Les forces israéliennes lancent des marches de la mort dans le nord de Gaza
Israël poursuit la destruction systématique du nord de Gaza en appliquant une incessante campagne d’extermination ethnique et d’expulsion massive forcée.
Nora Barrows-Friedman, 24 octobre 2024
Depuis près de trois semaines, Israël empêche l’accès de vivres, d’eau, de médicaments et de carburant aux zones situées au nord de la ville de Gaza et les journalistes et travailleurs médicaux restés sur place décrivent des scènes d’une horreur catastrophique.
Samedi, des images et des vidéos nous sont parvenues de ce que les journalistes ont qualifié de marche de la mort, à proximité de l’Hôpital indonésien de Beit Lahiya.
Le reporter Hossam Shabat a déclaré que les forces d’occupation israéliennes avaient creusé
« une fosse profonde dans l’un des squares entourant l’Hôpital indonésien et qu’elles y avaient fait descendre les Palestiniens mâles après leur avoir entravé les mains et bandé les yeux ».
Shabat a rapporté qu’au cours des jours qui ont précédé cette marche de la mort, l’hôpital avait été encerclé par les chars, que les soldats israéliens avaient coupé l’électricité, bombardé le bâtiment et ciblé ses deuxième et troisième étages avec leurs tirs d’artillerie.
Lundi, dans le camp de réfugiés de Jabaliya, les troupes israéliennes ont forcé des familles à quitter leurs maisons et ont attaqué une école transformée en refuge.
Hossam Shabat a encore rapporté qu’ils
« avaient aligné des gens et abattu toute personne qui osait bouger. Tout Palestinien mâle de plus de 16 ans est arrêté, torturé et interrogé. Une grande partie des personnes qui ont été alignées sont des malades, des gens qui ont été amputés, des patients atteints d’un cancer et des enfants à qui on demande de rester alignés debout pendant des heures. La situation est catastrophique. »
Le romancier Ahmed Masoud, qui a déjà participé à ce livestream et qui a de la famille à Jabaliya et à Beit Lahiya, a tweeté mardi que ses proches avaient été séparés les uns des autres selon leur sexe, et que les soldats israéliens avaient arrêtés les hommes. Il a ajouté qu’il n’avait plus eu le moindre contact avec sa famille depuis lors.
Mardi, le reporter Anas al-Sharif a expliqué que des drones israéliens munis de haut-parleurs avaient ordonné à plus de 10 000 Palestiniens déplacés de quitter une école de Beit Lahiya servant d’abri, sans quoi ils seraient bombardés ou mitraillés.
Ces expulsions de masse ont lieu dans la foulée immédiate des incessants massacres qui ont été perpétrés dans le nord de Gaza.
De même que l’Hôpital indonésien, l’hôpital al-Awda a lui aussi été touché directement par les attaques israéliennes vendredi. Et, mardi, le directeur intérimaire d’al-Awda avait déclaré que les forces israéliennes assiégeaient à nouveau l’hôpital.
Mardi également, le Dr Hussam Abu Safia, directeur de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, avait lancé un appel de détresse disant que les forces israéliennes avaient bombardé l’entrée de l’hôpital et que des drones quadricoptères larguaient eux aussi des bombes. Les étages supérieurs de l’hôpital étaient mitraillés et tous les services avaient cessé de fonctionner, avait-il ajouté.
« Il n’y a pas d’unités ou de tubes de sang pour drainer les saignements de la poitrine et la plupart des fournitures médicales ne sont pas disponibles. »
Et d’ajouter que les gens qu’on évacuait se faisaient abattre dès la sortie de l’hôpital, avait mis en garde le Dr Abu Safia.
« L’hôpital Kamal Adman va se muer en fosses communes. »
Mardi, dans une déclaration, Munir al-Bursh, le directeur du ministère de la santé à Gaza, qui se trouve actuellement dans le nord, a dit que les hôpitaux
« sont à court de cercueils pour accueillir les morts et nous avons demandé aux gens de faire don de toute pièce de tissu qu’ils ont chez eux ».
Les responsables palestiniens de la santé et les unités de secours civiles disent que des dizaines de cadavres de personnes tuées par les tirs israéliens restent disséminés sur les routes et sous les décombres du fait qu’il est impossible aux secours de les atteindre.
Le 17 octobre, dans le camp de réfugiés de Jabaliya, Israël a bombardé une école des Nations unies abritant des personnes déplacées. Au moins 28 Palestiniens ont été tués et 160 ont été blessés.
Le 19 octobre, Israël a bombardé plusieurs maisons de Jabaliya, tuant au moins 33 personnes et en blessant des dizaines d’autres.
Plus tard, le même jour, des dizaines de personnes ont été tuées à Beit Lahiya quand des avions de combat israéliens ont rasé complètement plusieurs blocs résidentiels.
Le ministère de la santé de Gaza a rapporté qu’au moins 87 personnes avaient été tuées et que de nombreuses autres étaient coincées sous les décombres.
Le journaliste Hossam Shabat a rapporté qu’Israël avait « piégé des zones résidentielles » à l’aide d’explosifs.
Les soldats israéliens, dit-il,
« placent des fûts d’explosifs la nuit et les font exploser le jour, provoquant ainsi la mort et toute une destruction dévastatrice. Ils se rapprochent de plus en plus des zones densément peuplées, où les résidents sont dans l’impossibilité de fuir en raison de la surveillance des quadricoptères qui ciblent toute personne qui tente de s’en aller. Le but d’Israël est de détruire chaque bâtiment du camp de réfugiés de Jabaliya et de tuer ses résidents de façon à pouvoir annexer la terre ».
La famine s’aggrave
Lundi, en pleine fermeture totale du nord de Gaza à toute nourriture, médicament ou goutte d’eau, les forces israéliennes ont tué six hommes palestiniens au moment où ils tentaient d’accéder à de l’eau potable dans le camp de Jabaliya, rapporte Al Jazeera.
Israël a également tué des travailleurs en route pour aller réparer une ligne d’eau dans le sud, à Khan Younis. L’organisation d’aide internationale Oxfam a déclaré lundi qu’Israël avait bombardé un véhicule pourtant clairement identifié transportant des ingénieurs et des travailleurs de la municipalité de Khuzaa travaillant en coordination avec leurs partenaires d’Oxfam au sein du Service des eaux des municipalités côtières.
Les quatre hommes ont été tués alors qu’ils allaient réparer des conduites de l’infrastructure des eaux à Khuzaa, à l’est de Khan Younis et que leurs déplacements avaient été coordonnés au préalable avec l’armée israélienne.
Le Bureau gouvernemental des médias de Gaza dit que les forces israéliennes ont empêché l’entrée de
« plus d’un quart de million de camions d’aide et de marchandises » depuis le début de la guerre, l’an dernier. Il ajoute que cela fait partie de la stratégie israélienne consistant à « renforcer la politique d’affamement et de l’utiliser comme une arme de guerre contre les civils et contre les enfants, spécialement en empêchant l’entrée de nourriture, de lait pour bébé et de compléments nutritionnels ».
Après avoir capitulé face aux restrictions sévères imposées par Israël ou à l’empêchement direct de toute livraison d’aide par voie terrestre à Gaza alors que les gens meurent de faim, le largage international de colis par la voie aérienne a quelque peu repris.
L’un de ces colis a tué un garçonnet de 3 ans, Sami Ayyad, dans la ville de Khan Younis, dans le sud de Gaza, a expliqué sa famille à CNN.
« La famille prenait son petit déjeuner quand des palettes ont été larguées par des avions en direction de la zone de déplacement »,
a rapporté CNN, citant le grand-père du petit garçon, qui s’appelle lui aussi Sami Ayyad.
Plusieurs membres de la famille, a ajouté le réseau,
« ont tenté de se mettre à couvert à l’intérieur de leurs tentes improvisées mais l’un des colis est tombé sur l’enfant de 3 ans, le tuant instantanément, a rappelé Ayyad. Une tante de Sami et un de ses cousins ont également été blessés, respectivement au pied et au visage, a ajouté Ayyad ».
Sami Ayyad a encore dit à CNN :
« J’étais assis ici avec le gamin et à l’instant où je l’ai quitté (…) le colis est tombé sur lui (…) Il n’y avait qu’une seconde entre lui et moi. Je l’ai emporté et je me suis mis à courir. »
« Nous n’avons pas d’hôpitaux. J’ai couru comme un fou, mais le gamin avait été tué sur le coup. Le sang commençait à lui sortir du nez et de la bouche. »
Un jeune fermier tué
Notre contributeur Yousef Aljamal a déclaré lundi qu’un jeune homme qu’il avait interviewé pour un récit que venions de publier dans The Electronic Intifada avait été tué.
Yousef Abu Rabee, un fermier et producteur de nourriture, a été tué lundi par une frappe de drone à proximité de sa pépinière après qu’il avait livré des produits frais à des gens de Beit Lahiya.
Dans les jours qui ont précédé sa mort, écrit Yousef Aljamal, Abu Rabee avait posté une brève vidéo sur son compte Instagram le montrant, lui et une autre personne, en train de se cacher pour se mettre à l’abri dans une rue étroite. Ils s’étaient retrouvés sous le feu alors qu’ils distribuaient des colis de nourriture emballés dans des sacs de plastique d’un bleu brillant. On pouvait entendre les détonations dans la vidéo.
L’écrivaine, chef et journaliste Laila El-Haddad a déclaré :
« Israël a assassiné le fermier Yousef Abu Rabee et ses deux collègues, aujourd’hui, au moment où ils livraient des semis à des voisins dans le nord de Gaza. C’était un véritable héros qui résistait au génocide dans des circonstances impossibles. »
Yousef Aljamal, qui avait longuement interviewé Abu Rabee à propos de son projet agricole dans le nord de Gaza, écrit :
« Le fait que les agriculteurs palestiniens ont même été capables de cultiver pendant un génocide est une merveille, et la perte de tout producteur de nourriture est dévastatrice pour la société dans son ensemble pendant qu’Israël se sert de l’affamement comme d’une arme de guerre. »
« L’assassinat d’un jeune fermier comme Abu Rabee, qui apportait une bouée de sauvetage à sa communauté, laisse les autres Palestiniens du nord de Gaza, où la moindre nourriture ne peut quasiment plus entrer depuis le début du mois, dans une précarité sans cesse accrue. »
Entre-temps, cette semaine, Michael Fakhri, le rapporteur spécial des Nations unies concernant le droit à la nourriture, a fustigé les membres de la communauté internationale au cours d’une séance de l’ONU.
« Il y a un an, j’étais devant vous et je vous ai dit que la nourriture était de plus en plus utilisée comme une arme contre les civils »,
a déclaré Fakhri.
« Il y a exactement un an, moi-même, en compagnie d’autres mandataires, j’ai sonné l’alarme à propos du risque de génocide contre le peuple palestinien. Malheureusement, vous n’avez pas entrepris d’actions suffisantes et, comme mes collègues et moi-même l’avions prédit, la guerre d’Israël s’est révélée comme une campagne génocidaire contre le peuple palestinien. Le peuple palestinien est confronté à un génocide depuis un an, sans le moindre signe qu’Israël envisage un jour de s’arrêter. »
Et d’ajouter :
« Ce que le monde a appris, c’est qu’aucune quantité de faits et de chiffres, aucun degré dans l’horreur, dans la mort et la douleur ne suffisent pour déclencher une réponse mondiale à la famine et au génocide. »
L’intensification des attaques contre le Liban
Alors qu’il se tourne vers le nord, ces derniers jours, Israël a intensifié ses bombardements contre les civils au Liban. Lundi, les forces israéliennes ont effectué plusieurs frappes dans les faubourgs sud de Beyrouth, dont une à proximité de l’hôpital universitaire Rafik Hariri, le principal hôpital public de la capitale.
L’attaque a tué plus d’une douzaine de personnes, dont un enfant, et en a blessé plus de 50, selon les autorités libanaises de la santé.
Les administrateurs de l’hôpital Sahel, dans le sud de Beyrouth, ont rapporté que le site médical avait été évacué à la suite de mises en garde émises par Israël.
Lundi, le porte-parole de l’armée israélienne, Daniel Hagari, a prétendu que le Hezbollah gardait des millions de dollars en or et en liquide dans le bunker personnel de son chef assassiné, Hasan Nasrallah, situé sous l’hôpital Sahel. C’est le même genre d’allégations sans fondement concernant des bunkers militaires cachés sous les hôpitaux de Gaza qu’Israël a émises pour justifier leur bombardement.
Lundi, des frappes de l’aviation israélienne ont frappé des immeubles à appartements dans le sud de Beyrouth.
Le nombre de personnes tuées depuis le début de l’offensive israélienne au Liban s’élève à plus de 2 500 et près de 12 000 autres ont été blessées. Et environ 1,2 million de personnes – soit un quart de la population libanaise – ont été déplacées de chez elles.
Dimanche, révélant une intensification encore accrue de ses attaques contre les civils, Israël a bombardé des succursales et bureaux d’al-Qard al-Hassan, une société de crédit qui consent de modestes prêts aux citoyens, mais dont Israël prétend qu’elle fait partie de l’infrastructure financière du Hezbollah, l’organisation de résistance libanaise.
Insister sur le défi et la résilience
Finalement, comme nous le faisons chaque fois, nous avons voulu partager des vidéos de personnes exprimant leur défi et leur résilience face à l’intensification par Israël de sa campagne de destruction.
Cette vidéo montre une femme libanaise préparant son café dans sa maison détruite :
Et cette vidéo, enregistrée et partagée par les Gaza Sunbirds, une équipe d’adeptes du paracyclisme, montre l’un de ses membres, originaire de la partie centrale de la bande de Gaza, en train de préparer du pain et du manakish parmi les décombres de sa maison, afin de se délecter ainsi d’un petit déjeuner palestinien classique.
Le texte ci-dessus récapitule les informations traitées au cours du livestream du 23 octobre. Vous pouvez visionner la totalité de l’émission ci-dessous.
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Publié le 24 octobre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine