Un mariage palestinien en Jordanie

Vous pourriez croire que mon annonce sur Facebook du mariage de mon cousin gazaoui en Jordanie était une invitation à une veillée en souvenir de cette infamie qu’est Israël.

Les trolls sionistes qui accourent en nombre à chaque affirmation d’identité des Palestiniens ont une fois de plus exhibé leurs sales bobines pour sortir leurs discours d’oblitération et semer la discorde.

 

Un mariage palestinien en Jordanie

Mon message sur Facebook, le 21 juin 2024, avec la légende : « Des Gazaouis (mes cousins de la famille Bseiso) célèbrent un mariage en Jordanie en un endroit qui surplombe la Palestine ».

 

Depuis longtemps, les mariages palestiniens représentent la résilience. Ils revêtent une signification plus profonde durant les périodes de guerre; ils célèbrent les traditions et renforcent les liens; ils apportent un soutien émotionnel et facilitent les liens communautaires ; ils célèbrent la vie malgré l’adversité et symbolisent l’unité et l’espoir d’un avenir meilleur.

Le 21 juin 2024, j’ai posté sur Facebook ma photo prise lors d’un mariage palestinien chez mes cousins gazaouis. La légende disait : « Des Gazaouis (mes cousins de la famille Bseiso) célèbrent un mariage en Jordanie en un endroit qui surplombe la Palestine ».

Les trolls sionistes se sont servis de ce message comme d’une occasion pour remettre en question l’identité palestinienne de la famille (« la famille Bseiso, d’Alep, en Syrie, qui a émigré voici deux siècles vers la terre d’Israël ») et pour exprimer leurs opinions selon lesquelles la Jordanie est la Palestine et pour en déduire par conséquent qu’il n’était nullement nécessaire que les Palestiniens affirment leur droit à l’autodétermination et à la souveraineté dans leur patrie ancestrale :

« Le Royaume hachémite de Jordanie est en Palestine ! La PALESTINE n’est ni un État ni un pays, mais une région, exactement comme les Balkans ou le Caucase ! »
« Ils sont en Jordanie ! Et c’est là leur vraie place !!!!!! »
« Mais la Jordanie, c’est la Palestine arabo-musulmane ! Et sur 80 % de la région de Palestine, presque tout le territoire. Qu’est-ce qu’ils ont encore à regarder de plus ? »
« Er… La Jordanie est en Palestine ! »

 

En décrivant la Jordanie comme se trouvant « en Palestine », les trolls obscurcissent l’histoire pour attiser la confusion et créer des divisions. La monarchie de Jordanie a affronté des défis en équilibrant les intérêts palestiniens dans le même temps qu’elle maintenait sa stabilité et c’est cette stabilité délicate qu’Israël et ses trolls veulent bousculer. La frontière géopolitique décrite dans le cri de ralliement « du fleuve à la mer » ne comprend que la Cisjordanie, c’est-à-dire ce qui se trouve à l’ouest du Jourdain, et non ce qui se trouve à l’est.

Bien qu’il y ait des connexions historiques et culturelles entre les régions à l’ouest et à l’est du Jourdain, la Transjordanie n’était pas considérée comme faisant partie de la Palestine dans un sens géopolitique strict, au cours de la période ottomane ou sous le Mandat britannique après 1921, quand furent établies les frontières internationales entre la Palestine et la Transjordanie. À l’époque, l’accord Sykes-Picot et la déclaration Balfour apportaient une recette à l’instabilité désastreuse de la partie sud de la Grande Syrie, autrement dit, deux pays (la Palestine et la Transjordanie) pour trois peuples – les Palestiniens, les Transjordaniens et une communauté juive sioniste immigrante en nombre croissant en Palestine.

L’instauration du Royaume hachémite de Jordanie a procuré une continuité et un degré de stabilité dans la région (les Hachémites jouent un trôle particulier en tant que gardiens des sites sacrés musulmans à Jérusalem), mais la monarchie n’a jamais résolu le conflit sous-jacent entre les sionistes et les Palestiniens dans la région, préférant en lieu et place de coopérer avec les EU et abonder dans leur illusoire et trompeur « processus de paix ».

La Jordanie a soutenu les droits palestiniens et procuré un refuge et une intégration à de nombreux Palestiniens. Elle a toujours défendu une solution à deux États et les droits des Palestiniens sur les plates-formes internationales. Cette position a contribué à garder la cause palestinienne sous les projeteurs internationaux. Toutefois, la Jordanie a également agi dans le but de sauvegarder sa propre autorité, parfois au détriment des aspirations nationalistes palestiniennes. Ses actions ne se sont pas toujours parfaitement alignées sur les buts nationalistes palestiniens. Et, bien qu’aujourd’hui, dans le sillage du 7 octobre, l’opinion publique en Jordanie bascule fortement contre la normalisation avec Israël, les préoccupations concernant la stabilité et la sécurité restent d’une importance de premier plan pour les Jordaniens.

Après la Première Guerre mondiale, en 1920, la Société des Nations accorda un mandat sur la Palestine à la Grande-Bretagne. À l’origine, le mandat comprenait le territoire situé à l’est du Jourdain. Toutefois, les Britanniques avaient des plans administratifs différents pour ces régions. En 1921, les Britanniques décidèrent de séparer le territoire à l’est du Jourdain du mandat sur la Palestine, créant ainsi l’émirat de Transjordanie. Abdallah Ier, de la famille hachémite, fut installé comme émir. Ceci créa effectivement une entité administrative distincte, bien que toutes deux eussent été sous contrôle britannique.

L’instauration en 1921 de la Transjordanie en tant qu’unité administrative séparée signifiait qu’elle n’était plus considérée comme faisant partie de la Palestine dans un sens politique ou administratif. En 1923, cette séparation fut officialisée, mais le gouvernement britannique traita fréquemment les deux régions comme deux entités complémentaires – par exemple, la devise palestinienne était également la devise officielle de la Transjordanie : les fonctionnaires palestiniens étaient secondés dans l’administration en Transjordanie et la Palestine soutenait le budget transjordanien à la fois directement et indirectement. Les deux régions, après tout, étaient administrées par le même mandat. Le résident britannique à Amman opérait sous les directives du haut-commissaire en Palestine et les fonctionnaires palestiniens étaient habituellement désignés aussi pour l’administration de la Transjordanie.

En conséquence de la partition de la Palestine qui s’en était suivie et de la création par la violence de l’État colonial de peuplement juif sioniste sur 78 pour 100 du territoire palestinien, un antagonisme à l’égard d’Israël et le soutien à la Palestine restèrent profondément enracinés dans la culture politique et la conscience nationale des nations arabes et musulmanes.

Mon ami Max Monclair a exprimé la chose parfaitement :

« La seule raison pour laquelle la Jordanie n’est pas ‘en Palestine’ vient des Britanniques. Aucune personne vivant en Palestine n’a décidé quoi que ce soit à ce propos. Les trolls doivent apprendre l’histoire ou admettre honnêtement qu’ils défendent le ‘droit’ autoproclamé de l’Occident de déterminer la forme du reste du monde. »

Exactement de même que le mouvement sioniste et la présence dans la région d’Israël avec le soutien américain ont grandement influencé l’histoire ainsi que la politique et la stabilité de la Jordanie, la chose a également eu un important impact négatif et dramatique sur la stabilité de plusieurs autres pays du Moyen-Orient ; cela va de querelles territoriales à des tensions géopolitiques plus larges. En Palestine, les tensions non résolues du passé continuent de modeler la politique de la région de nos jours.

Ce qui suit est un passage en revue superficiel de ces scénarios :

Égypte : L’agression par Israël des Palestiniens, surtout à Gaza, continue de poser des menaces immédiates pour l’Égypte, y compris un afflux potentiel de réfugiés, une instabilité interne et de sévères réductions dans les revenus d’État, lesquelles sapent la sécurité économique et nationale de l’Égypte.

Irak : Le mouvement sioniste a joué un rôle dans les attaques des années 1950 contre les Juifs irakiens, ce qui a débouché sur des tensions et des déplacements de personnes. Cela a intensifié la concurrence entre les superpuissances (les États-Unis et l’Union soviétique) dans la région, au point de nuire grandement à la stabilité de l’Irak.

Liban : La guerre du Liban de 1982, lancée par Israël, a eu un impact profond sur la stabilité du Liban. L’invasion israélienne cherchait à affaiblir l’influence palestinienne et syrienne, mais s’est traduite par des pertes et déplacements importants. Le concept d’un « Grand Israël » comprenait également des parties du Liban, ce qui a contribué plus encore à des tensions régionales.

Syrie : La guerre de 1967 a amené Israël a s’emparer des hauteurs syriennes du Golan, ce qui a fait monter les tensions et a affecté la stabilité régionale. Le déracinement et la dépossession des Palestiniens à influencé la politique intérieure et étrangère de la Syrie, contribuant à son instabilité.

Yémen : Les actions d’Israël et leurs conséquences dans la région ont modelé la conception du monde des Houthis à propos de l’agression sioniste et américaine, alors que le Yémen est confronté à des luttes internes et que l’alignement du mouvement houthi avec la Palestine souligne la lutte géopolitique plus large au Moyen-Orient.

Soudan : Le conflit israélo-palestinien a impacté la sécurité du Soudan et ses relations avec la dynamique de pouvoir au Moyen-Orient, ce qui a indirectement affecté sa stabilité.

Comme je l’ai écrit ici :

« Une grande partie du monde comprend en fin de compte que le sionisme et Israël ne sont pas uniquement des problèmes, mais que ce sont des problèmes pour tout le monde. »

Longtemps avant le 7 octobre et le Déluge d’Al-Aqsa, il y a eu la révolution d’Al-Buraq, en 1929, le premier soulèvement palestinien contre les tentatives de judaïsation de Jérusalem durant la période du Mandat britannique. Le mur d’Al-Buraq est le mur occidental de la mosquée Al-Aqsa. Muhammad Jamjoum, Fouas Hijazi et Attar al-Zeer étaient des révolutionnaires palestiniens qui ont été exécutés par le Mandat britannique en 1930, pour leur rôle dans la révolution d’Al-Buraq.

 

Les trois Palestiniens exécutés à la prison d’Acre – Fouad Hijazi, Atta al-Zeer et Mohammed Khalil Jamjoum

Les trois Palestiniens exécutés à la prison d’Acre – Fouad Hijazi, Atta al-Zeer et Muhammad Khalil Jamjoum

 

Ces trois individus sont devenus les symboles durables de la résistance palestinienne et de sa lutte. Le journal Mirror of the East (Miroir de l’Orient) rapportait ce qui suit, le 21 juin 1930 :

« C’est le jour de mon mariage, m’man ; alors, réjouis-toi. »

« Quand la mère du martyr Muhammad Jamjoum lui a rendu visite en prison, il a vu qu’elle pleurait et il lui a dit : « C’est le jour de mon mariage, ma mère ; alors, ulule » et, de son côté, le martyr Atta al-Zeer a dit à ses sœurs : « Ne croyez pas que je suis mort, je suis vivant et, dans ce cas, ne pleurez pas pour moi. »

Ces trois hommes condamnés à morts, Fouad, Atta et Muhammad, ont continué de chanter des hymnes nationaux jusqu’à leur dernière heure.

 

En comparant son martyre à un mariage, Muhammad Jamjoum invoquait l’idée des mariages palestiniens en tant qu’expressions puissantes de la résilience, de l’amour et de la continuité.

 

« Dans les camps de réfugiés, c'était la joie : un mariage sous une tente » de Raed Issa

« Dans les camps de réfugiés, c’était la joie : un mariage sous une tente » de Raed Issa

 

Les Palestiniens véhiculent un mélange profond d’émotions, quand il s’agit du martyre de leurs fils. En même temps qu’un chagrin et une douleur immenses, ils éprouvent un profond sentiment de fierté nationale. Ils perçoivent le martyre comme un sacrifice digne de la défense de leur patrie et de la résistance à l’occupation, à la colonisation, et à l’injustice – un chemin vers le paradis et une récompense divine. Pour les Palestiniens, « La paix soit avec vous » signifie libération, égalité et justice.

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Rima Najjar est une Palestinienne dont la branche paternelle de la famille provient du village dépeuplé de force de Lifta, dans la périphérie occidentale de Jérusalem et dont la branche maternelle de la famille est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et une professeure retraitée de littérature anglaise, à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.

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Publié le 29 juin 2024 sur le blog de Rima Najjar sous le titre : “A Palestinian Wedding in Jordan, a Wake for Israel”
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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