Israël et les EU étripent délibérément les lois internationales à Gaza

“Avec sa conduite génocidaire à Gaza, Israël est engagé dans un effort délibéré et systématique de destruction des lois et des normes existantes concernant la guerre”

 

11 octobre 2023, Gaza. Un Palestinien blessé est assis sur une dalle dans le quartier d'al-Karama, qui vient d'être détruit par des frappes israéliennes.

11 octobre 2023, Gaza. Un Palestinien blessé est assis sur une dalle dans le quartier d’al-Karama, qui vient d’être détruit par des frappes israéliennes. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Maureen Clare Murphy, 11 avril 2024

Ces six derniers mois, à Gaza, Israël a tué des civils à une échelle industrielle, transformé des hôpitaux en cibles militaires stratégiques et converti la nourriture en arme de guerre.

En violant de façon flagrante les principes fondamentaux des lois de la guerre tout au long de sa campagne génocidaire, Israël a utilisé le langage des lois internationales humanitaires comme une forme de « camouflage humanitaire », pour reprendre les termes de l’experte indépendante de l’ONU, Francesca Albanese.

Dans son nouveau rapport intitulé « Anatomie d’un génocide », Francesca Albanese dit que l’une de ses

« principales conclusions est que la direction exécutive et militaire ainsi que les soldats israéliens ont déformé les principes du jus in bello (droit de la guerre), en détournant leurs fonctions protectrices dans une tentative de légitimer la violence génocidaire envers le peuple palestinien ».

Le jus in bello fait référence aux conditions sous lesquelles les États peuvent légitimement recourir à la guerre. Il réglemente la conduite des parties engagées dans un conflit armé.

Selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les lois internationales

« sont synonymes de jus in bello ; elles cherchent à minimiser la souffrance dans les conflits armés en protégeant et assistant le mieux possible toutes les victimes de ces mêmes conflits armés ».

D’après l’analyste Trita Parsi,

« avec sa conduite génocidaire à Gaza, Israël est engagé dans un effort délibéré et systématique de destruction des lois et des normes existantes concernant la guerre ».

Et il ajoute :

« Israël cherche soit à détruire ces normes soit à créer une nouvelle normalité dans laquelle, très à l’instar des EU, il sera intouchable en se plaçant au-dessus de ces lois et normes. »

Cet effort a été illustré par les actions menées par Israël en la seule journée du 1er avril à Gaza et ailleurs.

Les forces israéliennes se sont retirées du voisinage du plus grand et du plus important hôpital de Gaza après y avoir perpétré ce que l’on peut qualifier d’un des pires massacres de l’histoire de la Palestine ; une attaque israélienne a détruit le consulat iranien à Damas, tuant 12 personnes, dont deux généraux iraniens ; et des militaires israéliens ont tué sept travailleurs humanitaires, dont des ressortissants de certains proches alliés d’Israël, dans la partie centrale de Gaza, alors qu’ils effectuaient une mission d’aide en coordination avec l’armée israélienne.

« Israël franchit chaque ligne rouge possible et chaque fois en toute impunité »,

a déclaré Francesca Albanese le lendemain.

« Il faut des sanctions, tout de suite ! Et des condamnations, tout de suite ! », a-t-elle ajouté.

En l’absence de telles mesures de responsabilisation pour les violations du passé et celles d’aujourd’hui, et encouragée par des décennies d’impunité, la guerre totale d’Israël contre les Palestiniens de Gaza est également une guerre contre les principes des lois internationales, et elle ne manquera certainement pas d’avoir un impact profond.

 

La logique génocidaire d’Israël à Gaza

Le rapport de Francesca Albanese estime

« qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël est en train de commettre un génocide a été atteint ».

Alors que, selon Francesca Albanese, Israël prétend que

« sa conduite se plie aux lois internationales humanitaires, ses actions sont toutefois motivées par une logique génocidaire inhérente à son projet colonial de peuplement en Palestine, signalant ainsi qu’il s’agit d’une tragédie annoncée ».

Elle explique que

« le colonialisme de peuplement est un processus structurel dynamique et une confluence d’actes visant à déplacer et éliminer des groupes autochtones dont l’extermination/élimination génocidaire constitue le point culminant ».

La logique génocidaire qui sous-tend la violence d’Israël à Gaza, aujourd’hui à son apogée sur le plan de l’annihilation, n’a rien de neuf et les pratiques d’Israël dans le passé, dont la persécution et la discrimination, ont posé les bases de l’actuelle phase d’élimination.

Israël a fait progresser son projet colonial de peuplement via une occupation militaire et diverses mesures répressives, explique Francesca Albanese. Cela a impliqué la perception des

« Palestiniens comme une ‘menace sécuritaire’ afin de justifier leur oppression et leur ‘dé-civilianisation’, à savoir le rejet de leur statut de civils protégés »,

ajoute-t-elle.

 

9 octobre 2023. Les ruines d'un immeuble détruit par des frappes aériennes dans le quartier d'al-Fakhoura, à Jabaliya, dans le nord de Gaza.

9 octobre 2023. Les ruines d’un immeuble détruit par des frappes aériennes dans le quartier d’al-Fakhoura, à Jabaliya, dans le nord de Gaza. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Le rejet du statut de « civils protégés » des Palestiniens a atteint son point extrême dans le génocide qui se déroule actuellement à Gaza et durant lequel plus de 33 000 Palestiniens ont été tués et des milliers d’autres ont été portés manquants et sont donc présumés morts.

La guerre de siège menée par Israël – dont le but « est de réaliser via la famine ce qui ne pourrait l’être par la force militaire », selon l’avocat des droits civiques et écrivain Dylan Saba – pourrait même s’avérer plus meurtrière encore que ses armes.

Une analyse récente de la Classification intégrée des phases de sécurité alimentaire (IPC) a déterminé que la quasi-totalité des 2,3 millions d’habitants de la population de Gaza souffraient d’une faim extrême et qu’une moitié de cette population se trouvait dans une situation d’insécurité alimentaire catastrophique.

L’ONG internationale Oxfam affirme que des centaines de milliers de Palestiniens, dans le nord de Gaza, où Israël empêche l’ONU de fournir de l’aide, et ce, en violation des décisions récentes, juridiquement contraignantes, du Conseil de sécurité et de la Cour internationale, sont

« forcés de survivre avec une moyenne de 245 calories par jour – moins d’une boîte de fèves d’une livre – depuis janvier ».

Un quart de la population de Gaza risque la mort « d’ici un an en raison de conditions de santé évitables », dit encore Francesca Albanese dans son rapport.

 

Tous les hommes palestiniens adultes sont considérés comme des « terroristes »

Le principe de distinction des lois internationales humanitaires veut que les parties d’un conflit armé

« doivent à tout moment faire la distinction entre civils et combattants »,

selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

« Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Des civils ne peuvent faire l’objet d’attaques. »

L’oblitération du principe de distinction est une caractéristique clé du génocide perpétré par Israël à Gaza.

Parmi les personnes qui ont été tuées, fait remarquer Francesca Albanese,

« 70 pour 100 de celles qu’on a enregistrées ont toujours été des femmes et des enfants ».

Israël n’a jamais prouvé que les hommes, qui constituent les 30 pour 100 restants,

« étaient des combattants actifs du Hamas – une condition nécessaire pour qu’ils soient légalement ciblés ».

Pourtant, écrit-elle,

« début décembre, les conseillers sécuritaires israéliens ont revendiqué d’avoir tué ‘7 000 terroristes’ à une époque de la campagne où moins de 5 000 mâles adultes en tout avaient été identifiés parmi les victimes, ce qui impliquait donc que tous les mâles adultes étaient des ‘terroristes’ ».

Francesca Albanese ajoute que « c’est indicatif d’une intention de ciblage sans discrimination » des civils palestiniens « en les assimilant par défaut à un statut de combattants actifs ».

Début avril, Israël prétendait qu’au moins 12 000 « terroristes » avaient été tués à Gaza au cours des six mois écoulés.

À peu près au même moment, le ministre palestinien de la santé rapportait qu’au moins 33 200 Palestiniens avaient été tués, y compris 14 500 enfants et 9 560 femmes, ce qui fait que les quelque 9 650 victimes restantes étaient des hommes adultes.

Israël considère qu’un nombre de 20 pour 100 supérieur au nombre des adultes renseignés comme tués sont des « terroristes » – cela suggère qu’ils pourraient considérer par défaut tous les garçons adolescents comme des combattants eux aussi.

 

19 décembre 2023. Des corps gisent au sol en face de l'hôpital al-Najjar à Rafah, après que des frappes aériennes israéliennes ont détruit trois immeubles résidentiels, tuant le journaliste Adel Zaroub et au moins 28 autres personnes. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

19 décembre 2023. Des corps gisent au sol en face de l’hôpital al-Najjar à Rafah, dans le sud de Gaza, après que des frappes aériennes israéliennes ont détruit trois immeubles résidentiels, tuant le journaliste Adel Zaroub et au moins 28 autres personnes. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Une histoire publiée par le quotidien israélien Haaretz peu après la sortie du rapport de Francesca Albanese illustre ce que l’experte de l’ONU décrit comme l’érosion de la distinction.

Cet article – intitulé « Israël a créé des zones de tuerie à Gaza. Toute personne qui y entre est abattue » – dit que l’armée estime pour l’instant qu’environ 9 000 des Palestiniens tués à Gaza depuis le 7 octobre « sont des terroristes ».

Ce chiffre est mis en doute par des commandants interviewés par le journal, ce qui, déclare Haaretz,

« implique que la définition du terroriste est ouverte à une large gamme d’interprétations ».

« En pratique, un terroriste est quelqu’un que les FDI [l’armée israélienne] a tué dans les zones où ses forces opèrent »,

a déclaré à Haaretz un officier de réserve qui a servi à Gaza.

Le journal cite un exemple où l’armée israélienne annonçait avoir tué et « éliminé » un « terroriste » qui avait lancé une roquette.

Mais une prise de vue récupérée à partir d’un drone israélien abattu et diffusée par Al Jazeera montrait que le « terroriste » de l’incident fièrement évoqué par l’armée était en fait quatre hommes manifestement désarmés.

Deux des hommes avaient été tués lors de la première frappe aérienne et les survivants avaient été pourchassés et tués par des frappes postérieures alors que, en pleine confusion et frappés de terreur, ils tentaient manifestement de s’enfuir.

Al Jazeera a diffusé un autre incident montrant des snipers israéliens abattant des Palestiniens qui tentaient de récupérer de l’aide alimentaire larguée par avion à proximité de la clôture qui longe la frontière avec Israël, dans le nord de Gaza :

 

 

 

La prise de vue montre l’un des Palestiniens transportant de l’aide qui se fait tirer dessus par intermittence. Déjà touché une fois au moins, il tente de quitter en boitant la zone où sont planqués les tireurs. Il est touché une nouvelle fois et tente de s’en aller en rampant, tout en levant la tête dans une quête manifeste d’aide.

Le Palestinien blessé s’est vidé de tout son sang sous les yeux mêmes des snipers israéliens et a rendu son dernier souffle au moment où des chiens errants approchaient.

Les Palestiniens sans nom tués à Khan Younis et dans le nord, et dont les morts ont été diffusées par Al Jazeera, font partie des dizaines de milliers de personnes dont la vie a été occultée et abstraite dans les chiffres élevés des victimes de Gaza.

 

Des travailleurs humanitaires tués « systématiquement »

Mais toutes les victimes d’Israël à Gaza ne sont pas mortes anonymement dans le cadre de « sa politique militaire claire d’extermination génocidaire d’une population affamée », comme l’a écrit l’écrivain et universitaire Nicola Perugini.

La 1er avril, l’armée israélienne a tué sept travailleurs humanitaires, dont plusieurs ressortissants étrangers, dans une série de frappes contre ce qu’elle savait être une mission humanitaire. Ses missiles, tirés par des drones, ont perforé les toits de trois véhicules du convoi de l’ONG World Central Kitchen, dont le logo a, en fait, servi de cible aux tirs meurtriers.

José Andrés, le célèbre chef cuisinier qui a fondé l’ONG et qui nourrit des liens étroits avec l’élite politique de Washington, a déclaré que le convoi avait été ciblé « systématiquement, un véhicule après l’autre ».

Diverses explications bidon ont été avancées par Israël dans le sillage immédiat de l’attaque, et le Premier ministre Benjamin Netanyahou a même dit que les travailleurs humanitaires avaient été « frappés involontairement » et que ce genre de chose « peut arriver en temps de guerre ».

Des fonctionnaires de la défense ont fait savoir à Haaretz qu’un homme armé, dans un camion, accompagnait le convoi avant les attaques. L’histoire semble avoir été montée de bric et de broc et en toute hâte.

Herzi Halevi, le chef d’état-major de l’armée israélienne, a déclaré que

« la frappe n’avait pas été exécutée dans l’intention de blesser les travailleurs humanitaires [de World Central Kitchen]. C’était une erreur consécutive à une mauvaise identification – la nuit, en temps de guerre, dans des conditions très complexes ».

Mais il n’a donné aucune explication à la série meurtrière de frappes contre ce dont l’armée savait parfaitement bien qu’il s’agissait d’un convoi humanitaire.

 

23 décembre 2023. Des volontaires préparent un repas pour des Palestiniens à Rafah, dans le sud de Gaza.

23 décembre 2023. Des volontaires préparent un repas pour des Palestiniens à Rafah, dans le sud de Gaza. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Une enquête interne, lancée en toute hâte par l’armée, a fini par mettre en avant diverses excuses : une rupture des communications entre des unités de l’armée a entraîné une erreur d’identification lors de la première frappe contre le convoi (d’après l’enquête, l’un des opérateurs de drone aurait dit par après que l’objet pressenti comme une arme était peut-être un sac). Les deuxième et troisième frappes, a-t-on estimé, ont enfreint les procédures d’opération standards.

Jeremy Konyndyk, qui a servi aussi bien dans l’administration d’Obama que dans celle de Biden et qui est actuellement président de l’ONG Refugees International, a déclaré que la déclaration de Halevi était un « aveu explicite qu’ils avaient violé les lois de la guerre ».

« ‘Nous n’avons pas compris que nous étions en train de tuer des travailleurs humanitaires’ n’a rien d’un motif d’excuse », a ajouté Konyndyk.

Dans l’intervalle, des sources militaires israéliennes ont fait savoir à Haaretz que l’attaque contre le convoi de World Central Kitchen

« était une conséquence du manque de discipline de la part des commandants sur le terrain » et, selon ces sources, « les commandants et les forces impliqués dans l’incident avaient agi contrairement aux ordres et aux instructions ».

 

Cela allait être contredit par un autre reportage dans Haaretz, qui dit que les officiers supérieurs doivent d’abord approuver les actions contre « des cibles délicates comme les organisations d’aide ».

Charlie Herbert, un major général retraité de l’armée britannique, a déclaré :

« Je n’accepte pas que les frappes aient été la conséquence d’un ‘manque de discipline’. »

« Elles ont résulté de faiblesses systématiques dans les règles d’engagement des FDI [l’armée israélienne], selon lesquelles toute personne à Gaza est perçue comme une cible légitime devait être tuée », a-t-il ajouté. « C’est aussi simple que cela. »

Voilà comment les troupes israéliennes à Gaza perçoivent les règles d’engagement, selon Barak Ravid, un journaliste entretenant d’étroits liens avec l’appareil des renseignements et l’armée d’Israël.

Dans une interview réalisée par Anderson Cooper, de CNN, Ravid a déclaré qu’il s’était entretenu avec un officier de réserve de la même unité que les hommes qui avaient abattu et tué trois ressortissants israéliens qui étaient parvenus à s’échapper ou qui avaient été abandonnés par leurs ravisseurs à l’est de la ville de Gaza, en décembre.

Cet officier de réserve avait expliqué à Ravid que les ordres émanant des commandants sur le terrain dont « tout simplement d’abattre tout homme en âge de combattre », impliquant ainsi un mépris total de son statut de civil, comme dans le cas des trois captifs qui avaient été tués alors qu’ils criaient à l’aide en hébreu et qu’ils agitaient un drapeau blanc.

 

La négation volontaire de la réalité par Washington

Suite aux frappes meurtrières contre son convoi, World Central Kitchen a suspendu ses opérations à Gaza. De même, sa partenaire, Anera, elle aussi une organisation américaine, a entrepris « la démarche sans précédent » de cesser ses activités sur le territoire, où une frappe israélienne a tué son coordinateur local Mousa Shawwa et son fils Karim de six ans, le mois dernier.

« La nature flagrante de l’attaque contre le convoi [de World Central Kitchen] a prouvé que les travailleurs humanitaires font actuellement l’objet d’attaques »,

a expliqué Steve Fake, le porte-parole d’Anera, à l’agence d’information AP.

« Notre décision de reprendre l’aide s’appuiera sur la sécurité de notre personnel. »

Dans une négation volontaire de la réalité, le porte-parole de la Maison-Blanche en matière de sécurité nationale, John Kirby, qui est également l’un des plus ardents défenseurs de l’armée israélienne, a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve que les frappes contre le convoi d’aide aient été délibérées.

 

Dans une insulte étonnante à l’intelligence de toute personne assistant à la conduite horrible d’Israël à Gaza, Kirby a ajouté que le département d’État américain n’avait pas « trouvé le moindre incident où les Israéliens avaient violé les lois internationales humanitaires ».

Le témoignage des personnes qui poursuivent Israël pour sa guerre génocidaire à Gaza contredit directement les allégations manifestement fausses de Kirby.

Les commandants israéliens interviewés par Haaretz ont déclaré que les soldats à Gaza avaient appliqué l’option des « zones où l’on tire pour tuer » dans les zones dans lesquelles ils étaient présents et dont « les limites sont soumises à l’interprétation des commandants dans chaque zone spécifique » et ne sont pas connues des Palestiniens, dont la seule présence est perçue comme une motivation au recours à la force meurtrière.

« Dès que des gens y pénètrent, surtout des mâles adultes, les ordres sont de tirer et de tuer, même si la personne n’est pas armée »,

a expliqué un officier de réserve au journal.

Un officier supérieur a déclaré que des civils étaient abattus alors qu’ils tentaient d’atteindre des zones dont ils pensaient que l’armée s’était retirée, parce qu’ils étaient

« perçus comme des personnes qui pouvaient porter préjudice à nos troupes ».

En d’autres termes, les forces terrestres israéliennes ont transformé Gaza en une zone de tir libre.

 

Un génocide perpétré avec l’aide de l’intelligence artificielle (IA)

Les frappes aériennes israéliennes, qui ont oblitéré d’innombrables familles palestiniennes dans leurs logements, ont été exécutées avec le même horrible mépris de la vie humaine.

Selon +972 Magazine, une publication israélienne, dès les premières semaines de la guerre, l’armée s’est appuyée sur un programme d’intelligence artificielle (IA) qu’elle avait elle-même développé pour cibler

« jusqu’à 37 000 Palestiniens en tant que militants suspects (…) et ce, en vue de possibles frappes aériennes ».

Le personnel humain était censé approuver les cibles désignées par une machine,

« sans la moindre obligation d’examiner soigneusement pourquoi la machine avait opéré ces choix ou de vérifier les données des renseignements en gros sur lesquelles ces choix reposaient »,

a rapporté +972.

« En première option », les cibles générées par l’IA étaient bombardées « dans leur maison sans la moindre hésitation, a expliqué à +972 un officier des renseignements : « Il est bien plus facile de bombarder une maison familiale. Le système a été mis au point pour les rechercher dans ces situations. »

Des sources militaires ont expliqué à +972 que l’armée préférait recourir à des missiles non guidés (également appelés « bombes aveugles ») quand ils ciblaient des militants supposés subalternes. Un officier des renseignements a alors déclaré :

« Vous ne voudriez pas gaspiller des bombes d’un prix faramineux pour des gens sans importance ! »

Deux sources ont expliqué à +972 que, « pour chaque agent subalterne du Hamas » désigné par le système d’IA, « il était envisageable de tuer entre 15 et 20 civils ».

Le fait que la censure de l’armée israélienne a autorisé la publication de l’article de +972 suggère que l’État pourrait tenter d’imputer la responsabilité de la totalité du massacre des civils palestiniens à l’algorithme d’une machine.

Et cette volonté d’échapper à ses responsabilités peut s’avérer efficace, à en juger les commentaires récents du secrétaire général de l’ONU.

António Guterres a déclaré qu’il était « profondément embarrassé » par les rapports concernant le recours par l’armée israélienne à des outils d’IA « provoquant un niveau très élevé de victimes civiles ».

« L’IA devrait être utilisée comme une force du bien qui profiterait au monde, et non pas contribuer à mener une guerre à un niveau industriel tout en jetant un flou sur toute responsabilisation »,

a ajouté le chef de l’ONU.

On ne voit pas clairement pourquoi l’utilisation de l’IA jetterait un flou sur toute forme de responsabilisation, puisque du personnel humain est impliqué dans le développement, l’approbation et l’utilisation de cette technologie.

L’article de +972 décrit la façon dont le personnel israélien a adopté la politique consistant à frapper des cibles supposées lorsqu’elles étaient chez elles – l’un des systèmes d’IA utilisé dans ce but par l’armée a été baptisé « Où est papa ? » – maximisant ainsi le nombre de victimes civiles.

Le fait de se concentrer sur la technologie via laquelle Israël oblitère des familles entières dans leur maison sert à masquer un autre fait : cibler des civils et des objets civils afin d’installer la terreur dans la population a été une caractéristique des grandes offensives israéliennes les plus récentes à Gaza.

 

23 octobre 2023. Une zone dévastée du quartier d'al-Rimal, dans le sud de la ville de Gaza, après des frappes aériennes israéliennes.

23 octobre 2023. Une zone dévastée du quartier d’al-Rimal, dans le sud de la ville de Gaza, après des frappes aériennes israéliennes. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Paul Biggar, fondateur de Tech for Palestine, a déclaré que l’utilisation de l’IA

« devrait être perçue comme une systématisation du génocide ».

« Elle crée le système via lequel on facilite et accomplit des tueries massives et c’est en fait l’Auschwitz de cette guerre »,

a-t-il ajouté.

Biggar a expliqué que les programmes d’IA utilisés par Israël

« servent exactement le même but que les camps de concentration de l’Allemagne nazie : ils permettent à Israël de tuer de façon automatique et systématique ».

En outre, la raison pour laquelle Israël cible probablement les combattants à leur domicile – si on n’est pas encore convaincu que la maximisation du nombre de victimes civiles constitue le véritable objectif – n’est pas envisageable dans le cadre des lois internationales.

Selon Itay Epshtain, un expert en droit international, « Israël ne peut prétendre procéder légalement à des ciblages sur la base d’une fonction de combat continue », dont le principe est de tenter de légitimer le meurtre de combattants de la résistance palestinienne alors qu’ils ne participent pas directement aux hostilités à ce moment-là.

« Israël a automatisé la suppression des règles sous-tendant une attaque légale, ce qui se traduit par un énorme préjudice pour les civils et les infrastructures civiles »,

a ajouté Epshtain.

Chris Gunness, un ancien journaliste et ancien porte-parole de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, a déclaré que l’utilisation du système d’IA telle que la révélait l’article de +972

« faisait un sort à l’argument prétendant que, si Israël avait tué un si grand nombre de civils, c’était parce que le Hamas utilisait des ‘boucliers humains’ ».

Ce point de propagande est fréquemment débité par les porte-parole, officiels ou pas, d’Israël et il a même été répété servilement par Guterres, le secrétaire général de l’ONU.

 

Les attaques sans discernement sont toujours illégales

Les lois internationales humanitaires protègent les civils en toutes circonstances et l’usage par Israël d’ordres d’évacuation et de déclaration de « zones humanitaires » n’annulent pas le statut protégé des civils qui ne peuvent pas ou ne veulent pas d’éloigner des zones de combat.

« Les attaques sans discernement, qui ne font pas la distinction entre cibles militaires et personnes et objets protégés, ne peuvent être proportionnées et sont toujours illégales »,

selon Francesca Albanese, l’experte indépendante de l’ONU concernant les droits humains.

Pourtant, Israël a déformé la terminologie des lois internationales humanitaires

« afin de justifier son recours systématique à la violence létale contre les civils palestiniens en tant que groupe, ainsi que la destruction à très grande échelle des infrastructures vitales »,

écrit Francesca Albanese.

“Israël l’a fait en déployant des concepts [de la législation internationale humanitaire] tels que les boucliers humains, les dégâts collatéraux, les zones de sécurité, les évacuations et la protection médicale d’une façon tellement permissive qu’il a vidé ces concepts de leur contenu normatif en renversant leur finalité protectrice »,

ajoute-t-elle.

Entre-temps, les déclarations des hauts responsables israéliens « se sont traduites en une conduite militaire qui répudie la notion même de protection des civils ».

Cette rhétorique a été utilisée non seulement par les hauts responsables israéliens, mais aussi par leurs

« apologistes et leurs larbins » dans le cadre d’« une campagne concertée (…) en vue d’oblitérer toute distinction entre les civils et les combattants palestiniens »,

écrit l’analyste Mouin Rabbani.

Sur le terrain à Gaza, selon Francesca Albanese, cela

« a transformé tout un groupe national et son espace habité en une cible destructible, révélant ainsi une conduite éliminationniste des hostilités (…) à partir de laquelle l’intention génocidaire requise est la seule conclusion raisonnable que l’on peut tirer ».

La volonté de Washington de fournir des armes et assurer une couverture diplomatique à cette situation en a amené certains, dont le journaliste Sam Husseini, à

« soupçonner que, pour certaines parties de l’establishment américain, la destruction complète (ou menace de destruction en tant que moyen de pression) des lois internationales pourrait être un but réel et non un coût »

du génocide perpétré par Israël à Gaza.

Tout en faisant savoir qu’il est

« indigné et désolé par le meurtre par Israël des membres du personnel de World Central Kitchen, Biden ne modifie pas sa politique de soutien matériel inconditionnel au massacre à Gaza – « une erreur manifestement horrible et stupide »,

a déclaré à Politico l’un des principaux collaborateurs de Biden.

 

 

L’administration Biden étripe non seulement la signification de la législation internationale, mais aussi celle des institutions certes défectueuses qui sont censées la faire respecter.

Après quelque six mois de génocide à Gaza et après s’être opposés à trois précédentes résolutions, les États-Unis ont finalement permis au Conseil de sécurité de l’ONU de faire passer une résolution réclamant un cessez-le-feu immédiat pour le reste du Ramadan.

Mais, dès que la résolution a été adoptée, Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice américaine à l’ONU, a affirmé qu’elle était non contraignante.

« En dépit de son absence de fondement, sa remarque a certainement été entendue dans les salles de crise de Tel-Aviv et de Jérusalem »,

a fait remarquer l’écrivain palestinien Samer Badawi.

« Quelques heures après le vote, les Palestiniens de Gaza ont rapporté une légère hausse dans les attaques de l’armée israélienne, y compris contre les masses, qui ont cherché refuge dans la moitié sud de l’enclave »,

a ajouté Badawi.

Selon Phyllis Bennis, qui fait partie de l’Institut des études politiques à Washington,

« quand Linda Thomas-Greenfield a prétendu que le vote du Conseil n’était ‘pas contraignant’, elle préparait le terrain pour que le gouvernement américain viole la Charte de l’ONU en refusant d’être lié par les termes de la résolution ».

Craig Mokhiber, un ancien haut fonctionnaire de l’ONU, a déclaré que

« les EU s’étaient montrés désireux de tout saboter – de détruire complètement le cadre juridique international dans le but de défendre un seul État d’apartheid et génocidaire, de bouleverser les lois humanitaires, d’abroger la Convention sur le Génocide et de déclarer ‘non contraignantes’ les résolutions du Conseil de sécurité ».

 

L’Institut Lemkin de prévention de génocide a déclaré que le sabotage par l’administration Biden de l’autorité du Conseil de sécurité

« présentait une menace sans précédent pour ‘l’ordre international s’appuyant sur des règles’ et dont les États-Unis étaient l’un des principaux architectes ».

Le refus par Israël

« d’autoriser l’aide humanitaire à Gaza, payée par les États-Unis (…), rend le pays inéligible pour une autre assistance sécuritaire américaine, selon les dispositions de la Loi sur les corridors d’aide humanitaire »,

a ajouté l’Institut Lemkin.

« Construire une jetée en Méditerranée avant d’exercer des pressions sur Israël pour qu’il permette à la file de camions chargés d’aide vitale humanitaire d’entrer via le passage frontalier de Rafah est un acte très onéreux de théâtre politique qui ne fera que garantir les morts inutiles et douloureuses de milliers de Palestiniens supplémentaires. »

« Le simple fait d’appliquer les lois existantes suffit », selon l’Institut Lemkin, qui porte le nom de l’homme qui a créé le terme « génocide ».

Dans ce qui pourrait constituer l’euphémisme de l’année, Human Rights Watch et Oxfam ont déclaré que les garanties d’Israël d’utiliser légalement les armes américaines « n’étaient pas crédibles ».

En continuant d’armer Israël alors qu’il orchestre une famine à Gaza, les EU méprisent leurs propres lois nationales, qui interdisent de fournir de l’aide militaire à des États qui bloquent l’aide humanitaire fournie par Washington.

 

Les organisations humanitaires qui opèrent dans le territoire ont déclaré communément que

« la réponse humanitaire à Gaza, y compris l’aide humanitaire financée par les EU, a été constamment et arbitrairement rejetée, restreinte et empêchée par les autorités israéliennes ».

Annelle Sheline, qui a récemment démissionné de ses fonctions au département d’État en raison du génocide à Gaza, a déclaré que la déclaration péremptoire de son ancien employeur prétendant qu’Israël respectait les lois américaines et internationales

« se moquait carrément du souci de l’administration à propos des lois ou du sort des Palestiniens innocents ».

 

On se souviendra de l’administration Biden pour avoir encouragé la déformation par Israël de la signification des lois internationales, y compris les conventions créées dans le sillage de l’Holocauste nazi en Europe afin que ne se répète plus jamais le massacre d’êtres humains à l’échelle industrielle.

Mais la complicité institutionnelle s’étend bien au-delà de Washington – allant jusqu’aux médias qui, pendant des décennies, ont déshumanisé les Palestiniens et leur résistance, aux universités qui n’ont pas exprimé la moindre condamnation pour le ‘scolasticide’ à Gaza, aux associations médicales qui ont gardé le silence à propos de la destruction par Israël des infrastructures de santé des Palestiniens.

 

7 décembre 2023. Des Palestiniens se précipitent au secours des blessés dans le sillage immédiat d'une frappe aérienne israélienne sur une maison de Khan Younis, dans le sud de Gaza.

7 décembre 2023. Des Palestiniens se précipitent au secours des blessés dans le sillage immédiat d’une frappe aérienne israélienne sur une maison de Khan Younis, dans le sud de Gaza. (Photo : Mohammed Zaanoun / ActiveStills)

 

Israël doit être tenu pour responsable et rendre des comptes pour ses crimes à Gaza, alors qu’auparavant il a toujours été gratifié d’une complète impunité.

Israël et les États qui sont ses complices doivent payer « des réparations proportionnelles à la destruction, à la mort et au préjudice infligés au peuple palestinien », déclare Francesca Albanese.

Entre-temps, écrit-elle, Israël doit être soumis à des embargos sur les armes et autres formes de sanctions ; la plainte pour génocide de l’Afrique du Sud contre Israël doit être soutenue à la Cour internationale ; les violations des lois internationales doivent faire l’objet d’enquêtes indépendantes et être poursuivies devant les tribunaux internationaux ; l’UNRWA doit être financée de façon adéquate ; et le haut-commissaire de l’ONU pour les droits humains doit appliquer la Convention sur le Génocide et « encourager ses efforts en vue de mettre un terme aux atrocités actuelles à Gaza ».

Les réparations pour les crimes d’Israël à Gaza, qui ont été facilités et encouragés par les EU, l’Allemagne, le Royaume-Uni et bien d’autres, vont devoir porter sur les violations des droits individuels et collectifs des Palestiniens et sur le péché originel que représente la colonisation sioniste de leur terre.

« L’actuelle Nakba doit cesser et il convient d’y remédier une fois pour toutes »,

déclare Albanese, faisant allusion à l’expulsion génocidaire des Palestiniens de leur patrie lors de la création de l’État d’Israël en 1948.

« Il s’agit d’un impératif dû aux victimes de cette tragédie hautement évitable et aux générations futures qui vivront sur cette terre. »

 

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 11 avril 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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