Des agricultrices intraitables malgré l’agression contre Gaza

Les frappes aériennes ont fait que les agricultrices ont dû se confiner chez elles, incapables qu’elles étaient de s’aventurer à l’extérieur en raison du danger posé par les avions de combat israéliens.

 

Les frappes aériennes de mai 2023 contre Gaza ont infligé des dégâts aux cultures et à la terre et ont confiné de nombreux paysans et paysannes dans leur logis

Les frappes aériennes de mai 2023 contre Gaza ont infligé des dégâts aux cultures et à la terre et ont confiné de nombreux paysans fermiers dans leur logis. (Photo : Mohammed Ziad / APA images)

 

Yasmin Abusayma, 5 juin 2023

 

Le dernier mois du printemps est typiquement une période d’activité intense pour les agriculteurs de Gaza. À Khuzaa, une ville du sud-est de l’enclave, les cultures allaient commencer à montrer leurs promesses.

Mais ce mois de mai n’a apporté que destruction et mort aux communautés agricoles de Gaza, puisque les cinq journées de raids israéliens contre l’enclave ont empêché les fermiers de s’occuper de leurs cultures.

Aseel al-Najjar, Ghaida Qudeih et Nadine Abu Rouk gèrent une petite ferme assez prospère de quelque 60 ares à Khuzaa.

« Notre ferme se trouve à 500 mètres à peine de la fameuse clôture de sécurité qui nous sépare d’Israël »,

dit Aseel al-Najjar.

« Et, au beau milieu de la guerre et des raids aériens, se rendre sur nos terres signifie risquer nos vies – et cela peut même signifier la mort. »

Les frappes aériennes ont fait que les agricultrices ont dû se confiner chez elles, incapables qu’elles étaient de s’aventurer à l’extérieur en raison du danger posé par les avions de combat israéliens.

Et, bien qu’elles aient travaillé d’arrache-pied pendant trois ans pour cultiver leur terre – une tâche déjà rendue difficile du fait qu’Israël empoisonne le sol de Gaza à l’aide d’herbicides nocifs – leurs cultures si prometteuses de melons et de tomates se sont désormais flétries pour n’avoir pas été arrosées durant cinq journées consécutives.

 

Les dégâts sont là

La guerre d’Israël contre Gaza, en mai 2023, a infligé plus de 1,3 million de USD de pertes dans le secteur agricole, estime le ministère palestinien de l’agriculture.

Ce montant comprend les dégâts directs et indirects infligés par les attaques israéliennes qui se sont étendues aux cultures, aux puits d’irrigation, aux équipements agricoles et aux remises et autres entrepôts.

Aseel Al-Najjar, Ghaida Qudeih et Nadine Abu Rouk sont tributaires de plusieurs sources d’eau, dont des puits et des bassins de rétention, pour irriguer leur ferme de Khuzaa. Mais, en raison de la haute salinité de l’eau qu’elles recueillent, elles doivent également acheter de l’eau à la société des eaux de l’État d’Israël, la Mekorot (De l’eau en fait volée aux Palestiniens ! NdT), à un prix double de celui de l’eau des puits.

Les trois femmes, dont aucune n’a trente ans et qui proviennent de la région de Khan Younis, à Gaza, ont grandi parmi des familles paysannes, mais elles n’avaient jamais envisagé de devenir elles-mêmes des paysannes. Toutes trois ont terminé des études universitaires dans des domaines aussi variés que l’enseignement, le commerce et la finance, mais la chasse à l’emploi après l’obtention d’un diplôme s’est soldée par une impasse.

Le chômage à Gaza est incroyablement élevé en raison du blocus israélien en cours.

Pour ces jeunes femmes, l’agriculture semblait donc une alternative prometteuse.

« Les encouragements et le soutien de nos familles ont été abondants », explique Ghaida Qudeih, « puisque l’agriculture a été une profession de prédilection qui s’est transmise au fil des générations. »

En cela, elles étaient bien conscientes des difficultés qui vont de pair avec l’agriculture à Gaza, mais les contrecoups presque permanents deviennent de plus en plus malaisés à supporter.

 

Ce n’est pas la première fois

En mai 2021, lors d’une attaque israélienne d’envergure contre Gaza, Israël a tiré des missiles à proximité de la ferme des trois femmes à Khuzaa. Certains de ces engins n’ont pas explosé. De même, en 2023, les trois femmes n’ont pas pu rallier leur terre pour l’irriguer, ce qui leur a fait perdre la valeur de plus de 20 ares de récoltes.

De plus, elles ont découvert que lorsqu’elles tentaient de planter de nouveau leurs légumes, ils ne profitaient pas. Le sol avait été contaminé par des substances toxiques – des herbicides selon toute vraisemblance – larguées par les avions israéliens.

« Je me souviens encore du moment où je suis retournée pour voir ce qu’il était advenu de la terre », explique Aseel al-Najjar. « Cela m’a brisé le cœur de voir que les plants de tomates, de concombres et d’autres légumes s’étaient fanés et avaient péri. »

Avec le temps, elles se sont relevées de ces pertes en se rendant à nouveau sur leur terre et en cultivant de nouveaux semis.

Cette fois, deux ans plus tard, les pertes frappent plus durement.

Aseel Al-Najjar décrit la chose comme une « immense régression » dans leur gagne-pain. « Je ne sais que faire pour compenser toutes les pertes que nous avons subies. »

Elles comprennent également que d’autres ont souffert bien davantage de la toute dernière agression israélienne.

Le matin du 10 mai, les Israéliens se sont servis d’un drone pour lancer un missile sur le fermier Muhammad Abu Taima et le tuer. Il se trouvait en dehors de sa ferme d’Abasan al-Kabira, non loin de Khuzaa.

« Je connaissais très bien Muhammad », explique Nadine Abu Rouk.

« Il était très fier de ses activités agricoles. Bien que ce fût dangereux, il continuait à travailler sa terre sans tenir compte de l’escalade et de l’atmosphère d’extrême tension. C’était un travailleur journalier et il avait toute une famille à nourrir. »

Les trois fermières déplorent sa mort et continuent à penser vers l’avant, à propos de la façon dont elles vont planifier leur avenir.

Plusieurs jours avant l’attaque israélienne, elles ont été informées de ce qu’elles avaient reçu de la part du gouvernement allemand, via la fondation GIZ, un financement en vue d’installer une ferme de près de 80 ares.

« Le rêve persiste en dépit de la perte des récoltes », conclut Aseel al-Najjar.

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Yasmin Abusayma est une autrice et traductrice free-lance qui vit et travaille à Gaza.

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Publié le 5 juin sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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