L’UE donne le feu vert à Israël pour qu’il détruise l’aide des donateurs
Ali Abunimah, 13 janvier 2023
Israël ignore les requêtes que lui adresse l’UE afin d’obtenir des compensations pour ses destructions et vols de projets financés par l’UE en Cisjordanie occupée.
Et Bruxelles n’intervient absolument pas là-dedans.
Cette révélation passablement surprenante est venue dans une réponse de la Commission européenne – le bras exécutif de l’UE – à une question soulevée par deux douzaines de membres du Parlement européen. (*)
Les députés ont fait remarquer que, depuis 2016, Israël avait démoli en Cisjordanie occupée, y compris Jérusalem-Est, des structures financées par l’EU et évaluées en tout à près de 2,5 millions de USD.
Au cours du seul mois de juin, les forces d’occupation ont délivré des ordonnances de démolition ou de cessation de travaux concernant plus de 50 structures financées par l’UE ou par des États membres à titre individuels, pour une valeur de 250 000 USD supplémentaires.
« Ç’a été le nombre le plus élevé de structures d’aide exposées au risque d’être démolies en un seul mois, depuis que l’Agence de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) s’est mise à les répertorier »,
ont fait remarquer les députés.
Ces deux dernières décennies, selon les estimations d’une organisation des droits de l’homme, Israël a détruit des projets financés par l’UE pour un montant de plusieurs dizaines de millions de USD.
Nettoyage ethnique
À de multiples reprises, Bruxelles a demandé à Israël de rembourser les destructions infligées à la propriété des contribuables de l’UE, mais les députés ont fait remarquer que
« la Commission avait admis que le recours aux canaux diplomatiques et politiques ne s’était pas avéré fructueux ».
Par conséquent, ont ajouté les députés,
« Israël n’a pas vu de répercussions suite à ses démolitions illégales et à ses abus à l’égard des droits humains ».
Cette impunité demeure intacte, selon Janez Lenarčič, le commissaire européen qui a répondu à la question des députés.
« En un certain nombre d’occasions, il a été demandé à Israël de restituer – ou de proposer des compensations – les biens financés par l’UE qui ont été démolis, démantelés ou confisqués par Israël »,
a déclaré Lenarčič, mais la demande est restée sans réponse.
Lenarčič a réaffirmé que l’UE considère les démolitions et la colonisation par Israël de la terre palestinienne occupée comme illégales.
Néanmoins,
« il n’y a pas eu la moindre discussion autour d’une liste d’options possibles en vue de garantir des compensations de la part d’Israël pour le financement européen perdu dans les démolitions »,
a admis Lenarčič.
Cette approche passablement laxiste contraste fortement avec la façon dont Bruxelles applique des sanctions à d’autres pays.
« Nous avons une UE qui sanctionne, isole et condamne de nombreuses nations du monde entier pour des infractions perçues aux droits de l’homme et, parfois même, l’UE cible le peuple de certains pays parce qu’il élit des dirigeants que le capital financier européen perçoit comme une menace à ses intérêts »,
a expliqué à The Electronic Intifada Mick Wallace, l’un des parlementaires européens qui ont signé la question.
« Les crimes de ces nations mis ensemble n’approcheraient même pas les horreurs perpétrées par les Israéliens contre le peuple palestinien »,
a ajouté Wallace, qui représente l’Irlande au sein du groupe parlementaire de la gauche.
Esquiver ses responsabilités
Renvoyant la balle, Lenarčič a dit aux députés que
« c’est au Conseil, agissant à l’unanimité, qu’il revient de décider de la possible adoption de mesures restrictives de l’UE ».
Le Conseil européen, constitué de représentants des gouvernements du bloc, est en effet responsable de l’adoption des « mesures restrictives » – les sanctions, dans le jargon de l’UE.
Mais la procédure de l’UE veut que
« les décisions portant sur l’adoption, le renouvellement ou la levée de régimes de sanctions soient prises par le Conseil de l’Union européenne, sur base des propositions émanant du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique sécuritaire ».
Le haut représentant, effectivement le ministre européen des Affaires étrangères – actuellement Josep Borrell –, a des allures d’hybride institutionnel. En sus qu’il dirige un service diplomatique, Borrell fait également partie de la Commission européenne.
Ce à quoi cela revient, c’est que la première étape serait que la Commission elle-même établisse une liste des sanctions proposées contre Israël, et cela, l’institution ne l’a pas fait, admet Lenarčič.
Récemment, Borrell a admis que l’UE était effectivement une marionnette de Washington, ce qui peut contribuer à expliquer son inaction.
Ainsi donc, que fait Bruxelles, en dehors de se contenter de déclarations de principe ?
Selon Lenarčič,
« l’UE s’engage dans une défense d’intérêts publics qui comprend de fréquentes visites de diplomates dans différents sites des territoires palestiniens occupés ».
Il s’agit manifestement d’une allusion aux montages photographiques réguliers mis en scène par les diplomates européens qui ne font absolument rien pour freiner Israël, mais servent à blanchir frauduleusement Bruxelles comme si c’était un protecteur et un défenseur des droits palestiniens.
1/2 In yesterday's visit to Hebron governorate, EU🇪🇺 and like-minded countries gained first hand information on the latest developments Palestinians are facing, notably settler attacks, demolitions, and mounting violence. pic.twitter.com/M7TBLKTkt5
— EU and Palestinians (@EUpalestinians) December 20, 2022
Une bonne partie des destructions récentes ont eu lieu à Masafer Yatta, une zone située au nord de Hébron et sur laquelle Israël concentre ses opérations de nettoyage ethnique, de vol de terres et de colonisation de peuplement.
Ce mois-ci, l’armée israélienne a révélé qu’elle prévoyait d’expulser imminemment 1 000 Palestiniens de la zone, dont une moitié d’enfants – ce qui constitue un crime de guerre.
Pourtant, malgré cela, Bruxelles maintient sa proche adhésion et son soutien matériel à Israël et à ses lobbyistes les plus obstinés – donnant ainsi, effectivement, le feu vert à Tel-Aviv pour qu’il poursuive et même accélère son œuvre de destruction et de nettoyage ethnique.
« Qu’importe ce que fait l’administration israélienne – même si elle bombarde et détruit volontairement des infrastructures financées par l’UE – les contrats d’armes avec l’UE continuent d’affluer, de même que les donations, les investissements et les financements »,
a déclaré le député européen Mick Wallace.
Et d’ajouter :
« Il ne peut y avoir d’autre conclusion que celle-ci : Les brutalités perpétrées contre l’humanité en Palestine et ailleurs par cet appareil étatique israélien de plus en plus à l’extrême droite sont complètement en ligne avec les valeurs européennes. »
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse
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Publié le 10 janvier 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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(*) Grace O’Sullivan (Verts/ALE), Irena Joveva (Renew), Margrete Auken (Verts/ALE), Petros Kokkalis (The Left), Jordi Solé (Verts/ALE), Izaskun Bilbao Barandica (Renew), Clare Daly (The Left), Mick Wallace (The Left), Matjaž Nemec (S&D), Alviina Alametsä (Verts/ALE), Saskia Bricmont (Verts/ALE), Ciarán Cuffe (Verts/ALE), Nora Mebarek (S&D), Mounir Satouri (Verts/ALE), Giuliano Pisapia (S&D), Damien Carême (Verts/ALE), Manu Pineda (The Left), Karen Melchior (Renew), Francisco Guerreiro (Verts/ALE), Miguel Urbán Crespo (The Left), Rosa D’Amato (Verts/ALE), Hilde Vautmans (Renew), Ivan Vilibor Sinčić (NI), Billy Kelleher (Renew)