L’enquête du FBI sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh : une tentative de dissimulation ?

On rapporte que le département de la Justice à Washington a informé son homologue israélien que le FBI enquête sur la mort de Shireen Abu Akleh, six mois après sa mort au moment où elle couvrait un raid militaire israélien dans le nord de la Cisjordanie occupée.

Les responsables israéliens ont dit qu’ils avaient été informés que le FBI avait ouvert une enquête sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh en mai dernier. (Photo : Rahaf Aziz / APA images)

Les responsables israéliens ont dit qu’ils avaient été informés que le FBI avait ouvert une enquête sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh en mai dernier. (Photo : Rahaf Aziz / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 16 novembre 2022

Shireen Abu Akleh, de citoyenneté américaine, avait été touchée à la tête, alors qu’elle portait un casque et un gilet de protection l’identifiant comme faisant partie de la presse.

Les dirigeants israéliens disent que le gouvernement va refuser de coopérer avec l’enquête américaine. L’armée israélienne a elle-même mené une enquête, concluant que l’un de ses soldats est probablement responsable de ce qu’elle a décrit comme l’homicide accidentel de la journaliste.

L’Autorité palestinienne, ainsi que des enquêtes indépendantes menées par des organes de presse, des organisations des droits humains et les Nations unies, ont estimé que Shireen Abu Akleh avait été tuée par la balle sciemment ajustée d’un tireur d’élite israélien, une balle dont Al Jazeera, l’employeur de Shireen Abu Akleh, prétend qu’elle a été manufacturée aux EU.

Le statut de Shireen Abu Akleh qui, en tant que citoyenne américaine et éminente correspondante d’Al Jazeera avait été tuée dans l’exercice de sa profession, a engendré des pressions inhabituelles sur l’administration Biden afin qu’elle lance une enquête fédérale.

L’imputation de responsabilité

La famille de la journaliste a insisté inlassablement en faveur de la responsabilisation en rendant visite à des députés à Washington, et ce, après avoir été snobée par le président Joe Biden au cours de son voyage en Israël et en Cisjordanie en juillet dernier.

Mardi, Lina Abu Akleh, la nièce de Shireen, a tweeté une déclaration de sa famille accueillant favorablement les informations à propos d’une enquête américaine.

« Notre famille réclame dès le début une enquête américaine et c’est ce que les États-Unis devraient faire quand un citoyen américain est tué à l’étranger, et tout particulièrement quand il est tué, comme Shireen, par un militaire étranger.”

 

Jusqu’à présent, l’administration américaine a traité l’homicide de Shireen Abou Akleh – comme celui d’environ 200 autres Palestiniens abattus en Cisjordanie et à Gaza cette seule année – à peine plus qu’à la façon d’un problème de RP, tout en faisant allusion à plusieurs reprises aux mécanismes d’auto-enquête discrédités depuis longtemps.

Le département d’État a annoncé le 4 juillet, un jour férié important aux EU, que son enquête avait conclu que c’était probablement une balle israélienne qui avait tué Shireen Abu Akleh, mais il ajoutait, sans explication, qu’il n’y avait « aucune raison de croire » que la journaliste avait été ciblée délibérément

Les US ont insisté auprès d’Israël pour qu’il revoie ses règles d’engagement, mais ont subi une rebuffade de Tel-Aviv quand le Premier ministre sortant, Yair Lapid, a déclaré péremptoirement que

« personne n’allait nous dicter des réglementations en matière d’engagement quand nous nous battons pour nos vies ».

Lapid a similairement rejeté une enquête américaine en déclarant, pendant son discours lors de l’inauguration du prochain Parlement d’Israël, mardi, que

« les soldats des FDI [Forces de défense israélienne] ne seront pas interrogés par le FBI ni par aucune autre institution ou pays étranger, même si c’est en toute amitié ».

« Nous n’abandonnerons pas les soldats des FDI à des enquêtes étrangères et nos protestations musclées ont été adressées aux Américains aux niveaux adéquats »,

a ajouté Lapid.

 

Les hauts responsables israéliens ont indiqué qu’ils étaient assurés que l’enquête du FBI était un geste symbolique mais, comme l’a dit Ben Samuels, un correspondant à Washington du quotidien Haaretz de Tel-Aviv :

« La décision même est une étape importante dans une campagne vraiment sans précédent émanant de membres démocrates du Congrès qui poussent une administration démocrate à adopter une position ferme contre Israël. »

Samuels d’ajouter que, quel que soit le résultat,

« la démarche est à la fois un exemple frappant et un signe avant-coureur de choses à venir concernant l’évolution des relations du Parti démocrate avec Israël – particulièrement quand on voit le Premier ministre attendu Benjamin Netanyahou se mettre à constituer une coalition de la droite extrême sans précédent ».


« Véritablement sans précédent »

Lundi, plus d’une douzaine de députés démocrates dirigés par André Carson, de l’Indiana, ont introduit la « Loi Justice pour Shireen » afin de réclamer une enquête américaine sur le meurtre de Shireen Abu Akleh.

Plus tôt, plus de la moitié des démocrates du Sénat, dirigés par Chris Van Hollen du Maryland, avaient signé une lettre demandant une enquête du FBI.

Josh Ruebner, qui enseigne à l’Université de Georgetown et qui étudie les relations américano-israéliennes, a déclaré à The Electronic Intifada que l’enquête du FBI « est véritablement sans précédent ».

Ruebner d’ajouter :

« C’est la première fois que les EU enquêtent sur le meurtre par Israël d’une citoyenne américaine et il est à espérer qu’il s’agit d’un tournant vers une situation dans laquelle Israël sera tenu responsable de ses atrocités contre les Palestiniens et de ses violations des lois américaines. »

Il a en outre fait remarquer que, s’il était adopté, le projet de loi de Carson

« allait fournir au Congrès les informations détaillées afin de tenir Israël responsable des violations des lois américaines, ce qui résulterait potentiellement en une interruption des livraisons d’armes ».

Les EU fournissent à Israël une base de 3,8 milliards de USD en assistance militaire annuelle, comme le stipule la loi, apparemment en contradiction avec une autre législation qui interdit ce genre d’aide à des armées étrangères qui violent les droits.

La Loi Leahy, de 1997, interdit aux EU de fournir de l’assistance militaire à des unités d’armées étrangères quand on dispose d’informations crédibles disant que ces unités ont violé les droits humains en toute impunité.

Le Comité de protection des journalistes a accueilli les rapports d’une enquête du FBI comme une

« première étape tardive mais importante vers l’obtention potentielle de la justice dans cette affaire ».

 

« Une incapacité de garantir la justice »

Le Comité national BDS palestinien, l’institution pilote du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions, a déclaré que l’enquête du FBI « ne devait pas se terminer comme une nouvelle tentative de dissimulation ».

Le BNC a fait remarquer que

« l’incapacité du FBI de garantir la justice dans de précédentes affaires de meurtre d’Américains arabes impliquant Israël n’était pas de bon augure pour son enquête actuelle »,

une référence apparente à l’assassinat en 1985 du dirigeant des droits civiques Alex Odeh à Santa Ana, en Californie.

L’un des principaux suspects du FBI dans ce crime est Baruch Ben Yosef, un disciple du rabbin Meir Kahane, dont les enseignements ont inspiré, en 1994, le massacre de la mosquée Ibrahimi qui avait laissé sans vie 29 Palestiniens, hommes et garçons, sur le site sacré de Hébron.

Non seulement Ben Yosef vit aujourd’hui en liberté en Israël, mais Itamar Ben-Gvir, un suprémaciste juif et disciple de Kahane, est actuellement faiseur de roi dans le nouveau gouvernement de coalition d’ultra-droite dirigé par Benjamin Netanyahou.

 

Pendant ce temps, l’administration Biden s’oppose à une enquête sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh par la Cour pénale internationale (CPI). Le porte-parole du département d’État, Ned Price, a déclaré que ce n’était pas « une démarche appropriée ». Pourtant, au cours du même briefing de presse, Price a dit que la Maison-Blanche avait accueilli favorablement l’enquête de La Haye sur les crimes de guerre en Ukraine.

La semaine dernière, les EU ont voté contre une résolution de l’ONU réclamant un avis consultatif non contraignant de la part de la Cour pénale internationale à propos de l’occupation et la colonisation prolongées par Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.

La mesure, introduite par le comité de décolonisation de l’institution mondiale, a été approuvée par une large majorité : 98 pays ont voté pour, 52 se sont abstenus et 17 ont voté contre. La résolution ira à l’Assemblée générale pour un vote final.

 

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

 

 

 

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Publié le 16 novembre 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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