Pourquoi Amnesty ne reconnaît-elle par le droit à la résistance des Palestiniens ?

Une analyse de colonialisme de peuplement est très importante si l’on veut éviter l’écueil consistant à traiter toute la violence dans le contexte de la Palestine en tant qu’équivalente sur le plan moral. Sans cela, des organisations comme Amnesty et HRW ont une tendance à n’analyser que les aspects techniques de la violence tout en négligeant de tenir compte des objectifs dissemblables des acteurs armés.

 

Sans une analyse de colonialisme de peuplement, des organisations comme Amnesty et HRW ont une tendance à n’analyser que les aspects techniques de la violence (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

Le 6 août dernier, le site d’une frappe aérienne israélienne dans le quartier de Sheikh Ajleen, à Gaza. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)


Maureen Clare Murphy
, 5 novembre 2022

En août dernier, les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens ont probablement commis des crimes de guerre, au cours de l’offensive préemptive de Tel-Aviv ciblant le Djihad islamique à Gaza, prétend un nouveau rapport d’Amnesty International.

À l’instar de l’analyse de Human Rights Watch (HRW), celle d’Amnesty suggère une parité morale entre la violence utilisée par Israël pour soumettre les Palestiniens, d’une part, et la violence utilisée par les Palestiniens afin de résister à une domination étrangère, d’autre part.

Il s’agit d’une position indéfendable issue d’un cadre qui ne s’appuie pas sur une analyse du colonialisme de peuplement.

Citant des chiffres de l’ONU, l’organisation de défense des droits humains, qui a son siège à Londres, dit que 49 Palestiniens ont été tués au cours de l’offensive. En s’appuyant sur ses recherches, Amnesty a déterminé que « 33 Palestiniens, dont 17 civils, ont été tués par les forces israéliennes ».

Des 16 décès restants, 14 étaient des civils et,

« dans un cas, une attaque qui a tué sept de ces civils (…) est susceptible d’avoir été causée par une roquette lancée mal à propos par une organisation armée palestinienne »,

prétend Amnesty.

Amnesty a déclaré qu’il fallait

« enquêter sur deux attaques israéliennes en tant que possibles crimes de guerres parce qu’il s’avère qu’elles avaient délibérément ciblé des civils ou des objets civils ou qu’il s’agissait d’attaques indiscriminées ».

Parmi ces attaques figure une frappe d’artillerie, le 5 août, sur une maison de Khan Younis et qui a tué Duniana al-Amour, une artiste de 22 ans.

Dans cette frappe contre la maison, Israël a utilisé un projectile de char « hautement efficace », alors que la cible militaire qui aurait pu être jugée la plus proche était en fait très largement hors de portée.

« Amnesty International croit que la maison familiale des al-Amour était bel et bien la cible voulue de l’attaque »,

déclare l’organisation dans son rapport.

L’autre attaque sur laquelle Amnesty a dit qu’il fallait enquêter en tant que crime de guerre possible est la frappe par missile, le 7 août, du cimetière d’al-Falluja à Jabaliya, au cours de laquelle cinq enfants ont été tués et un sixième grièvement blessé.

Comme dans le cas de la frappe qui a tué Duniana al-Amour, il n’y avait pas de cible militaire connue dans les parages. Des sources militaires israéliennes restées anonymes ont déclaré aux médias qu’une preuve interne indiquait que les organisations palestiniennes ne tiraient pas de roquettes au moment de l’attaque.

 

Le bénéfice du doute

Il s’avère en réalité qu’Amnesty accorde à Israël le bénéfice du doute dans certaines de ses autres attaques meurtrières, du fait que l’organisation de défense des droits

« n’a pas été en mesure d’évaluer exactement la distance entre les civils tués ou blessés et les combattants ou autres objectifs militaires qui auraient pu constituer des cibles pour les forces israéliennes ».

Ceci a empêché Amnesty

« de déterminer si les attaques avaient violé les principes de proportionnalité et de distinction dont il est question dans les lois humanitaires internationales ».

L’organisation de défense des droits dit que les frappes aériennes séparées d’Israël qui ont tué deux enfants – l’un à Shujaiyeh, l’’autre à Khan Younis – « requièrent des enquêtes plus fouillées ».

Au contraire, Amnesty affirme sans équivoque que le tir de roquettes non guidées par les organisations armées palestiniennes sur les zones peuplées de civils viole les lois humanitaires internationales en raison de la nature indiscriminée des armes.

L’apparente déférence d’Amnesty à l’égard d’Israël concernant ses frappes meurtrières dans les quartiers palestiniens surpeuplés d’une part, tout en considérant le lancement de roquettes non guidées à partir de zones civiles comme un crime de guerre inhérent d’autre part, est un beau reflet de la partialité en faveur de l’État que l’on rencontre de la part de cette autre organisation de défense des droits humains, HRW.

Dans ses rapports sur l’offensive israélienne bien plus longue et meurtrière contre Gaza en mai 2021, HRW a nuancé son langage à propos des « apparents » crimes de guerre israéliens. Et, comme le fait Amnesty dans son nouveau rapport, HRW a déclaré que le tir de roquettes non guidées à partir de (et vers des) zones civiles constituait de façon inhérente un crime de guerre.

Comme je l’ai dit à l’époque, la détermination de l’adhésion d’une partie (dans le sens d’un conflit opposant deux parties, NdT) aux lois de la guerre ne devrait pas dépendre de la question de savoir si elle peut accéder à des armes hautement sophistiquées manufacturées aux EU par des sociétés qui tirent profit de la guerre.

Une telle doctrine juridique serait exagérément et irrémédiablement partiale en faveur d’États nantis d’armées puissantes et contre des populations apatrides ou colonisées cherchant à se libérer d’une autorité oppressive et illégitime, comme c’est le cas des organisations armées palestiniennes à Gaza.


Le colonialisme de peuplement

Cette analyse, qui défie le bon sens, ne constitue pas la seule façon dont pèche le cadre d’Amnesty, malgré la valeur de ses investigations sur le terrain à Gaza et ses appels en faveur de la responsabilisation.

Amnesty déclare que le blocus contre Gaza, imposé depuis 2007,

« est un outil clé grâce auquel Israël applique son système d’apartheid afin de séparer, dominer, opprimer et fragmenter les Palestiniens au bénéfice de la population juive d’Israël ».

Par contre, dans son premier rapport en tant que rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des droits humains en Cisjordanie et à Gaza, Francesca Albanese fait savoir clairement que le siège contre Gaza fait partie du « dessin colonial de peuplement » d’Israël.

« L’endiguement de la population coloniale dans des réserves lourdement contrôlées est au cœur du dessein colonial de peuplement afin de garantir la suprématie démographique et d’empêcher l’autodétermination palestinienne »,

dit Madame Albanese.

En fin de compte, explique la rapporteuse spéciale, l’intention d’Israël est « de coloniser le territoire palestinien occupé », un but qui requiert la « dé-palestinisation » du territoire soumis à son contrôle.

En attendant, Madame Albanese déclare que la fragmentation par Israël de la souveraineté territoriale palestinienne et son

« contrôle pesant de la population palestinienne, incarnés par Gaza actuellement assiégée, sont devenus en quelque sorte une marque de fabrique de la politique israélienne de domination ».

Les divers régimes administratifs et militaires d’Israël ont été le « premier vecteur de cette fragmentation », ajoute-t-elle.

Cette fragmentation, à son tour, « a facilité la construction et la ‘protection’ des colonies exclusivement juives en territoire occupé ».

Le « système complexe de contrôle » d’Israël, qui opère au bénéfice exclusif de ses colonies de peuplement, « anéantit la possibilité pour les Palestiniens de poursuivre librement leur développement économique », déclare Madame Albanese.

« Tout étalage d’identité collective et de souveraineté proclamée ou revendiquée » de la part des Palestiniens en état de soumission « représente une menace pour le régime même »,

d’après la rapporteuse spéciale.

Les attaques israéliennes contre la culture et la collectivité palestiniennes

« démontrent bien l’intention de l’occupant de dépouiller en permanence le pays de son identité autochtone »,

ajoute-t-elle.

En d’autres termes, le système d’apartheid est un moyen d’atteindre l’objectif qu’est la colonisation de la terre palestinienne.

Incapable de bien asseoir son analyse dans cette réalité de colonialisme de peuplement, Amnesty International et les organisations qui adoptent un point de vue similaire finissent par se retrouver dans des positions très curieuses.

 

Une occupation illégale

Par exemple, dans son rapport qui a fait date sur l’apartheid israélien et qui a été publié au début de cette année, Amnesty n’adopte aucune position quant à la légalité de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza depuis 1967.

En lieu et place, l’organisation se concentre sur les obligations d’Israël, « en tant que puissance occupante, conformément aux lois internationales ».

Au contraire, dans son premier rapport adressé au secrétaire général de l’ONU, une nouvelle commission permanente d’enquête examinant le système d’oppression israélien dans son ensemble affirmait que l’occupation était illégale « en raison de son impermanence et de la politique d’annexion de facto du gouvernement israélien ».

Une analyse de colonialisme de peuplement est très importante si l’on veut éviter l’écueil consistant à traiter toute la violence dans le contexte de la Palestine en tant qu’équivalente sur le plan moral. Sans cela, des organisations comme Amnesty et HRW ont une tendance à n’analyser que les aspects techniques de la violence tout en négligeant de tenir compte des objectifs dissemblables des acteurs armés.

Il s’avère que Madame Albanese suggère ce que d’autres ont dit avant elle – que, dans le contexte de son occupation prolongée et de sa domination coloniale de peuplement, l’« autodéfense » israélienne contre les Palestiniens occupés et soumis est logiquement impossible.

 

Elle fait remarquer que

« dans le cadre de la loi sur l’autodétermination externe, l’existence même d’une occupation [prolongée] entraîne un recours illégal à la force et que, partant, elle peut donc être perçue comme un acte d’agression ».

Par conséquent, l’agression israélienne ne peut être rejetée par les allégations fréquemment invoquées de Tel-Aviv d’« autodéfense ‘préemptive’ », comme le dit Madame Albanese.

Comparez ceci avec le langage utilisé par les gens de HRW, Amnesty et leurs homologues, qui veulent simplement que la violence d’Israël soit plus « discriminée » et « proportionnée » – quoi que ces deux mots puissent signifier dans le contexte d’une disparité extrême dans la puissance militaire.

En ce qui concerne une solution politique, Madame Albanese déclare que

« tout scénario qui ne reconnaît pas les asymétries de pouvoir entre le Palestinien soumis et l’occupant (…) et qui ne s’en prend pas une fois pour toutes au colonialisme israélien de peuplement, viole le droit des Palestiniens à l’autodétermination, entre autres, dans toute une série de dispositions tout aussi importantes des lois internationales ».

Alors que les commentaires de Madame Albanese concernaient un arrangement politique négocié, le même principe devrait s’appliquer à toute analyse juridique de la violence utilisée par Israël pour faire avancer ses desseins de soumission des Palestiniens en vue de consolider son contrôle sur le territoire palestinien.


Pas d’équivalence moral

En impliquant une équivalence morale entre la violence du pouvoir colonisateur, d’une part, et celle de la population autochtone, d’autre part, les organisations de défense des droits humains obscurcissent cette relation essentielle et les motivations très différentes qui sous-tendent leur violence respective.

Sans reconnaître la relation de pouvoir entre Israël et les Palestiniens et le régime colonial de peuplement qui modèle la politique israélienne, les organisations de défense des droits humains suggèrent une parité morale entre l’usage de la force par les deux parties là où, en fait, il n’y en a pas.

Madame Albanese dit que

« le droit à l’autodétermination est le droit de vivre et de se développer en tant que peuple au sein d’une communauté politique librement choisie comme étant la sienne propre (…) Cela implique le droit de résister à la domination, la soumission et l’exploitation venues de l’étranger et qui pourraient empêcher l’accomplissement de ce droit ».

Madame Albanese ajoute que

« les luttes de libération et de décolonisation à travers l’histoire ont montré comment le droit à l’existence en tant que peuple et le droit de résister à une domination et gouvernance étrangère sont interconnectés ».

C’est dans ce contexte qu’il convient de comprendre les tirs de roquettes depuis Gaza, qui subit un siège médiéval depuis 2007. Les Palestiniens de Gaza, encerclés comme ils le sont, avec leurs dirigeants boycottés par Israël et ses puissants alliés, n’ont que très peu d’autres moyens pour tenter d’influencer la politique israélienne.

Le siège de Gaza est une menace existentielle contre laquelle les Palestiniens ont le droit de résister, comme ils ont le droit aussi de résister à toutes les tentatives israéliennes de les repousser et d’effacer leur présence de leur propre terre.

Cela ne veut pas dire que les vies palestiniennes perdues à cause de ces roquettes mal tirées valent moins que celles ravies par les missiles à grande précision et autres obus sophistiqués de l’armée israélienne. Et cela ne vaut pas dire non plus que les organisations armées palestiniennes n’ont pas d’obligations de l’un ou l’autre genre.

Mais cela veut dire que les Palestiniens ont le droit de résister, et par tous les moyens disponibles, à l’oblitération par une puissance colonisatrice étrangère.

 

Comme l’a dit Nelson Mandela dans son autobiographie,

« un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte ».

La lutte armée est impérative dans une situation d’impunité totale telle celle que procurent à Israël ses puissants alliés de l’Atlantique Nord.

Malgré des différences dans leurs analyses, c’est sur la fin de cette impunité que les observateurs de la situation des droits humains en Palestine – dont Amnesty, la rapporteuse spéciale de l’ONU et de la commission d’enquête, et HRW – se retrouvent en terrain commun.

Amnesty International invite la Cour pénale internationale (CPI) à

« enquêter sur les attaques illégales – en tant que crimes de guerre – effectuées durant l’offensive israélienne d’août contre la bande de Gaza ».

Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU, invite la CPI et les mécanismes universels de jurisprudence à réclamer des comptes à ce propos.

Et la commission d’enquête de l’ONU recommande que le procureur principal de la CPI « donne la priorité à l’enquête » en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

La commission ajoute qu’en sus de

« l’identification des perpétrateurs directs et de ceux qui exercent des responsabilités de commandement », la cour devrait « enquêter sur les personnes qui aident, facilitent ou soutiennent de quelque autre façon la perpétration de crimes dans le cadre du Statut de Rome, y compris en fournissant les moyens de leur perpétration ».

Et si toutes les possibilités de justice internationale s’avèrent fermées aux Palestiniens, peut-être Amnesty International et Human Rights Watch pourraient-elles envisager de faire campagne pour que soient fournies des armes de précision aux organisations armées de Gaza.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 5 novembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

 

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