Gaza par les yeux du poète Mosab Abu Toha
En 2017, le poète Mosab Abu Toha créait la première bibliothèque publique de langue anglaise à Beit Lahiya, dans la bande de Gaza et, en 2019, il en installait une seconde à Gaza même, cette fois.
Hanin A. Elholy, 15 juillet 2022
Une après-midi, voici quelques années, quand le poète Mosab Abu Toha s’assit à son bureau pour écrire, il entendit l’un de ses jeunes fils pousser des cris.
« Viens voir ! », cria Yazan. « Il y a une fusée qui vole, là-bas ! »
Mosab sortit pour vérifier mais, regardant vers le ciel, il vit que ce n’était qu’un nuage. Il rassura son fils et lui dit qu’ils étaient tous deux en sécurité et que ce n’étais pas une fusée.
« Nulle part, les gosses ne prennent les nuages pour des fusées, sauf ici », déclara Mosab fin juin de cette année, lors d’une interview chez lui, dans la ville du nord de la bande de Gaza, Beit Lahiya.
En rappelant cette anecdote, il expliqua que c’était le genre de situation qui le motivait à continuer d’écrire.
« Si je laissais ces bruits horribles dominer le ciel et mon esprit »,
dit-il,
« je ne serais pas en mesure d’écouter mon cœur battre et de savoir que je suis toujours en vie. Quand j’écris, c’est comme si je parlais du bruit des bombes et du bourdonnement des drones. Écrire, c’est affirmer mon existence. »
Des choses que vous pourriez trouver cachées dans mon oreille
Le premier recueil de poésie de Mosab, Things You May Find Hidden in My Ear: Poems from Gaza (Des choses que vous pourriez trouver cachées dans mon oreille : Poèmes de Gaza), a été publié en avril 2022 par la maison d’édition City Lights, de San Francisco. En juin, il a été retenu sur la liste des candidats aux Palestine Book Awards.
Pourtant Mosab, 29 ans, affirme qu’il ne s’était mis à composer des poèmes qu’au cours de l’été 2014, lors de l’offensive de 51 jours d’Israël contre Gaza.
Il postait sur Facebook ce qu’il ressentait et voyait. En ligne, les réactions avaient été encourageantes et il avait continué d’écrire.
« J’ai compris que je pouvais modifier à travers mon regard, le regard du poète, la façon dont les gens percevaient les choses à Gaza »,
dit-il.
« Les guerres, le fait de leur survivre tout en perdant de proches amis, ont eu un gros effet sur moi en tant que personne et aussi en tant que poète. »
Mosab est né au camp de réfugiés de la Plage (Al-Shati « Beach Camp »), à Gaza, en 1993, quelques mois à peine avant la signature des accords d’Oslo. Sa famille a déménagé pour Beit Lahiya quand il avait neuf ans.
C’est toujours là qu’il vit aujourd’hui, avec sa femme et leurs trois enfants, dans une maison entourée de terres agricoles. Dans le jardin, des moineaux gazouillent et sautillent d’arbre en arbre. Mais certains des murs de la maison ont été endommagés et fissurés suite aux attaques israéliennes. Ils rappellent que, même dans ce cadre tranquille, la guerre est possible à tout instant.
« Je ne me sens pas en sécurité à Gaza »,
dit-il,
« aussi bien durant les agressions israéliennes que dans les périodes de cessez-le-feu permanent. Je ne puis sentir le sens profond du foyer, là où je devrais ressentir confort et assurance et où je pourrais rester ou m’en aller quand et où je le désirerais. »
En octobre 2019, Mosab a quitté Gaza pour la première fois, lorsque l’Université de Harvard l’a désigné comme poète en résidence et bibliothécaire.
L’expérience, dit-il, constituait un « changement de vie » et, par moments, elle s’est avérée « choquante ».
« Ce choc culturel peut être simplifié en un exemple », dit-il.
« Dans un centre commercial de l’extérieur, on peut écouter des gens qui parlent des langues différentes et même avec des accents différents. »
Par contraste, Gaza ne reçoit des visiteurs internationaux qu’en temps de guerre, de crise ou lors de l’arrivée d’une délégation des droits humains.
« Le temps que j’ai passé à Harvard a été essentiel pour mon développement de poète », dit-il.
Durant les huit années qui précèdent, il a composé les poèmes qui allaient être réunis dans Des choses que vous pourriez trouver cachées dans mon oreille. Pour finir, il a rassemblé cinquante poèmes pour le recueil, en brodant sur des thèmes comme la mémoire, la nature et la spiritualité.
« Quand j’ai commencé à écrire des poèmes, je n’aurais jamais imaginé que je les publierais un jour en recueil. »
Après la publication de son livre, il a attendu impatiemment que des exemplaires arrivent des presses en Californie. Mais la compagnie maritime UPS ne dessert pas Gaza et, en lieu et place, les exemplaires ont été envoyés en Cisjordanie.
Par conséquent, assez ironiquement, les gens du monde entier ont reçu le livre bien avant son auteur.
La première bibliothèque publique de langue anglaise à Gaza
Le 2 août 2014, Israël bombardait le bâtiment administratif de l’Université islamique de Gaza, dont le département de langue anglaise de l’université.
Cette même année, Mosab avait obtenu un diplôme de professeur d’anglais, bien qu’il eût un intérêt particulier pour la littérature anglaise. Son cours favori était la littérature romantique.
Tout en déambulant dans les ruines de son université, il est tombé sur la bibliothèque détruite.
« Ce qui me frappa le plus, ce fut la vue de milliers de livres ensevelis sous les décombres, et tout particulièrement des livres en anglais pour lesquels je ressentais tant d’affinité »,
écrivit-il dans un article.
À l’époque, il décida d’établir la première bibliothèque publique de langue anglaise à Gaza, la bibliothèque Edward Saïd.
« Je ne me souviens pas d’avoir trouvé une bibliothèque publique durant mon enfance »,
dit-il. «
Mon père nous achetait de petites nouvelles illustrées. J’imaginai de créer une bibliothèque publique à Gaza afin de les mettre à la disposition des enfants qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres. »
La bibliothèque ouvrit ses portes au public en 2017, à Beit Lahiya, et reçut quotidiennement des dizaines de visiteurs, soit pour lire des livres, soit pour utiliser les ordinateurs. Inspiré par la chose Mosab ouvrit une seconde bibliothèque à Gaza même, en 2019.
N’empêche, fournir les bibliothèques en livres s’avéra difficile.
« Ce n’était pas facile de faire venir à Gaza d’autres livres pour la bibliothèque, puisqu’ils doivent passer par Israël et y être contrôlés »,
explique Mosab.
« C’est ce qui arriva en 2016 quand les livres arrivés pour la bibliothèque furent interdits pendant des mois et que certains colis furent même endommagés, surtout ceux qui avaient été offerts par le professeur Noam Chomsky. »
Mosab consacre une bonne partie de son temps à la lecture. Il a plusieurs auteurs favoris, dont Mahmoud Darwich, Gibran Kahlil Gibran, Najwan Darwich, Rabee Jaber, Naomi Shihab Nye, Mary Karr, J.R.R. Tolkien et Sinan Antoon.
De ses propres poèmes, son préféré est « Mon grand-père et sa maison ». C’est un hommage à son grand-père, qu’il n’a jamais rencontré.
En voici la première strophe :
« Mon grand-père comptait sur ses doigts les jours qui le séparaient du retour
il se servait ensuite de cailloux pour compter
il n’y en avait pas assezil se servait alors des nuages des oiseaux des gens »
« Pour moi, il est la Palestine perdue, que je ne puis visiter ; je ne puis qu’en entendre parler par d’autres »,
dit-il.
Mosab travaille pour l’instant à son premier recueil de nouvelles en arabe et à un second recueil de poèmes en anglais.
« Je rêve de voyager partout et quand j’en ai envie », dit-il, « sans le moindre souci de ne pas être en mesure de revenir. »
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Hanin A. Elholy est chercheur, écrivain et traducteur et il vit en Palestine occupée.
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Publié le 15 juillet 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine