires internes de Gaza.

The Times of Israel a rapporté que,

« dans une version condensée livrée à la presse, le tribunal de district de Beersheba s’est longuement penché sur la confession [d’El Halabi] aux agents de sécurité du Shin Bet, confession qu’il a annulée ensuite ».

Israël a accusé El Halabi d’avoir détourné des fonds émanant de l’ONG internationale chrétienne World Vision, où il exerçait les fonctions de directeur d’agence à Gaza.

L’organisation caritative a soutenu El Halabi tout au long de son interminable procès qui a impliqué plus de 160 audiences de tribunal.

De multiples audits internationaux n’ont trouvé aucune preuve que ce père de cinq enfants, salué comme un « héros humanitaire » par les Nations unies avant son arrestation, a détourné des fonds vers des organisations armées de Gaza.

« Déception »

World Vision a sorti une déclaration expliquant sa « déception » à propos de la condamnation d’El Halabi mercredi.

« Nous avons précédemment exprimé nos inquiétudes significatives à propos de cette affaire, comme nous l’avons fait remarquer dans nos précédentes déclarations »,

a expliqué l’organisation caritative.

« Selon nous, il y a eu des irrégularités dans la procédure ainsi qu’un manque de preuves substantielles et publiquement disponibles »,

a ajouté World Vision.

« Nous soutenons l’intention [d’El Halabi] d’aller en appel contre cette décision et nous demandons un procès en appel qui soit honnête et transparent, et qui s’appuie sur les faits mêmes de l’affaire. »

L’ONG a déclaré qu’elle espérait reprendre son « travail d’aide aux enfants les plus vulnérables de Gaza » qui a été interrompu suite aux poursuites lancées par Israël contre El Halabi.

Israël a condamné Halabi en dépit de l’indignation internationale soulevée par son arrestation et les poursuites dont il a fait l’objet.

Lors de son arrestation au check-point d’Erez, à la frontière entre le nord de Gaza et Israël, El Halabi s’est vu refuser la présence d’un avocat pendant 50 jours, une période pendant laquelle, en outre, il a été privé de toute possibilité de communication.

Le bureau aux Nations unies du haut-commissaire pour les droits de l’homme a « sans arrêt fait état de graves inquiétudes », dans l’affaire El Halabi, à propos de « traitements cruels, dégradants et inhumains qu’on peut assimiler à de la torture ».

Le bureau des Nations unies a également mis l’accent sur

« l’absence de garanties d’un procès honnête, dont le mépris envers la présomption d’innocence et le manque d’impartialité du tribunal, l’usage extensif de preuves secrètes et la classification des procédures judiciaires qui sapent le droit à être défendu ».

La seule preuve d’Israël est une confession obtenue « apparemment sous la contrainte » et à laquelle le procureur a fait allusion au cours d’audiences publiques, alors que le contenu même de cette confession supposée était tenu à l’insu du public, a ajouté le bureau des Nations unies.

Le gouvernement australien, qui a fourni environ un quart du budget de World Vision à Gaza entre 2014 et 2016, a commandité un audit externe qui

« n’a trouvé aucune preuve de détournement et aucune preuve matérielle qu’El Halabi faisait partie du Hamas ou travaillait pour lui ».

Malgré cela, l’Australie a suspendu son financement de World Vision à Gaza et, à son tour, l’ONG a suspendu ses opérations dans l’enclave assiégée jusqu’à la conclusion du procès d’El Halabi.

Un ancien directeur régional de l’ONG a expliqué aux médias que les 50 millions de USD qu’El Halabi est supposé avoir détournés

« sont absolument incompréhensibles, étant donné que nulle part on n’a consacré de montant proche de celui-là aux programmes de Gaza dans la période de 10 ans en question ».

Néanmoins, World Vision a commandité un audit et engagé un cabinet juridique pour examiner ses dépenses, et ce, pour la somme de 7 millions de USD, prétend-on.

L’enquête épuisante, qui a duré des années, n’a mis à jour

« aucun signe que des fonds manquaient et aucune preuve qu’El Halaby travaillait pour le Hamas – en fait, l’enquête a révélé qu’il cherchait constamment à tenir l’organisation à distance du Hamas ».

« Une erreur judiciaire »

Il semblerait que l’attention internationale n’ait pas suffi à garantir à El Halabi quelque chose qui aurait pu ressembler à un procès équitable. En l’absence de tout risque de conséquence, Israël a procédé en recourant à ce qu’Omar Shakir, directeur de programme à Human Rights Watch, a appelé « une erreur judiciaire ».

« Le fait de détenir El Halabi pendant six ans en s’appuyant largement sur des preuves secrètes a débouché sur une parodie de vrai procès et sur un mépris total des dispositions judiciaires les plus élémentaires »,

a ajouté Shakir.

« Il aurait dû être relâché depuis longtemps. Il est profondément injuste de s’acharner aussi cruellement à le garder enfermé. »

Durant son procès, El Halabi a rejeté de nombreux accords de plaidoyer, refusant ainsi d’admettre sa culpabilité dans un délit qu’il n’a pas commis, insiste-t-il, et de ternir ainsi la réputation de World Vision.

Un juge israélien, pressant El Halabi d’accepter un arrangement en 2017, lui a dit qu’il n’avait que « peu de chance » d’être jugé non coupable.

L’organe de presse australien, ABC, avait rapporté à l’époque que des « sources proches de l’équipe juridique d’El Halabi » avaient déclaré qu’elles « croyaient que l’accusation n’avait pas les preuves nécessaires pour étayer les allégations explosives » visant le travailleur humanitaire.

Un accord de plaidoyer aurait empêché Israël d’avoir à prouver au tribunal ses allégations contre El Halabi.

Incapable d’obtenir un accord de plaidoyer, au lieu de cela, Israël a choisi de tenter de condamner El Halabi sur base de preuves secrètes. Après l’audience de sa condamnation, mercredi, l’avocat d’El Halabi que la décision du tribunal était secrète et qu’il ne pouvait l’examiner qu’en présence d’agents des renseignements.

L’affaire montée de toutes pièces par Israël contre El Halabi anticipait les désignations d’« organisations terroristes » imposées l’an dernier à plusieurs importantes organisations palestiniennes de droits humains cantonnées en Cisjordanie.

Israël accuse les organisations d’acheminer des fonds à destination de Front populaire pour la libération de la Palestine.

Le FPLP est un parti politique de gauche et une organisation de résistance qui, à l’instar du Hamas, est proscrit par Tel-Aviv ainsi qu’aux EU et dans l’UE, parce qu’il a refusé de reconnaître Israël et de renoncer à la résistance armée contre l’occupation et la colonisation.

La semaine dernière, des diplomates de l’UE ont déclaré dans des médias israéliens que les preuves secrètes présentées par Israël ne sont pas « assez contraignantes » pour prouver ses allégations disant que les organisations ont transféré des fonds vers le FPLP.

Les six organisations ciblées travaillent toutes en Palestine depuis de nombreuses années et elles ont de puissants liens internationaux.

Tant dans les désignations de terrorisme imposées aux organisations en Cisjordanie que dans les poursuites contre El Halabi, un but apparaît : isoler la Palestine en lui coupant toute aide humanitaire et financement international, consolidant ainsi que le contrôle israélien sur toute la Palestine.

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Publié le 15 juin 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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