Un massacre israélien ne laisse que peu de survivants

Le premier missile lancé par les forces d’occupation israéliennes le 28 octobre sur la maison familiale des Abu Nasr à Beit Lahiya, dans le nord de Gaza, a frappé la cage d’escalier.

Asil Almanssi, 25 novembre 2024


Quelque 300 membres de la famille Abu Nasr élargie s’étaient réfugiés dans les dix appartements de l’immeuble de cinq étages, et la cage d’escalier était la seule issue de secours.

Après le tir du premier missile, à 22 heures ce soir-là, la majorité des personnes présentes dans l’immeuble ne pouvaient déjà plus s’échapper. Quand le deuxième missile a été lancé, le lendemain à 4 heures du matin, seuls 15 membres de la famille élargie ont survécu : 10 enfants et 5 hommes adultes.

The Electronic Intifada a interviewé quelques-uns des survivants qui reçoivent actuellement des soins à l’hôpital international al-Helou, à Gaza même.

Voici leurs témoignages.

 

Hani Abu Nasr

 

Un des survivants du massacre, Hani Abu Nasr, 39 ans, à l'hôpital al-Helou de Gaza.

Hani Abu Nasr, 39 ans, à l’hôpital al-Helou de Gaza. (Photo : Asil Almanssi)

 

Hani Abu Nasr a 39 ans. Sa femme et ses fils ont été tués lors de l’attaque israélienne.

« Les forces d’occupation ont lancé un missile de reconnaissance qui a touché la cage d’escalier de l’immeuble [le 28 octobre à 22 heures], bloquant ainsi une issue de secours importante. Alors qu’on ne se rendait pas compte que d’autres frappes allaient suivre, seul mon frère, qui vivait au rez-de-chaussée et qui n’avait donc pas besoin d’utiliser les escaliers, est parvenu à s’échapper avec sa femme et ses enfants.

« Les membres restants de la famille et moi-même étions bloqués et dans l’impossibilité d’évacuer, si bien que nous avons appelé la Défense civile et les services ambulanciers, mais on nous a répondu qu’aucune aide ne pouvait nous atteindre pour le moment. Nous avons rassemblé nos affaires en espérant pouvoir obtenir de l’aide à l’aube. Hélas, les forces d’occupation ont frappé à nouveau et ont pulvérisé cet espoir.

« Les forces d’occupation ont attaqué l’immeuble avec des missiles tiré par un F-16 [le 29 octobre à 4 heures du matin], qui l’ont réduit en un amas de décombres.

« Quand la frappe a eu lieu, je n’ai rien entendu ou ressenti. Je me suis réveillé et je me suis retrouvé sur le toit d’un immeuble voisin du nôtre. C’était le petit matin et je pouvais entendre des gens hurler ainsi que le bruit des voisins qui sortaient les victimes de notre immeuble et des immeubles voisins – dont celui de la famille Odeh –, qui avaient également été endommagés par la frappe aérienne.

« Mon bras saignait et la douleur était insupportable. J’avais mal à la cage thoracique et j’avais l’impression d’avoir des côtes brisées. Je ne pouvais ni parler ni crier, et personne dans les environs ne pouvait me voir ou m’aider. En regardant autour de moi, j’ai vu des pierres éparpillées sur la surface où j’étais couché. J’ai essayé de ramper sur le dos jusqu’au bord du toit et je me suis mis à jeter des pierres pour attirer l’attention de l’une ou l’autre personne. À la troisième tentative, j’ai enfin entendu quelqu’un qui disait : ‘Il y a quelqu’un, là.’ »

Des voisins sont arrivés et ont déposé Hani dans une carriole tirée par un cheval pour l’emmener à l’hôpital al-Awda. Il ne savait toujours pas que sa femme et ses quatre enfants étaient devenus des martyrs.

Il est resté à l’hôpital al-Awda pendant trois jours, dans l’impossibilité d’être transféré en raison des attaques israéliennes incessantes dans le nord de Gaza.

Quand il est arrivé à l’hôpital al-Helou à Gaza, les médecins ont découvert qu’il avait le bras gauche fracturé ainsi qu’une déchirure des bronches – une « lésion potentiellement mortelle » provoquée par une force contondante sur la poitrine.

 

Muhammad Abu Nasr

Muhammad Abu Nasr, 29 ans, est le frère de Hani qui a pu s’échapper avec sa femme et ses enfants après la première frappe israélienne.

« Quand l’explosion s’est produite et que le mur extérieur de l’immeuble s’est effondré dans ma maison, j’ai su que nous étions en danger et qu’il nous fallait sortir. J’ai sauté par-dessus le mur et j’ai vu que la cage d’escalier de l’immeuble avait été détruite, ne laissant aucune issue à ma famille sans l’aide de la Défense civile ou des équipages d’ambulance. Je ne savais pas s’il fallait nous sauver ma famille et moi ou rester sur place et affronter la mort avec ceux qui étaient restés sur les lieux. »

Muhammad a sauté par-dessus le mur et sa femme a dû lui lancer leurs trois enfants de l’autre côté. Ils se sont réfugiés chez un voisin, dans l’impossibilité de parcourir de longues distances la nuit à cause des quadricoptères qui ne cessaient de patrouiller au-dessus de leurs têtes.

« Je n’ai pas fermé l’œil toute cette nuit, je ne cessais de penser à mes parents, à mes frères, mes nièces et mes neveux. Comment aurais-je pu les laisser là et m’en aller ? Étais-je vraiment un lâche, un traître ? Ces pensées me tourmentaient et j’étais incapable de dire si j’avais fait ce qu’il fallait ou pas.

« Finalement, je me suis endormi, mais pendant dix minutes seulement. Je me suis réveillé au bruit d’une explosion plus forte encore que tout ce que j’avais jamais entendu. On aurait dit qu’un tremblement de terre avait ébranlé tout le secteur, le sol tremblait violemment et des parties des murs de la maison dans laquelle je m’étais réfugié s’effondraient. C’est alors que j’ai compris que le bruit venait de la maison de ma famille.

« Je pouvais entendre des voix de membres de ma famille, criant et suppliant pour qu’on leur vienne en aide. Ils disaient qu’il y avait beaucoup de blessés et qu’il y avait des martyrs. La douleur était insupportable, et elle était rendue pire encore par le fait que je ne pouvais sortir. Tout le monde me disait de ne pas le faire, me prévenant que j’allais m’exposer moi-même au danger. J’ai dû attendre jusqu’au matin parce que les forces aériennes israéliennes patrouillaient dans le ciel. J’étais assis là, à écouter les cris et les pleurs de ma famille, dans l’incapacité de lui venir en aide. »

Muhammad a retrouvé 117 corps, dans les décombres, et il a expliqué qu’il estimait que 130 autres étaient toujours ensevelis sous les débris.

 

Aida Abu Nasr

Aida Abu Nasr, 15 ans, a survécu, mais tous les membres de sa famille immédiate sont devenus des martyrs.

« Nous vivions au cinquième étage et, quand le missile de reconnaissance a frappé [le 28 octobre], ma mère, ma sœur et moi-même avons été blessées. Nous dormions l’une à côté de l’autre dans le living. Le reste de ma famille était indemne, mais ils ne pouvaient rien faire pour nous aider parce que personne ne pouvait sortir. Nos blessures n’étaient pas graves, à première vue, mais nous saignions et j’avais terriblement mal aux jambes. »

Ils criaient et appelaient à l’aide, mais personne ne répondait. Ceux qui n’étaient pas blessés s’étaient mis à préparer des sacs et à rassembler des choses essentielles, en espérant s’en aller dans la matinée.

« Quand les missiles des F-16 ont frappé [à 4 heures du matin], je n’ai rien entendu, et pourtant je n’ai jamais perdu conscience. Tout d’abord, un épais nuage noir a masqué ma vue mais, progressivement, tout est devenu plus clair. Je me suis retrouvée entre ma mère et ma sœur. La section où nous étions s’était inclinée et sur le point de s’effondrer. J’ai survécu parce que j’étais au dernier étage, mais ceux qui étaient blessés dans les étages inférieurs ont continué de se vider de leur sang, sans la moindre possibilité d’être secourus.

 

Un des survivants du massacre, Aida Abu Nasr, 15 ans, à l'hôpital al-Helou de Gaza.

Aida Abu Nasr, 15 ans, à l’hôpital al-Helou de Gaza. (Photo : Asil Almanssi)

 

« Ma mère s’accrochait à mon bras droit et ma sœur Rania se retenait à mon bras gauche, par crainte de tomber. Toutes deux étaient blessées et je ne cessais de leur demander : ‘Vous allez bien ?’ Elles ne pouvaient réagir qu’avec leurs yeux, elles ne pouvaient pas parler.

« Ma jambe était coincée sous un bloc de béton et je criais et je suppliais après de l’aide tandis que mon autre pied était coincé sous les décombres. Chaque fois que j’essayais de le libérer, ma mère s’accrochait plus fortement à moi, par crainte de tomber.

« Je suis restée tranquille, en gardant ma position afin de les rassurer. Puis, soudain, j’ai senti sa main qui glissait de mon bras. J’ai tourné les yeux vers elle et j’ai vu qu’elle était morte, et ma sœur enceinte, de l’autre côté, était morte avant elle, sans même que je l’aie remarqué.

« J’ai encore tenté de libérer mon pied et, après plusieurs tentatives, j’y suis enfin parvenue. À ce moment-là, le jour s’était levé et je boitais à cause de mon pied blessé, en marchant sur les restes de mes frères, de ma mère et de mon père, tout en criant : ‘Aidez-moi ! Aidez-moi !’ » »

Aida a été emmenée à l’hôpital al-Awda sur une charrette. Des équipes de secours ont tenté de retrouver ce qu’elles pouvaient de sa famille, mais elles n’ont retrouvé que sa mère et sa sœur.

Finalement, Aida a été transférée de l’hôpital al-Awda vers l’hôpital al-Helou.

 

Bassam Abu Nasr

Bassam Abu Nasr a 5 ans et il est le seul survivant de sa famille immédiate.

Il a eu les deux jambes cassées lors de l’attaque israélienne et il présente des brûlures au troisième degré sur le corps. Il va lui falloir plusieurs opérations chirurgicales supplémentaires et il a besoin de toute urgence d’un traitement médical à l’étranger.

Bassam pleure et crie, en posant constamment des questions sur son père. Il se souvient de l’avoir vu dans un état horrible, la tête ouverte et saignant de toutes parts.

Bassam a été découvert dans une maison voisine et emmené à l’hôpital al-Awda, où il est resté trois jours en détresse psychologique sévère, demandant qu’on retrouve ses parents et ne cessant d’appeler les noms de ses frères et sœurs.

Au moment où il est arrivé à l’hôpital al-Helou, il était dans un très mauvais état. Il doit compter sur des sédatifs et des antidouleurs, sans quoi il souffre d’intenses crises de larmes.

Les seuls mots que je l’ai entendu prononcer, encore et toujours, étaient : « Je veux mon papa. »

 

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Asil Almanssi écrit et vit à Gaza.

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Publié le 25 novembre 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal,  Charleroi pour la Palestine

 

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