The Electronic Intifada : “Ce que nous savons d’Elizabeth Tsurkov”

Qui est Elisabeth Tsurkov, la vétérane du renseignement militaire israélien qui a disparu en Irak et pourquoi elle s’y trouvait ?

 

Elizabeth Tsurkov en uniforme de l’armée israélienne, à gauche, et interviewée par une chaîne d’information irakienne, à droite.

Elizabeth Tsurkov en uniforme de l’armée israélienne, à gauche, et interviewée par une chaîne d’information irakienne, à droite. (Photo : The Electronic Intifada)

 

Ali Abunimah, Tamara Nassar et Asa Winstanley, 12 juillet 2023

La semaine dernière, quand a éclaté la nouvelle de la disparition en Irak, voici plusieurs mois, de l’ancienne agente israélienne des renseignements Elizabeth Tsurkov, les autorités israéliennes sont passées en mode limitation des dégâts.

En briefant un groupe trié sur le volet de journalistes israéliens, un « haut responsable israélien » resté anonyme a nié avec véhémence que Tsurkov était une agente de la tristement célèbre institution israélienne spécialisée dans l’espionnage et l’assassinat.

Elle « n’est absolument pas membre du Mossad, point, point d’exclamation, souligné », a prétendu le haut responsable.

Naturellement, c’est exactement ce que dirait Israël – que ce soit vrai ou pas. Au vu de la négligence dont Tsurkov est coutumière, il serait en effet surprenant que le Mossad se serve réellement d’une personne de son genre.

Des sources ont prétendu – bien que sans la moindre confirmation de la chose – qu’elle pourrait néanmoins être un « atout du renseignement », tout en le sachant ou même en ne le sachant pas.

Il est par conséquent important de séparer ce que l’on sait de Tsurkov de ce que l’on ne sait pas.

Citant des sources sécuritaires irakiennes, il s’avère que le site d’information The Cradle a forcé la main des Israéliens en révélant la semaine dernière que Tsurkov a été capturée à Bagdad en mars dernier.

Benjamin Netanyahou a répondu au rapport dans les heures qui ont suivi.

Le cabinet du Premier ministre israélien a confirmé que Tsurkov était « portée manquante en Irak depuis plusieurs mois » et il a ajouté qu’elle était détenue par le Kataeb Hezbollah, une organisation paramilitaire irakienne ayant des liens solides avec l’État.

« Elizabeth Tsurkov est toujours vivante et nous tenons l’Irak responsable de sa sécurité et de son bien-être »,

a déclaré le cabinet de Netanyahou.

L’Irak a ouvert une enquête sur sa disparition mais n’a pas dit grand-chose sur son sort, jusqu’à présent.

Le Kataeb Hezbollah a lui aussi publié une déclaration réfutant toute responsabilité dans la disparition de Tsurkov, mais la décrivant comme « une agente de la sécurité israélienne » et demandant aux autorités irakiennes de dénoncer ce que l’organisation a décrit comme un cercle d’espionnage israélien.

Bien que les nouvelles de la disparition de Tsurkov soient en général passées inaperçues jusque la semaine dernière, le reportage publié dans The Cradle en a fait une importante affaire internationale.

Tsurkov, qui possède la double citoyenneté russe et israélienne, est entrée en Irak en se servant de son passeport russe, a déclaré le cabinet de Netanyahou.

Elle s’y est rendue pour « travailler à son doctorat et faire de la recherche universitaire pour le compte de l’Université de Princeton, aux EU », selon Netanyahou.

Toutefois, il faut savoir que Princeton interdit formellement à ses étudiants toute recherche en Irak en rapport avec l’université, et ce, pour des raisons sécuritaires, de sorte que, quoi que Tsurkov soit allée faire là-bas, il ne s’agissait pas d’un travail que Princeton reconnaîtrait comme effectué dans le cadre d’une thèse.

 

Promouvoir une intervention militaire

S’adressant à la presse israélienne la semaine dernière, Emma Tsurkov a déclaré qu’elle était au courant de la disparition de sa sœur Elizabeth « dès l’instant où cela s’était passé ».

Elle a même ajouté qu’elle avait soumis la chose à l’attention du gouvernement israélien. Emma a prétendu que c’était le choix de la famille que de tenir secrète la nouvelle de la disparition de sa sœur, et ce, dans l’espoir que l’affaire pourrait être résolue rapidement et sans remous.

Se faisant l’écho du cabinet de Netanyahou, Emma Tsurkov a insisté dans son interview pour dire que sa sœur « était en Irak uniquement pour des raisons universitaires ».

Depuis plus de quinze ans, Tsurkov est une présence active sur Twitter et depuis le même laps de temps, elle y exprime son soutien aux guerres et interventions contre les pays que les EU et Israël considèrent comme leurs ennemis, et en tout premier lieu la Syrie.

Elle a contribué à blanchir les milices de l’opposition à la Syrie, armées par l’étranger, en dépit de leurs affiliations de longue date à al-Qaida.

https://twitter.com/Elizrael/status/1339973142748524546?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1339973142748524546%7Ctwgr%5E03f0e8007397b60a39d4ebb19b5a663da952d1cd%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fwhat-we-know-about-elizabeth-tsurkov%2F38166

En 2011, Tsurkov était une promotrice enthousiaste et, en apparence, totalement crédule d’Amina Arraf, une présence en ligne se donnant comme blogueuse lesbienne syro-américaine aidant à organiser des manifestations contre le gouvernement.

Amina était devenue le point de concentration des inquiétudes internationales quand on avait rapporté son arrestation à Damas par la police sécuritaire syrienne.

Mais, comme l’avait révélé The Electronic Intifada (qui était la première publication à le faire), Amina, la prétendue lesbienne de Damas, était en fait un canular lancé par Tom MacMaster, un Américain vivant en Écosse.

Par moments, Tsurkov s’était montrée très critique envers les méthodes utilisées par Israël pour traiter les Palestiniens par Israël. Elle avait même travaillé pendant plusieurs années chez Gisha, une organisation israélienne qui répertorie les violations commises par Israël envers les Palestiniens à Gaza.

Cet empressement à critiquer Israël a peut-être détourné certains observateurs de ses positions et actions passées et présentes qui soulèvent des questions troublantes et qui servent en fait l’agenda régional élargi d’Israël.

Tsurkov a elle-même utilisé ses critiques à l’égard d’Israël pour détourner les questions concernant ses opinions et activités.

Tsurkov est surtout devenue populaire parmi d’autres partisans de la guerre pour le changement de régime en Syrie et bien des admirateurs se sont empressés de la défendre, entre autres en répétant l’histoire disant que c’étaient ses études à Princeton qui l’avaient poussée à se rendre en Irak.

 

Une éducation sioniste

Que savons-nous d’Elizabeth Tsurkov ?

Elle est née en 1986 à Leningrad – aujourd’hui Saint-Pétersbourg – en Union soviétique.

À l’âge de quatre ans, elle a quitté la Russie avec ses parents pour s’installer avec eux dans une colonie illégale, réservée aux seuls juifs, en Cisjordanie occupée.

Ses parents avaient été emprisonnés par les autorités soviétiques après avoir travaillé avec l’activiste pro-israélien Anatoly Sharansky, avait rapporté The New York Times.

Sharansky – qui s’était d’abord rebaptisé Natan Sharon et, plus tard, Natan Sharansky au moment d’aller s’installer en Israël en 1986 – poursuivit sur sa lancée pour devenir un éminent homme politique israélien de droite, et Tsurkov lui avait servi d’assistante pendant quelque temps.

Tsurkov avait été élevée dans une famille et un environnement de sionistes d’extrême droite, au beau milieu d’un ardent racisme antipalestinien et de propagande israélienne.

Enfant, elle avait participé à une manifestation opposée aux accords d’Oslo signés dans les années 1990 entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Elle avait également célébré l’assassinat de Yitzhak Rabin, le Premier ministre israélien qui avait signé les accords.

« Elle avait dansé avec les enfants et les professeurs de l’école locale dans une explosion de joie »,

révèle une interview de Tsurkov dans Haaretz en 2021.

Tsurkov avait servi dans l’armée israélienne lors de l’invasion du Liban par Israël en 2006, et, selon ses propres termes, elle avait été installée « dans un bureau de Tel-Aviv ».

Au cours de cette guerre, Israël avait largué quelque 7 000 bombes et missiles, dont des bombes à sous-munitions, et avait également bombardé le Liban à l’aide de son artillerie terrestre et navale. Plus de 1 100 personnes avaient été tuées et quelque 4 400 blessées, en grande majorité des civils.

Dans un tweet de 2009, Tsurkov se décrivait comme ayant été « dans les renseignements » alors qu’elle faisait son service dans l’armée israélienne.

Cela ne laisse aucun doute sur le fait que Tsurkov a été au moins une agente des renseignements au service de l’armée israélienne.

Elle était restée une réserviste active des années après avoir terminé son service obligatoire, bien qu’elle ait dit en 2018 qu’elle n’était plus réserviste.

 

Une non-sioniste sioniste

Après son passage à l’armée, Tsurkov prétend avoir changé d’avis :

« de femme colon zélée, elle était devenue défenseuse des droits humains »,

intéressée par ses « voisins arabes », pour reprendre les termes de Haaretz.

Citoyenne juive israélienne, elle a prétendu à maintes reprises qu’elle n’était plus sioniste – c’est-à-dire une adhérente de l’idéologie étatique raciste d’Israël – mais qu’elle refusait de se donner pour antisioniste.

Cette position incohérente est du même genre que celle de quelqu’un qui prétend ne pas être raciste, mais qui refuse de se décrire comme antiraciste.

Tsurkov a longtemps défendu le point de vue sioniste qui dit que les Palestiniens chassés de leurs foyers en 1948 ne devraient pas être autorisés à rentrer chez eux. Israël interdit le retour des réfugiés palestiniens – et c’est une violation des lois internationales – tout simplement parce qu’ils ne sont pas juifs.

Mais, même après qu’elle s’est mise à se donner pour non-sioniste, Tsurkov a évité à maintes reprises de répondre à la question de savoir si elle rejetait toujours le droit au retour, reconnu internationalement, des Palestiniens dans leur patrie.

Il s’avère qu’il n’existe aucune trace de son soutien éventuel de ce droit, tel que le manifesterait toute personne réellement partisane des droits humains.

Après son service militaire, Tsurkov a étudié pour décrocher un diplôme de bachelière en relations internationales et communications à l’Université hébraïque.

Elle a poursuivi par des études sur le Moyen-Orient à l’Université de Tel-Aviv puis s’est rendue à l’Université de Chicago à l’aide de ce qu’elle a appelé une « bourse généreuse » de la part de l’institution. Là-bas, elle a décroché un master en sciences politiques.

 

Actuellement, Tsurkov travaille pour obtenir un doctorat à l’Université de Princeton, où elle fait des recherches sur le « sectarisme au Moyen-Orient et, particulièrement, en Syrie et en Irak », selon ses propres termes.

En même temps, elle défend des positions dans plusieurs comités d’experts, parmi lesquels le Forum de la pensée régionale, dont le siège est en Israël, et l’Institut de recherche en politique étrangère, aux États-Unis.

Elle est également « chercheuse non résidente » au New Lines Institute, un comité d’experts de Washington qui fait office de foyer intellectuel pour de nombreux partisans de l’effort, soutenu par les EU, en vue de renverser le gouvernement de la Syrie.

Avant sa disparition en Iraq, Tsurkov avait vécu à Istanbul.

 

« Moi pas comprendre arabe »

Tsurkov parle couramment l’arabe et sa capacité à discuter de sujets complexes dans une langue qu’elle prétend n’avoir jamais apprise avant l’âge adulte est remarquable.

En 2011, elle admettait ne connaître que « les lettres et quelques mots » de la langue et admettait, en se dépréciant elle-même, « Moi pas comprendre arabe » et « Je ne connais pas l’arabe ».

L’année suivante, Tsurkov déclarait : « Mon arabe est si mauvais que je puis à peine lire » mais, en juin 2013, elle révélait : « J’ai commencé à étudier l’arabe récemment et, malgré son incroyable similitude avec l’hébreu, je dois vraiment me battre ».

Un an plus tard encore, elle exprimait sa frustration en disant « Je pense que je ne suis pas bonne en langues. J’étudie l’arabe depuis pas mal de temps déjà et je le comprends à peine. »

En août 2014, elle rappelait : « Je disais souvent à mon professeur d’arabe que, si les Arabes avaient rendu leur langue si difficile, c’était pour confondre leurs ennemis. »

Parvenir à sa maîtrise actuelle est certainement possible, bien qu’il lui faudrait sans doute une immersion intensive. Dans ses tweets abondants, Tsurkov en dit peu sur l’endroit et la manière dont elle a étudié l’arabe, surtout qu’elle s’est engagée dans tant d’autres études et activités.

Répondant apparemment à des louanges concernant son arabe en 2019, elle y était allée du commentaire suivant :

« Il est vrai que la plupart des Israéliens qui apprennent l’arabe le font soit pour espionner, soit parce qu’ils font partie d’une petite minorité radicale, dont je suis, selon les normes israéliennes, alors que, selon les normes d’un pays normal, je suis une « libérale » (c’est-à-dire progressiste, NdT).

 

 

Une Israélienne en Irak

Tsurkov a rapporté dès février 2019 déjà qu’elle avait visité la région kurde du nord de l’Irak, qui préserve son autonomie vis-à-vis du gouvernement de Bagdad.

Elle a également écrit sur une visite à Mossoul, en 2019, dans le journal israélien Yedioth Ahronot. Selon son média social, Tsurkov était également à Mossoul au début 2020.

Mais ce sont ses incursions plus récentes à Bagdad et dans d’autres parties du pays qui ont attiré l’attention sur elle et se sont apparemment soldées par sa capture.

L’Irak et Israël sont toujours en situation de guerre. En recourant à ce prétexte, Israël interdit à ses propres citoyen.ne.s d’épouser des Irakien.ne.s ou des Palestinien.ne.s, de même que des citoyen.ne.s de plusieurs autres « États ennemis », et de vivre avec eux (elles) en Israël.

Israël interdit même à ses citoyens de se rendre dans des pays « ennemis », dont l’Irak, sans une autorisation spéciale du ministère israélien de l’Intérieur.

En mai dernier, le parlement irakien a adopté une loi durcissant les punitions pour tout contact avec Israël, y compris les liens commerciaux. Parmi les peines potentielles figurent l’emprisonnement à vie et même la mort.

Il est absolument interdit aux Israéliens d’entrer en Irak.

Israël a un long passé de ciblage de l’Irak sous le manteau : depuis une campagne secrète de bombardement contre les Juifs irakiens largement attribuée au Mossad afin de les effrayer et de les pousser ainsi à quitter leur patrie pour Israël dans les années1950, jusqu’à des efforts en vue de saboter la recherche nucléaire irakienne quelques décennies plus tard.

L’an dernier, l’Iran a prétendu qu’il avait attaqué une base du Mossad à Erbil, la capitale de la région kurde, mais le gouvernement de Bagdad a affirmé n’avoir trouvé aucune preuve de ce que l’agence d’espionnage israélienne opérait dans cette ville.

Sur cette toile de fond, la présence de tout Israélien en Irak – et particulièrement avec un curriculum à la Tsurkov – est liée à soulever des soupçons. C’est particulièrement le cas depuis que Tsurkov manifeste de l’intérêt et de l’attention pour le mouvement dirigé par le clergé chiite et la personnalité politique qu’est Muqtada al-Sadr, l’un des opposants à Israël les plus rabiques de tout l’Irak.

La présence même de Tsurkov dans le pays serait dangereuse pour tout Irakien avec qui elle entrerait en contact – c’est quelque chose qu’elle savait mais qu’elle a choisi d’ignorer bien qu’elle se prétende une avocate des droits humains.

 

L’interdiction par Princeton de toute recherche en Irak

En dépit de l’allégation largement répétée – y compris par Netanyahou – que Tsurkov était en Irak pour faire de la recherche pour son doctorat à Princeton, les règles claires du règlement de l’université de l’Ivy League excluent la chose comme explication crédible de sa présence dans ce pays.

La semaine dernière, Princeton a publié une brève déclaration d’inquiétude à propos de la sécurité de Tsurkov, la présentant comme un « membre de valeur » de la communauté universitaire et exprimant son désir de la voir « rejoindre sa famille et reprendre ses études ».

 

L’université n’a pas fait savoir publiquement si elle approuvait ses voyages ou si sa conseillère était même consciente de leur existence et, de plus, elle n’a fait aucun commentaire sur ce que Tsurkov faisait en Irak.

Sa conseillère de doctorat, Amaney Jamal, n’a pas donné de commentaire non plus, ni par téléphone, ni par courriel.

Toutefois, il est pratiquement impossible que l’université ait pu appuyer son voyage en Irak.

Tout plan de travail sur le terrain développé par Tsurkov aurait dû passer par un examen obligatoire des sujets humains qui aurait évalué les risques et les préoccupations éthiques des personnes impliquées.

Il est inconcevable que le moindre examen fouillé aurait accepté les risques inhérents courus par une Israélienne dotée d’un passé des renseignements militaires et voyageant en Irak pour interviewer des partisans et des dirigeants d’un mouvement qui considère Israël comme un ennemi mortel.

Le premier obstacle insurmontable est que l’Irak fait partie de la vingtaine de pays dits « de catégorie X » dans lesquels Princeton interdit formellement à ses étudiants de se rendre pour quelque tâche universitaire que ce soit – une police qui était déjà en place bien avant le voyage de Tsurkov dans ce pays, et qui l’était toujours après.

Tous les membres de la communauté de l’Université de Princeton doivent en outre renseigner tout voyage à l’intérieur des États-Unis ou international ayant trait à l’université afin que l’université puisse s’assurer que ce voyage est conforme à ses exigences.

Des individus peuvent entreprendre des voyages personnels vers des pays de catégorie X, par exemple pour rendre visite à des amis ou à des proches, mais la politique de Princeton est dénuée de toute ambiguïté :

« Vous ne pouvez pas vous rendre dans un pays de catégorie X en voyage personnel, puis, une fois sur place, vous engager dans des activités ayant un rapport avec l’université. »

Princeton définit un voyage impliquant l’université comme, entre autres, un voyage entrepris par un étudiant de premier cycle inscrit ou un étudiant diplômé et qui résulte en un travail qu’on pourra mettre au crédit de l’université ou qui concernera de quelque autre façon le programme d’étude d’un étudiant – quelle que soit la façon dont sera financé ce voyage.

À Princeton, les étudiants en doctorat sont des étudiants diplômés, de sorte qu’il n’est pas question que Tsurkov ait été couverte par cette politique.

Il y a lieu de croire que Princeton se serait montrée particulièrement vigilante : En 2021, un étudiant en doctorat avait intenté un procès contre l’université en prétendant qu’elle avait été négligente au point de lui permettre et de l’encourager à faire des recherches en Iran, où il avait été arrêté et emprisonné pendant trois ans après avoir été accusé d’être un espion américain.

 

« Des vies en danger »

Sans nommer ses sources, la publication Amwaj.media a rapporté que Tsurkov s’était d’abord rendue à Bagdad au début de 2022.

Elle a parcouru diverses villes irakiennes, dont Bassora, Maysan et Najaf, et a vécu avec une femme autochtone dans le quartier de Karrada à Bagdad, où elle a fréquenté une salle de gymnastique locale, s’il faut en croire l’article d’Amwaj.media.

Elle est retournée de nouveau en Irak en novembre 2022 avec un visa de deux mois qu’elle a renouvelé en janvier de cette année aux Émirats arabes unis (EAU). Apparemment, ce même mois, Tsurkov a publié des photos depuis Dubaï dans les médias sociaux.

On ne sait pas exactement quand elle est retournée en Irak mais, selon Amwaj.media, c’est le 21 mars qu’elle s’est fait arrêter à Bagdad.

Depuis l’Irak, elle a déjà posté une photo sur son compte Instagram le 10 février.

Au cours des jours qui ont précédé sa disparition, Tsurkov a réalisé une interview d’un haut responsable du mouvement sadriste, a rapporté Amwaj.media.

New Lines Magazine, avec lequel elle collaborait, a déclaré que la dernière fois qu’ils avaient eu de ses nouvelles, c’était le 19 mars, lorsqu’elle leur avait dit qu’elle « ne ferait plus de travail sur le terrain ».

En août 2021, Tsurkov avait accusé un journaliste israélien de comportement « non éthique » pour avoir interviewé un membre du gouvernement taliban afghan sans lui avait révélé que lui-même était israélien.

Tsurkov avait affirmé que retenir une telle information pouvait « mettre les vies des gens en danger » et que « les personnes interviewées ont le droit d’être pleinement informées et de s’abstenir d’un engagement avec d’autres par crainte de préférences politiques ».

N’empêche, il s’avère que Tsurkov n’a pas suivi son propre conseil.

Une vidéo postée en ligne en mars 2022 la montre au cours d’une interview de sa personne dans le district de Sadr City à Bagdad. Elle est vêtue d’une khimar – un modeste ensemble robe et coiffe dont se vêtent de nombreuses musulmanes irakiennes.

 

En parlant couramment l’arabe, Tsurkov répond à une question du journaliste lui demandant ce qu’elle pense de Muqtada al-Sadr, l’influent dirigeant politique chiite irakien.

« Il est clair que c’est une personnalité patriotique qui rejette l’intervention de quelque pays que ce soit de l’Occident ou de l’Orient »,

répond Tsurkov.

« Selon moi, ce devrait être la position de tout dirigeant politique irakien. »

Bien qu’on lui reproche d’avoir répété servilement des discours sectaires anti-chiites et d’avoir fait la promotion d’extrémistes sectaires sunnites liés à al-Qaida en Syrie, Tsurkov se présente comme une sympathisante et une partisane de Sadr.

Sa haute appréciation de Sadr est particulièrement ironique puisque c’est sur l’initiative de ce dernier que la loi de mai 2022 avait augmenté sévèrement les peines infligées pour des contacts avec des Israéliens.

L’interviewer demande à Tsurkov si elle est musulmane – et elle répond que non, sans fournir d’explication – ce qui suggère fortement que le journaliste irakien n’était pas conscient qu’il s’adressait à une vétérane des renseignements de l’armée israélienne.

Il convient également de remarquer que les crédits d’ouverture de la vidéo de l’interview contiennent des clips d’Irakiens scandant des slogans contre les États-Unis et Israël – ce qui n’indique guère qu’on aurait affaire avec une chaîne qui donnerait sciemment la parole à une Israélienne.

Dans la même interview, Tsurkov flatte bassement le journaliste irakien en décrivant les États-Unis comme un « oppresseur » de l’Irak. Il s’agit d’une tromperie extraordinaire, étant donné son soutien à l’intervention militaire américaine en Syrie et son exaltation de la puissance militaire américaine.

Elle avait même exulté à propos de la mort d’un combattant chiite irakien lors d’une frappe aérienne américaine en 2021.

« Il est mort en faisant ce qu’il aimait », avait-elle écrit sur l’homme dont elle prétendait qu’il était membre du Kataeb Hezbollah, « en occupant la Syrie au nom de la diffusion de la doctrine du pouvoir clérical chiite. »

 

Dans un post sur Facebook, en 2015, Tsurkov avait publié une photo d’elle-même debout sur un podium d’un local de briefing du Pentagone.

« Je proclame là une zone de non-vol sur la Syrie »,

ajoutait-elle comme légende à la photo, s’imaginant en train d’annoncer l’intervention militaire américaine qu’elle souhaitait.

Dans les commentaires accompagnant le post, Tsurkov explique sa présence dans une zone hors limites du département américain de la défense en disant qu’elle est

« en mission spéciale, sous accompagnement du département d’État ».

 

Un post Facebook de 2015 montre Elizabeth Tsurkov debout sur un podium d’un local de briefing du Pentagone

Un post Facebook de 2015 montre Elizabeth Tsurkov debout sur un podium d’un local de briefing du Pentagone (Photo : via Facebook)

 

Les messages publiés sur Facebook à la même époque que son interview télévisée à Sadr City, et découverts par The Electronic Intifada, décrivent Tsurkov comme une « chercheuse russe » et la montrent posant en compagnie de résidents locaux en Irak.

Au moins cinq Irakiens ayant fait sa connaissance ont déclaré dans la publication Jadeh Iran que Tsurkov les avait induits en erreur et qu’ils n’avaient pas la moindre idée qu’elle fût israélienne.

Parfois, rapporte-t-on, Tsurkov s’est identifiée sous le nom de Liza Arkady, remplaçant son nom de famille par le prénom de son père, une démarche qui suggère qu’elle ne voulait pas que ses interlocuteurs sachent qui elle était réellement.

Elle a prétendu être russe sans la moindre mention de son identité israélienne.

Sous le pseudonyme de Rami, un Irakien a déclaré à Jadeh Iran que lui et Tsurkov étaient devenus intimes.

Rami a expliqué qu’il avait rencontré Tsurkov « plus de six fois avec salutations chaleureuses et baisers sur la joue ».

Elle l’avait contacté par l’entremise d’un ami commun et lui avait demandé de l’interviewer pour son projet de recherche.

« Je lui ai demandé son identité et elle m’a montré une carte d’une université américaine. Nous avons parlé en anglais et elle m’a posé des questions sur le mouvement sadriste et je lui ai répondu »,

a ajouté Rami.

« Mais j’ai refusé de la faire entrer en contact avec les dirigeants du mouvement, lorsqu’elle me l’a demandé, parce que je ne suis plus sadriste »,

a encore affirmé Rami.

Dans une autre interview de Tsurkov sur la chaîne irakienne al-Rusafa Media, elle s’identifie de nouveau sous le nom de Liza Arkady, une spécialiste russe de l’Irak.

Sur la vidéo, Tsurkov apparaît de nouveau vêtue en noir comme les musulmanes irakiennes.

Alors qu’elle salue l’interviewer en russe au début de l’interview, l’homme lui pose des questions en arabe et elle répond en anglais en utilisant occasionnellement quelques mots d’arabe.

 

Dissimulation et tromperie

De façon tout aussi significative, Tsurkov a prétendument voyagé au Liban, un pays qui, non seulement, refuse l’accès des Israéliens sur son territoire, mais interdit également les visites de toute personne ayant mis un jour les pieds en Israël.

Tout Israélien voyageant au Liban – et ce serait pire encore avec un passé dans les renseignements militaires – serait perçu comme une grave menace pour le pays.

Bien que, pour l’instant, on en sache moins sur les activités qu’elle prévoyait au Liban, Amwaj.media a rapporté que « des personnes au fait de ses expériences » avaient dit qu’elle masquait son identité quand elle était dans ce pays.

En 2019, Tsurkov avait dit avoir visité le nord-est de la Syrie, une zone occupée par les États-Unis et les milices kurdes qu’ils soutiennent.

Elle avait posté sur Instagram des photos de la province syrienne de Raqqa, l’ancien bastion de l’État islamique aujourd’hui contrôlé en grande partie par les États-Unis et les milices kurdes que ces derniers soutiennent.

Tsurkov a également visité le camp de réfugiés d’al-Hawl, en Syrie, où des réfugiés en provenance du prétendu État islamique sont détenus dans des conditions horribles par une milice kurde appuyée par les EU.

En 2016, Tsurkov a réalisé une interview d’un porte-parole de Jaysh al-Islam, l’une des organisations islamiques armées combattant le gouvernement syrien. L’affaire a provoqué un tollé, en forçant le porte-parole, Islam Aloush, à abandonner l’interview quand il s’est avéré qu’il s’était fait interviewer par une Israélienne.

« Depuis des années, je fais des recherches en Syrie et j’ai été en contact avec des centaines de Syriens à travers tout le pays, de même que des réfugiés »,

a déclaré Tsurkov pour sa propre défense. « Je n’ai jamais caché mon identité israélienne. »

Elle a déclaré qu’Aloush « avait fait preuve de bravoure » en lui permettant d’utiliser le vrai nom qu’il portait.

« Au fil des années, j’ai interviewé des activistes, des combattants, des dirigeants civils et des hommes politiques – presque toujours sous des conditions d’anonymat »,

a-t-elle expliqué.

« Et ce, en raison de leur crainte d’être perçus comme des ‘collaborateurs’ d’Israël. »

Tsurkov a ajouté qu’elle avait « un grand nombre d’amis syriens », mais que seule une « infime portion d’entre eux étaient préparés à s’en ouvrir (de notre amitié) par crainte d’être soupçonnés d’être des espions ».

Ceci prouve qu’elle comprenait clairement que voyager au Liban, en Irak ou en Syrie et s’engager avec des gens sur place en tant qu’Israélienne pouvait les mettre en grand danger – sans parler du risque qu’elle prenait pour elle-même.

Quelle qu’ait été sa motivation et en dépit du danger qu’elle imposait à d’autres personnes, Tsurkov a développé une idée exagérée de ce qu’ont réalisé ses contacts avec les gens de la région, y compris avec des gens de l’organisation djihadiste islamique syrienne Hayat Tahrir al-Sham (HTS) liée à al-Qaida.

« J’ai pu affecter leur vision du monde jusqu’à un certain point », a-t-elle prétendu. « Le simple fait qu’ils m’ont parlé, à moi, une Israélienne, en témoigne. »

 

Tsurkov s’est même vantée que des combattants djihadistes en Syrie se sont adressés à elle pour traiter leur traumatisme suite aux atrocités qu’ils avaient commises.

Tsurkov était apparemment plus préoccupée de leur bien-être psychologique que des victimes de leurs actes horribles.

 

« La pire chose pour moi à propos de mes recherches autour de l’invasion (du nord-est) de la Syrie, ce n’est pas de voir des exécutions sur le terrain ni de voir des photos d’enfants mutilés »,

a-t-elle écrit.

« C’est de parler aux Syriens qui combattent au nom de la Turquie tout en essayant de justifier qu’ils font quelque chose qui, en réalité, est absolument injustifiable. »

 

Un échange de prisonniers ?

Des comptes rendus contradictoires sont apparus à propos des efforts en vue de libérer Tsurkov. Certains médias prétendent que, depuis juin, l’Iran et Israël négocient un échange de prisonniers, dont Tsurkov, via une médiation russe.

Il existe également des rapports affirmant que le gouvernement irakien entreprend un effort de haut niveau en vue de localiser Tsurkov, du fait que l’ambassade des EU à Bagdad a manifesté un vif intérêt autour de sa disparition.

Mais l’ambassadeur de Russie à Bagdad a nié toute implication dans son affaire.

Dans un tweet de février 2021, Tsurkov a fait savoir qu’elle était

« généralement opposée aux traités d’échange de prisonniers, même si elle devait être capturée lors de sa prochaine visite en Syrie ou en Irak.

Comme pour les autres principes qu’elle a fermement défendus, nous pouvons nous attendre à ce qu’elle se montre flexible avec celui-ci aussi – et on la comprendrait aisément.

Il pourrait falloir quelque temps, toutefois, avant que nous ne comprenions pleinement pourquoi Tsurkov était en Irak et ce qu’elle était censée y faire exactement.

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Ali Abunimah est le directeur exécutif, alors que Tamara Nassar et Asa Winstanley sont des rédacteurs en chef associés de The Electronic Intifada.

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Publié le 12 juillet 2023 sur The Electronic Intifadah
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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