Israël fustige la CPI, les Palestiniens demandent des actions immédiates

Les organisations palestiniennes ont demandé des « actions immédiates » de la part de la procureure, « afin de garantir que justice et comptes soient rendus aux victimes palestiniennes ».

Les organisations des droits de l’homme palestiniennes ont qualifié la confirmation par la CPI de sa juridiction territoriale de « démarche d’une importance exceptionnelle » en vue de mettre un terme à l’impunité israélienne. (Photo : Keren Manor / ActiveStills)

Les organisations des droits de l’homme palestiniennes ont qualifié la confirmation par la CPI de sa juridiction territoriale de « démarche d’une importance exceptionnelle » en vue de mettre un terme à l’impunité israélienne. (Photo : Keren Manor / ActiveStills)

Maureen Clare Murphy, 9 février 2021

La Cour pénale internationale est bel et bien investie de la juridiction territoriale pour enquêter sur des crimes de guerres supposés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, a affirmé une commission de juges la semaine dernière.

La décision, qu’il a fallu attendre quelques mois après avoir fait l’objet d’une requête par la procureure principale, a été très favorablement accueillie par les organisations des droits de l’homme qui ont demandé des procédures expéditives.

Nombre de personnalités du gouvernement israélien ont condamné la décision des juges de la CPI et le Premier ministre Benjamin Netanyahou l’a qualifiée d’« antisémitisme pur et simple ».

Fatou Bensouda, la procureure principale de la CPI, avait conclu fin 2019 une enquête préalable de cinq ans sur la situation en Palestine en déclarant que les critères avaient effectivement été réunis en vue d’enquêtes sur des crimes de guerre en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

Bensouda a cité trois exemples de crimes répondant aux critères de juridiction de la cour concernant la situation en Palestine.

Elle a déclaré qu’il y avait tout lieu de croire qu’aussi bien l’armée israélienne que des membres du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens avaient commis des crimes de guerre durant les hostilités à Gaza en 2014.

Le deuxième exemple cité par Bensouda est le transfert de la population civile d’Israël vers les colonies implantées en Cisjordanie.

La procureure principale a également pointé le doigt sur le recours à la force contre les Palestiniens par l’armée israélienne au cours des protestations de la Grande Marche du Retour qui avait débuté en mars 2018.

Bensouda, qui sera admise à la retraite en juin prochain, avait demandé la réunion d’une chambre préliminaire – une commission de juges – afin de déterminer si la cour était bel et bien investie d’une juridiction dans ces territoires.

Vendredi, son bureau a déclaré qu’il avait bien « accueilli cette mise au point juridique » et qu’il était occupé à « analyser soigneusement la décision ».

« Actions immédiates »

Une coalition d’organisations palestiniennes des droits de l’homme s’est félicitée de cette décision « qui fera date en tant que démarche très importante vers la garantie du pouvoir de la loi et vers la fin de l’impunité ».

Les organisations ont demandé des « actions immédiates » de la part de la procureure, « afin de garantir que justice et comptes soient rendus aux victimes palestiniennes ».

Ces quatre organisations – Al-Haq, Al Mezan, Al Dameer et le Centre palestinien pour les droits de l’homme – ont adressé « six communications substantielles et des milliers de dossiers de témoignages » au bureau de la procureure.

Les organisations en faveur des droits ont « l’habitude d’être confrontées à des mesures hostiles de punitions collectives de la part d’Israël », dont « une campagne prolongée de diffamation et de menaces de mort ».

De hauts responsables israéliens ont exprimé leur colère après l’annonce de la décision concernant la juridiction territoriale, en s’appuyant sur des accusations éculées et sans fondement d’antisémitisme, tout en ignorant la substance de la décision de la cour.

 

Dans un discours de vendredi, repris sur vidéo, Netanyahou a déclaré : « Nous combattrons de tout notre pouvoir cette perversion de justice. »

Dimanche, Naftali Bennett, un député israélien et chef de Yamina, un parti de droite, a déclaré : « Si la Cour pénale internationale établit une liste de suspects israéliens de prétendus crimes de guerre, je demande que mon nom figure en tête de cette liste. »  

Précédemment, Bennett s’était déjà vanté d’avoir « tué des tas d’Arabes ».

Bezalel Smotrich, un autre membre du Parlement israélien, a demandé à Netanyahou de dépeupler de force Khan al-Ahmar, un village palestinien de Cisjordanie, en guise de réponse à la CPI.

« Ce qui compte, ce n’est pas ce que les gentils vont dire, mais ce que les juifs vont faire », a-t-il déclaré – répétant une phrase célèbre attribuée au Premier ministre fondateur d’Israël, David Ben-Gourion.

Les investigations de la CPI ont probablement empêché Israël de détruire Khan al-Ahmar plus tôt.

En 2018, Bensouda avait exprimé son inquiétude quant à l’« élimination prévue » de Khan al-Ahmar, ajoutant que la destruction massive de biens et les transferts de population en territoire occupé étaient des crimes.

Les dirigeants israéliens s’en sont pris à Bensouda qui, l’an dernier, a été soumise à des sanctions économiques suite à un ordre exécutif du président américain de l’époque, Donald Trump, ordre qui est actuellement en examen au sein de l’administration Biden.

Danny Danon, l’ancien envoyé israélien aux Nations unies, a déclaré vendredi que « si quelqu’un devait se retrouver sur la sellette, c’était bien Bensouda ».

Israël rameute ses alliés

Pendant ce temps, Israël cherche une nouvelle fois à rameuter ses alliés dans son combat contre la justice internationale.

Dimanche, le ministre israélien des Affaires étrangères a instruit ses ambassadeurs de ce qu’ils devaient exercer des pressions sur les gouvernements des pays où ils étaient en poste afin qu’ils fassent des déclarations s’opposant à la décision des juges.

Jusqu’à présent, seuls les Etats-Unis, le Canada et l’Australie – tous trois des Etats coloniaux d’implantation, comme Israël – ont protesté contre la décision.

Lundi 8 février au soir, l’Union européenne a diffusé sur ses canaux de médias sociaux une déclaration concernant la décision de la CPI.

Mais, en réponse à une demande émanant de The Electronic Intifada, un porte-parole des Affaires étrangères de l’UE a écrit que le bloc « avait pris soigneusement note » de la décision et qu’il était « un fervent partisan de la CPI et de son indépendance ».

« Tant la CPI que sa procureure sont des institutions judiciaires indépendantes et impartiales, libres de toute poursuite d’objectifs politiques », ajoutait la déclaration, infirmant ainsi les allégations de partialité émanant de Netanyahou et d’autres dirigeants israéliens.

Le fait que les Etats-Unis, généralement pro-israéliens, n’ont pas formulé de critique à l’encontre de la décision, va sans doute faire retentir des sonnettes d’alarme du côté des dirigeants israéliens.

Il faut savoir, toutefois, que certains Etats membres de l’UE – dont la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et la République tchèque – sont intervenus auprès de la cour au nom d’Israël pour demander instamment aux juges de statuer contre la juridiction territoriale.

De hauts responsables israéliens prétendent que certains Etats membres de la CPI « se sont mis d’accord pour prévenir préalablement Israël de ce qu’ils n’ont pas la moindre intention d’arrêter » ses ressortissants à leur arrivée dans leurs pays, rapportait dimanche le quotidien de Tel-Aviv, Haaretz.

Fournir des avertissements qui pourraient permettre à des suspects de se soustraire à une enquête ou à une arrestation serait susceptible d’enfreindre les obligations des Etats membres de coopérer avec le tribunal. Ces obligations leur ont été imposées par le Statut de Rome qui a présidé à la fondation de la CPI.

Haaretz a ajouté qu’Israël disposait d’une liste de plusieurs centaines de ses officiels qui pourraient faire l’objet d’enquêtes et de poursuites de la part de la CPI, laquelle juge des individus et non des Etats.

On est encore sans doute loin d’en arriver à des procès pour crimes de guerre mais les enquêtes pourraient très bien débuter immédiatement.

La CPI est entrée en phase d’investigation dès que la procureure principale a clôturé l’enquête préliminaire en 2019, a expliqué vendredi dernier Susan Power, une chercheuse juridique d’Al-Haq, à Al Jazeera English.

Mais, dans leur décision concernant la juridiction territoriale, les juges de la CPI ont prévenu qu’il pourrait d’agir d’une procédure « très longue », suggérant par-là qu’il pourrait y avoir d’autres retards encore, comme l’a expliqué Power.  

« Disons que nous ne pouvons plus attendre plus longtemps », a déclaré Power. « Nous devons veiller à ce qu’il y ait une enquête immédiate. Il convient de remarquer que les dossiers sont déjà là. 


Publié le 9 février 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : La CPI reconnaît sa compétence pour juger les crimes de guerre d’Israël

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