Les mythes bibliques servant à justifier la conquête de la Palestine appartiennent aux poubelles de l’histoire

Les partisans de la lutte anticoloniale palestinienne ne devraient pas accorder la moindre légitimité à ces fictions sionistes : elles restent la pierre angulaire des revendications coloniales israéliennes visant à convaincre les chrétiens et les juifs occidentaux, ainsi que, plus généralement, les libéraux laïques, que leur Dieu et leurs spécialistes des sciences raciales sont ceux-là mêmes qui ont autorisé les sionistes à conquérir et voler la terre natale des Palestiniens. Ces élucubrations n’ont pas leur place chez les anticolonialistes. Il n’y a de place appropriée pour elles que dans la poubelle de l’histoire coloniale.

14 octobre 2022. Une femme brandit un calicot disant « Non à l’occupation » au cours d’un rassemblement organisé par des activistes étrangers, palestiniens et israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée.

14 octobre 2022. Une femme brandit un calicot disant « Non à l’occupation » au cours d’un rassemblement organisé par des activistes étrangers, palestiniens et israéliens dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée. (Photo : AFP)

 

Joseph Massad, 9 janvier 2023

Le vote récent par l’Assemblée générale des Nations unies afin de simplement « demander » à la Cour internationale de justice un « avis » sur les conséquences juridiques de l’occupation par Israël des territoires palestiniens ne change rien à la colonisation de peuplement sioniste de la Palestine toujours en cours.

Il ne change rien non plus à l’engagement de l’Organisation sioniste mondiale à l’égard de la suprématie juive, engagement que l’organisation a transmis au régime israélien une fois que les colons sionistes ont eu conquis la majeure partie de la Palestine et proclamé leur colonie de peuplement en tant qu’« État juif » en 1948.

Il n’aura aucun impact non plus pour annuler la série de lois suprémacistes juives promulguées par Israël depuis sa création et qui ont continué d’opprimer les Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur du contrôle de l’armée israélienne.

Les pays qui ont voté contre la résolution de l’ONU ou qui se sont abstenus sont surtout des pays colonisateurs actuels, y compris des colonies de peuplement dans les Amériques, ainsi qu’une poignée de régimes clients occidentaux.

Il est significatif que le Royaume-Uni, qui a sponsorisé et facilité la colonisation sioniste de la Palestine et que la plupart des Palestiniens tiennent pour responsable de leur Nakba historique et en cours, a eu l’audace de voter contre la résolution.

Et l’Allemagne de même, dont l’expression post-nazie de repentance pour ses crimes génocidaires contre les juifs se manifeste dans son soutien à la colonisation sioniste et à l’oppression des Palestiniens.

Il va également sans dire que la plus puissante colonie de peuplement du monde, les États-Unis, qui a été de tout temps le principal sponsor impérialiste d’Israël, s’est opposée elle aussi à la résolution.

 

Confondre le judaïsme et le sionisme

Le roi nouvellement couronné d’Israël, Benjamin Netanyahou, a prestement répondu au vote de l’ONU :

« Les juifs ne sont pas des occupants de leur propre terre ni des occupants de notre capitale éternelle Jérusalem et aucune résolution de l’ONU ne peut fausser cette vérité historique. »

Netanyahou a absolument raison quand il dit « les juifs ne sont pas des occupants » de la terre des Palestiniens.

C’est le mouvement sioniste, le gouvernement israélien et les colons israéliens qui en sont les occupants, et non le peuple juif que Netanyahou souhaite confondre via la démarche antisémite habituelle qui renvoie les crimes sionistes dans les pieds du peuple juif.

Dans une déclaration qui a précédé le vote de l’ONU, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Gilad Erdan, a fait savoir qu’

« aucun corps international ne peut décider que les juifs sont des ‘occupants’ de leur propre patrie ».

« Toute décision émanant d’un corps judiciaire qui reçoit son mandat d’une ONU moralement en faillite et politisée est totalement illégitime »,

a-t-il ajouté.

 

Une « fiction de première »

En couvrant le vote de l’ONU, Reuters fait remarquer :

« En y ajoutant Gaza et Jérusalem-Est, les Palestiniens demandent à faire de la Cisjordanie occupée un État. La plupart des pays considèrent les colonies d’Israël là-bas comme illégales, et c’est un point de vue qu’Israël remet en question en citant les liens historiques et bibliques à la terre. »

Ces supposés « liens historiques et bibliques à la terre » constituent en effet le nœud des visées sionistes sur la terre des Palestiniens et ils incluent l’assertion préalable que « les juifs » vivaient en Palestine il y a deux millénaires et qu’ils étaient ses seuls occupants.

Mais les gens qui vivaient en Palestine il y a deux millénaires étaient les Hébreux et non « les juifs » (un concept d’une invention très nettement postérieure) et les Hébreux n’y ont jamais vécu seuls.

En effet, dans le discours biblique juif, tel qu’on le trouve dans le livre de Josué, les Hébreux n’étaient pas natifs de Palestine mais avaient en fait conquis la terre de Canaan sur les Cananéens et l’avaient occupée, en prétendant que leur Dieu la leur « avait promise ».

La fiction la plus significative qui persiste, c’est que, par extraordinaire, les juifs modernes sont les descendants directs, et les seuls, des anciens Hébreux !

Cette affirmation s’appuie sur l’hostilité historique de l’Église catholique envers les Juifs européens, qu’elle a associés aux anciens Hébreux en tant qu’« assassins du Christ » mais, avec plus d’emphase encore, elle s’appuie sur les ambitions millénaristes de la Réforme protestante de chasser les Juifs d’Europe vers la Palestine, ce qui, prétendaient les protestants, allait hâter la seconde venue de Jésus Christ.

Le fait que de nombreux juifs religieux avaient cru historiquement qu’ils venaient de Palestine équivaut à la revendication des musulmans indiens, chinois, indonésiens, nigérians ou malaisiens disant qu’ils sont originaires de la péninsule arabe pour la simple raison que c’est le lieu de naissance de leur foi.

Les sionistes rejettent ces analogies en insistant sur une prétention plus fictive encore disant qu’alors que l’islam et le christianisme étaient des religions missionnaires, le judaïsme ne l’était pas.

Cette fausse affirmation a été infirmée par des intellectuels qui, à l’aide de preuves historiques claires, ont montré de façon irréfutable que le judaïsme, bien sûr, avait été une religion missionnaire, avec des conversions de masse qui s’étaient poursuivies au moins jusqu’au neuvième siècle.

 

Les allégations sionistes

Une autre allégation sioniste veut que les Arabes palestiniens soient les descendants des conquérants musulmans arabes du septième siècle. Mais cela aussi est faux : La conquête arabe n’a pas été une conquête de peuplement colonial, mas plutôt une conquête missionnaire et territorialement expansionniste.

La plupart des peuples autochtones du territoire syrien sous domination byzantine, y compris les Ghassanides chrétiens syro-arabes, sont restés majoritaires après la conquête des Arabes musulmans.

Il allait falloir cinq longs siècles, que ce soit en Palestine ou en grande Syrie, ou en Égypte (où les choses allaient prendre plus de temps encore), pour que la majorité des habitants qui avaient été chrétiens se convertissent à l’islam – même s’ils avaient adopté la langue et la culture arabes bien plus tôt – y compris la plupart des églises chrétiennes autochtones des régions conquises.

En effet, très peu d’Arabes se rendirent dans les territoires conquis et ceux, peu nombreux, qui le firent s’établirent dans les villes.

Quand les Croisés conquirent la Palestine au 11e siècle, la majeure partie de la population locale à être victime des carnages et des pillages des Croisés était constituée de chrétiens arabophones (auxquels s’ajoutait la minorité des musulmans arabophones).

C’est ce qui amena les pères fondateurs de la colonie juive de peuplement, David Ben-Gurion et Yitzhak Ben-Zvi, peut-être dans un moment d’une rare sobriété, de prétendre dans un livre de 1919, à la rédaction duquel ils avaient tous deux participé, que la majorité des Palestiniens autochtones étaient en fait les descendants des anciens Hébreux qui avaient été convertis au christianisme, puis à l’islam – une allégation que les sionistes, aujourd’hui, désirent enterrer complètement.

Prenant l’arabité pour une catégorie raciale plutôt que pour une identité linguistique et culturelle, les puissances coloniales européennes, très racialisées, ont cherché à diviser les Arabes en prétendant que les Égyptiens, les Irakiens, les Nord-Africains, les Maronites et bien d’autres n’étaient pas en fait des Arabes mais des peuples conquis par les Arabes, voulant dire ainsi qu’ils avaient été arabisés.

Cette allégation n’est pas contestée par le nationalisme arabe, qui insiste toutefois en disant que les Arabes sont en fait les gens dont la langue maternelle est l’arabe.

 

Les allégations autochtones

Une autre allégation coloniale sioniste disant à la fin du 19e siècle que les Juifs européens avaient le « droit » de « retourner » dans leur ancienne patrie supposée n’affichait pas grand-chose de neuf non plus.

L’allégation avait déjà été formulée par les Français quand ils avaient colonisé l’Algérie et par les Italiens quand ils avaient fait de même avec la Libye – à savoir qu’ils « retournaient » dans les terres de l’ancien Empire romain et que, par conséquent, ils n’étaient pas des colonisateurs étrangers.

Cependant, même quand les Britanniques ont colonisé l’Inde, ils n’ont jamais prétendu qu’ils y « retournaient ». Les Européens « aryens » qui prétendre descendre des tribus indo-européennes originaires du nord de l’Inde n’ont toujours pas avancé, sur cette base, de revendication en vue de « retourner » dans leur ancienne patrie et de coloniser le sous-continent indien.

Mais, même si nous reprenons toutes les fictions énumérées plus haut et que nous leur accordons quelque validité en dépit d’arguments aussi raisonnables que ceux de la vérité historique, cela ne nous amènera pas à la conclusion que les juifs modernes, en tant que descendants supposés et uniques des anciens Hébreux, ont le droit de conquérir leur ancienne patrie supposée et d’en chasser les autochtones palestiniens en prétendant que les colons juifs sont eux-mêmes les autochtones et que les Palestiniens autochtones sont les colonisateurs.

Néanmoins, les allégations fictives des juifs modernes se percevant comme originaires de la Palestine et disant qu’ils sont les seuls descendants des anciens Hébreux avec un « droit » exclusif à la Palestine restent un point central des revendications sionistes de « liens historiques et bibliques ».

 

Vidéo

 

Le mouvement sioniste et le régime israélien comprennent que ce sont les principaux arguments persuasifs à adresser à l’Europe chrétienne, aux États-Unis très chrétiens et à la diaspora juive pour justifier la colonisation sioniste.

Ces fausses prétentions sont en effet tellement enracinées dans les traditions religieuses et séculières occidentales que certains partisans de la lutte anticoloniale palestinienne les acceptent comme des faits, même s’ils rejettent l’argument sioniste disant qu’ils justifient ainsi la conquête coloniale de la Palestine par les juifs sionistes modernes.

David Ben-Gourion comprenait très bien que les revendications religieuses sionistes ne convainquaient pas les Palestiniens et qu’elles ne pourraient jamais les convaincre. Après avoir dirigé la conquête de la Palestine, il sembla désorienté du fait que les colons juifs s’attendaient à ce que les Palestiniens fassent la paix avec leurs colonisateurs.

Ben-Gourion rétorqua :

« Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais un dirigeant arabe, je ne négocierais jamais avec Israël. C’est naturel : Nous leur avons pris leur pays. Bien sûr, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela leur importe-t-il ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous venons d’Israël, c’est vrai, mais il y a deux mille ans et qu’est-ce que c’est, pour eux ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce de leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : Nous sommes venus ici et nous avons volé leur pays. Pourquoi devraient-ils accepter cela ? »

 

Les origines réelles et imaginées

Quant à l’allégation infamante de certains généticiens européens à propos de l’existence d’un « gène juif » liant certains juifs modernes aux anciens Hébreux, ce n’est rien de plus qu’un bobard antisémite constituant le dernier chaînon de la science raciale américaine et européenne depuis le 19e siècle.

La plupart des Palestiniens, toutefois, en ont eu assez du repli sur soi des chrétiens occidentaux et des revendications juives, tant religieuses que laïques, cherchant à imposer des mythes antisémites au peuple palestinien afin de justifier la colonisation de la Palestine par le fait que leurs saintes écritures accordaient ce droit à leurs adhérents.

Ici, il convient que nous nous rappelions que ce sont ces mêmes saintes écritures et, plus tard, la même science raciale, qui ont justifié non seulement la conquête des Amériques et le génocide commis contre les Américains autochtones, mais aussi l’asservissement et l’assassinat de millions d’Africains, et la conquête de l’Afrique et des autres parties du monde.

Les partisans de la lutte anticoloniale palestinienne ne devraient pas accorder la moindre légitimité à ces fictions sionistes : elles restent la pierre angulaire des revendications coloniales israéliennes visant à convaincre les chrétiens et les juifs occidentaux, ainsi que, plus généralement, les libéraux laïques, que leur Dieu et leurs spécialistes des sciences raciales sont ceux-là mêmes qui ont autorisé les sionistes à conquérir et voler la terre natale des Palestiniens.

Ces élucubrations n’ont pas leur place chez les anticolonialistes. Il n’y a de place appropriée pour elles que dans la poubelle de l’histoire coloniale.

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Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question : Essais sur le sionisme et les Palestiniens, et plus récemment Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

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Publié le 9 janvier 2023 sur Middle East Eye
Traduction : Mireille Rumeau pour Charleroi pour la Palestine

 

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