Ethel Minor et Fatima Bernawi : deux femmes, deux pays, un seul et même combat

À l’annonce du décès d’Ethel Minor, Mawusi Ture, sœur de feu Kwame Ture (Stokely Carmichael), se lamenta :

« Je suis triste d’avoir appris, il y a quelques instants à peine, que notre sœur et camarade bien-aimée, Ethel Minor, a rejoint les ancêtres. Certaines d’entre vous qui sont impliquées dans le mouvement, particulièrement dans la solidarité avec le mouvement propalestinien et antisioniste, connaissent le travail politique courageux d’ Ethel. Elle est bien connue pour avoir été la personne qui a dirigé la voie vers l’éducation politique du SNCC (Comité de coordination non violent des étudiants) et du mouvement élargi des droits civiques au sujet de la Palestine et du sionisme, etc. »

« Puisse-t-elle reposer dans sa force », concluait Mawusi Ture, « puissions-nous poursuivre son œuvre ‘pour une Palestine libre du sionisme’ ».

Mawusi Ture a poursuivi le travail de solidarité entamé par feu son frère. Elle m’a demandé de rédiger cet article, ce qui a constitué en même temps un défi et un honneur.

Des artistes palestiniens peignent l’effigie de George Floyd sur les murs du bureau de l’UNRWA à Gaza. (Photo : via le site Internet de l’UNRWA)

Des artistes palestiniens peignent l’effigie de George Floyd sur les murs du bureau de l’UNRWA à Gaza. (Photo : via le site Internet de l’UNRWA)


Benay Blend
, 5 décembre 2022

Le 21 septembre 2022, Ethel Minor a opéré son passage vers un autre monde. Révolutionnaire africaine née à Chicago, dans l’Illinois, elle a étudié la communication de masse en Colombie, en Amérique du Sud, au début des années 1960. C’est là qu’elle rencontra des Palestiniens qui avaient fui leur patrie au cours de la Nakba de 1948. Les relations qu’elle développa là allaient influencer son travail militant dès son retour aux États-Unis.

En 1964, Ethel Minor s’installe à New York, où elle devient l’une des secrétaires et traductrices de Malcolm X. Elle travaille également en qualité de directrice administrative de l’Organisation de l’Unité afro-américaine et comme agente de liaison avec les communautés africaines, hispanophones et arabes/palestiniennes à New York, ainsi qu’avec les Nations unies et les médias.

En 1966, à l’âge de 33 ans, Ethel Minor s’installe à Atlanta où elle rallie le staff national du SNCC. Elle devient la secrétaire de Kwame Ture, rédacteur en chef du bulletin d’information du SNCC et, entre 1966 et 1968, elle fait partie du personnel de son département national des communications.

En 1967, lorsqu’éclate la guerre « arabo-israélienne » des Six-Jours, le SNCC a déjà entamé le rattachement du combat pour la liberté des noirs aux États-Unis aux luttes anticoloniales dans le monde entier. En tant que rédactrice en chef, Ethel Minor rédige un article condamnant la violence de l’État sioniste à l’égard des Palestiniens.

De façon prévisible, bien des gens reprochent à son langage d’être antisémite et certains donateurs du SNCC annulent même leur soutien. En réponse, le 15 août 1967, le SNCC sort une déclaration de suivi intitulée « La crise du Moyen-Orient ».

Elle reprend de nombreuses remarques soulevées dans l’article d’Ethel Minor, mais ajoute de l’information au sujet de l’Holocauste, de la répression des voix juives américaines qui protestent contre le sionisme, et du soutien accordé par les États-Unis au sionisme. Et elle conclut :

« Messieurs, c’est manifestement une question de bien ou de mal.
Au Moyen-Orient, l’Amérique a travaillé en se servant du puissant mouvement sioniste organisé pour s’emparer du pays d’un autre peuple et pour remplacer ce peuple par un partenaire qui a bien servi les desseins de l’Amérique, un partenaire qui peut aider les États-Unis et d’autres pays occidentaux blancs à exploiter et contrôler les nations d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie ! »

Dans « Third World Alliances : Arab-American Activists in American Universities, 1967-1973 » (Alliances tiers-mondistes : les activistes arabo-américains dans les universités américaines, 1967-1973), Pamela Pennock décrit l’étroite relation qui s’est développée entre les activistes du SNCC et l’Organisation des étudiants arabes (OAS). En effet, les membres de l’OAS défendaient la position du SNCC et, lors de leur convention de 1967, ils faisaient passer une résolution identifiant

« les similitudes sous-jacentes entre la lutte continue des Arabes palestiniens en Palestine occupée contre l’invasion et l’exploitation sionistes, et la résistance sans cesse croissante des Afro-Américains des États-Unis à une structure de pouvoir reposant sur l’inégalité ».

La mise sur pied d’une alliance par Ethel Minor s’étendit à La Alianza Federal de Mercedes (Alliance fédérale de répartition des terres) de Reies López Tijerina, constituée en vue de revendiquer des concessions de terres espagnoles et mexicaines au Nouveau-Mexique. Comme le rappelle Maria Varela :

« En 1967, le SNCC a envoyé une délégation composée de cinq d’entre nous à une conférence multiculturelle rassemblée par Reies Lopez Tijerina à Albuquerque, afin de signer un traité de paix, d’harmonie et d’assistance mutuelle.

Ralph Featherstone, Willie Ricks, Ethel Minor, Freddie Greene et moi-même constituions cette délégation. C’était probablement la première fois qu’un grand nombre de membres de l’Alliance rencontraient des noirs.

Ethel mit tout le monde à l’aise quand elle s’adressa en espagnol à la convention, qui regroupait plus de 500 personnes.

Tous, nous nous rendîmes en montagne plus tard cette même semaine, et nous y rencontrâmes une famille d’admirateurs de Malcolm X et reçûmes une collection de clips nouveaux à son sujet.

Ethel était très étonnée et elle a ressenti un lien particulier avec ces personnes du fait qu’elle était très proche de Malcolm. »

 

Peu après le décès d’Ethel Minor, une autre combattante est décédée. Le 3 novembre 2022, Fatima Bernawi, la première prisonnière politique palestinienne de l’époque révolutionnaire palestinienne moderne, est morte à l’âge de 83 ans.

Les deux femmes n’ont pu se rencontrer mais, spirituellement, toutes deux partageaient une origine africaine et ont participé à la lutte pour la libération de la Palestine.

Il était approprié que Samidoun, le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens, publie un éloge funèbre de Fatima Bernawi, une participante au mouvement des prisonniers palestiniens qui, toute sa vie durant, a combattu pour la justice.

Née à Jérusalem d’un père nigérian et d’une mère palestinienne, elle avait grandi dans une communauté de l’Afrique subsaharienne venue à Jérusalem en pèlerinage ou pour y faire du commerce et qui était restée dans la ville afin d’y élever ses familles.

Après que Fatima Bernawi eut rallié le mouvement Fatah, elle était devenue l’une des premières femmes à préparer la lutte armée en Palestine,

« elle avait rejoint la révolution palestinienne à un stade précoce et avait joué un rôle clé dans la mise en place des cellules organisationnelles et de guérilla du mouvement Fatah à l’intérieur des territoires occupés »,

a déclaré le mouvement Fatah.

Un tribunal de l’armée israélienne l’avait condamnée à la prison à vie pour avoir placé des explosifs dans un cinéma sioniste populaire parmi les soldats israéliens à Jérusalem-Ouest. À l’époque, ce cinéma proposait un film qui glorifiait l’agression sioniste.

« Avec Dalal al-Mughrabi, Shadia Abu Ghazaleh et Leila Khaled »,

conclut l’éloge funèbre présenté par Samidoun,

« Fatima Bernawi est restée un symbole de la détermination et de l’engagement des femmes palestiniennes de libérer par tous les moyens leur patrie du fleuve à la mer. »

Elle avait été libérée le 11 novembre 1977 dans le cadre d’un accord d’échange de prisonniers.

Les voies des deux femmes ne se sont jamais croisées physiquement, mais les combats qu’elles ont menés l’ont très souvent fait. À l’occasion du décès de Fatima Bernawi, Within Our Lifetime – United for Palestine a rappelé qu’en août 1968, alors qu’il avait pris la parole à la convention de l’OAS à Ann Arbor, dans le Michigan, Kwame Ture avait déclaré :

« Les jeunes vont conduire leur monde arabe à la victoire. Ils vont le diriger à la façon dont le fait Fatima Barnawi (…) Oui, vous tous, vous devriez vous muer en Lady Fatima ! »

Plus récemment, il est vrai que le Comité d’action communautaire de Jacksonville (JCAC) a lui aussi rendu hommage à Fatima Bernawi. Il s’agit d’une organisation de masse dirigée par des noirs et créée pour lutter en faveur de la justice et de la libération.

Ses membres poursuivent le travail d’Ethel Minor en plaçant la Palestine au cœur de la lutte internationale.

« Fatima était une combattante de la liberté et elle nous a enseigné comment nous battre ! » Et nous combattrons jour et nuit jusqu’à ce que nous obtenions gain de cause ! »,

a déclaré le JCAC peu de temps après le décès de la combattante de la résistance.

Fatima Bernawi fut une « pionnière » – la première prisonnière politique palestinienne de la lutte moderne. Elle accepta ce titre avec bien plus de grâce que ne le font maintes « pionnières » de nos jours.

Elle avait compris qu’elle devait beaucoup aux femmes qui étaient venues avant elle et elle espérait que son héritage allait inspirer celles qui viendraient après elle.

D’après Samidoun, elle prenait toujours bien soin

« de citer des compagnes palestiniennes qui avaient été emprisonnées au cours des deux précédentes décennies d’occupation, y compris de nombreuses femmes arrêtées, détenues dans des camps de travail forcé et soumises à d’incroyables violences de la part des soldats de l’occupation au cours de la Nakba »,

ainsi que d’autres qui avaient été soumises à des châtiments sévères de la part des sionistes.

Dans son tribut à Ethel Minor, le Parti révolutionnaire des peuples panafricains (AAPRP) faisait remarquer qu’elle aussi appréciait la valeur de l’organisation collective.

Ethel Minor était un « orage tranquille », dit encore l’hommage, qui, à sa façon plutôt effacée, a fait l’histoire.

« La divulgation de la liste des animateurs et organisations qu’elle a aidés »,

dit la déclaration,

« et la mention de leurs contributions – et des siennes – dans les réalisations du Mouvement vont secouer le monde et modifier à jamais le discours de l’histoire. »

Afin de vraiment honorer son héritage,

« des armées de jeunes femmes révolutionnaires africaines, palestiniennes, autochtones, hispaniques, latino-américaines, européennes et autres, doivent être inspirées, mises en mesure et avoir la possibilité de contribuer à archiver, écrire et filmer l’histoire d’Ethel.”

Espérons que ces histoires, à leur tour, traverseront les frontières pour reprendre son travail avec les Palestiniennes, les Colombiennes, la Nation de l’Islam, le SNCC, l’Alliance, de façon à pouvoir continuer à promouvoir sa perspective mondiale.

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Benay Blend a décroché son doctorat en Études américaines à l’Université du Nouveau-Mexique. Ses travaux universitaires portent sur : Douglas Vakoch et Sam Mickey, Éditeurs (2017), « Neither Homeland Nor Exile are Words : Situated Knowledge in the Works of Palestinian and Native American Writers » (Ni patrie ni exil ne sont des mots : Connaissance située dans les œuvres d’auteurs palestiniens et américains autochtones).

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Publié le 5 décembre 2022 sur The Palestine Chronicle
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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