Le retour de Nétanyahou ?

Après la chute du gouvernement israélien de droite de Naftali Bennett et sa décision de dissoudre la Knesset et de convoquer les cinquièmes élections en trois ans, certaines voix se sont élevées dans les territoires occupés et dans le monde arabe en s’inquiétant de la perspective du retour au pouvoir de Benjamin Netanyahou. La chose est loin d’être certaine, mais que pouvons-nous dire à ces inquiets ?

Les changements de gouvernement en Israël ne font aucune différence pour les Palestiniens ou pour la dynamique de la puissance régionale. Cartoon : Carlos Latuff

Les changements de gouvernement en Israël ne font aucune différence pour les Palestiniens ou pour la dynamique des puissances régionales. Cartoon : Carlos Latuff

 

Israeli government changes make no difference to Palestinians or regional power dynamics

Abdel Bari Atwan, 23 juin 2022

L’État d’occupation israélien se trouve sur une pente descendante menant à l’effondrement à mesure qu’approche la fin de sa durée de vie. Il est ravagé par des crises internes et des schismes sociaux et politiques. Son hégémonie est de plus en plus érodée par le pouvoir militaire et politique croissant de l’Axe de la Résistance. Et, pour la première fois depuis sa création, ses soutiens colonialistes occidentaux ont transféré leurs guerres du Moyen-Orient au cœur de l’Europe, afin de combattre la Russie en Ukraine – un combat que, jusqu’à présent, la Russie est occupée à gagner, tant sur le plan économique que sur le plan militaire.

Et, dans ce cas, pourquoi certains d’entre nous craignent-ils le retour de Netanyahou ? Laissez-le revenir diriger un État fracturé et divisé, gangrené par des conflits politiques, entouré de missiles de tous côtés ou presque et incapable d’envahir ne serait-ce que le camp de réfugiés de Jénine, d’à peine un kilomètre carré.

Les seize années de pouvoir de Netanyahou ont été marquées par des défaites en série. La dernière a été la campagne « Épée de Jérusalem » qui a coupé Israël du monde pendant onze jours et a forcé des millions de ses colons à se planquer dans des abris. Avec toute sa bravade et son exhibitionnisme, l’« homme fort » Netanyahou, qui effraie tant certains dirigeants arabes, n’a pas osé réenvahir Gaza. Il s’est mis à genoux pour implorer Joe Biden de mijoter un cessez-le-feu, pendant que les écrivains israéliens se lamentaient de ce que le pays fût devenu invivable et conseillaient à leurs lecteurs de réémigrer.

Qu’il soit dirigé par Netanyahou ou par Bennett, Israël est confronté à la perspective de perdre et son monopole nucléaire et sa supériorité militaire conventionnelle au profit de l’Iran et de ses alliés dans la région, s’il ne les a déjà pas perdus… De mois en mois, l’équilibre penche toujours un peu plus en faveur des Palestiniens.

Il est vrai que Netanyahou est parvenu à décider Donald Trump et son beau-fils Jared Kushner à faire ses caprices et à forcer certains dirigeants arabes à la normalisation en signant les accords d’Abraham. Mais il est vrai également que cette percée a surtout été un coup de propagande et un exercice de relations publiques, et que les pays entraînés dans le processus de normalisation – dans le passé et récemment – sont aujourd’hui confrontés à des problèmes domestiques et à des menaces extérieures susceptibles d’empirer. L’Égypte est au bord d’une famine massive et elle a besoin d’une infusion immédiate de 25 milliards de USD si elle veut l’éviter. La Jordanie est dans une situation similaire. Quant aux États du Golfe, nombre d’entre eux ont cessé de percevoir l’Iran comme un démon et se sont mis à négocier avec lui et à chercher sa bienveillance, ne serait-ce que pour les aider à se dépêtrer de la guerre au Yémen.

La totalité du Moyen-Orient est au bord d’une guerre régionale et les EU, le principal soutien et protecteur d’Israël depuis si longtemps, perd petit à petit son hégémonie mondiale au profit d’une alliance sino-russe émergente qui offre plus de cohésion et est plus puissante sur les plans économique et militaire. La guerre d’Ukraine, qui pourrait durer des années et pourrait se développer en une troisième guerre mondiale, a modifié tous les calculs de haut en bas.

Une composante clé de ce changement, c’est la résurrection de la culture de la renaissance parmi les peuples arabes en tant que seule issue à leur asservissement et à leur humiliation actuels provoqués par la soumission de leurs dirigeants aux diktats et extorsions américains et israéliens. Même si le duo Trump-Kushner effectuait un retour, il ne pourrait extirper Israël de ses crises.

Quelques missiles bien ciblés – contre les plates-formes du vol de gaz en Méditerranée orientale, ou contre les centrales électriques ou installations hydrauliques à Haïfa et un peu plus loin – exposeraient la fragilité sous-jacente de cette entité et pousseraient des centaines de milliers de ses colons à s’en aller et à retourner dans leurs pays d’origine.

Le retour de Netanyahou, dont l’arrogance et les bouffonneries ont anéanti toute option de paix, ne changera pas cette réalité. Elle pourrait même précipiter la chute d’Israël avant qu’il ne boucle sa huitième décennie d’existence, comme l’a prédit Ehud Barak.

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Abdel Bari AtwanAbdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan

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Publié le 23 juin 2022 sur Rai al-Youm
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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