Israël a laissé un « cadeau mortel » dans ma maison.
« Puis est venu le choc qui a fait trembler mes jambes. L’un des hommes m’a dit que la boîte était un piège, une bombe déguisée en boîte de nourriture. ‘C’est un cadeau mortel que les soldats israéliens ont laissé aux enfants de Gaza’, m’a-t-il dit. »
Rasha Abou Jalal The Electronic Intifada 7 mars 2025

Après 15 mois de déplacement dans le sud de la bande de Gaza, je croyais avoir perdu la faculté d’être surprise. Quelle erreur !
Je suis retournée à Gaza le 6 février, suite à l’accord de cessez-le-feu entre le Hamas et Israël.
Tout ou presque, chez moi, n’était plus que décombres. Et les souvenirs dispersés parmi les débris semblaient me crier dessus.
J’ai repéré une boîte en métal avec des caractères en hébreu sur les parois et une petite clé.
J’ai ramassé la boîte pour essayer de voir si c’était du thon ou des haricots.
J’ai pensé que cette boîte avait été placée dans les décombres comme si quelqu’un voulait que je la trouve. J’ai senti une boule dans ma gorge.
Depuis quand une boîte d’aliments est-elle capable d’attirer ainsi le regard ?
Dans mon esprit, je n’ai d’abord pas compris, mais il y avait quelque chose d’étrange. Il n’y avait ni date de péremption ni nom de marque, sur la boîte.
Quand je l’ai soulevée du sol, j’ai senti qu’elle était plus légère que je ne l’aurais pensé. Cela m’a incité à me rappeler les messages écrits que les organisations internationales m’envoient constamment sur mon téléphone, afin de mettre les gens en garde contre tout objet suspect parmi les ruines des maisons.
À ce moment, j’ai senti un frisson me parcourir l’épine dorsale. J’ai déposé la boîte, puis j’ai reculé d’un pas, puis d’un autre.
Immédiatement, j’ai appelé le numéro gratuit des urgences, le 102. J’ai expliqué la situation à la personne qui m’a répondu et elle m’a dit de ne pas toucher à la boîte, de quitter immédiatement les lieux ; une équipe de déminage était en route.
Il n’a pas fallu attendre longtemps avant l’arrivée de deux hommes en uniforme, mais sans équipement en main. Ils se sont présentés comme des experts en déminage travaillant pour le ministère de l’Intérieur de Gaza.
Ils m’ont demandé de désigner l’endroit où j’avais découvert la boîte. Je l’ai fait.
Les deux hommes ont alors procédé avec prudence. L’un d’eux a ramassé précautionneusement la boîte et l’a déposée à l’intérieur d’un coffret en acier qui se trouvait dans leur véhicule.
Un piège à nourriture.
Puis est venu le choc qui a fait trembler mes jambes. L’un des hommes m’a dit que la boîte était un piège, une bombe déguisée en boîte de nourriture.
« C’est un cadeau mortel que les soldats israéliens ont laissé aux enfants de Gaza « , m’a-t-il dit.
À ce moment, j’ai remercié Dieu pour n’avoir pas emmené mes cinq enfants chez moi. Je les avais laissés avec leur grand-mère dans la maison de mes parents, dans le quartier d’al-Nasr, dans la partie ouest de la ville de Gaza./
L’expert en déminage m’a dit que leurs équipes avaient découvert parmi les décombres des maisons des dizaines de mines déposées intentionnellement ainsi que d’autres munitions non explosées en raison d’un dysfonctionnement technique.
On croit qu’il reste encore des centaines, voire des milliers, de ces munitions non explosées que l’on n’a pas encore découvertes.
Muhammad al-Qadi a été tué le 7 février dans l’explosion d’un objet suspect laissé par l’armée israélienne à Rafah, la ville la plus au sud de Gaza, a fait savoir l’agence d’information Wafa.
En janvier, 10 personnes ont été blessées – dont quatre sont dans un état critique – suite à une explosion à al-Qarara, à l’est de Khan Younis, également dans le sud de Gaza.
Des données des Nations unies ont révélé que plus de 90 personnes avaient été tuées ou blessées par des munitions non explosées depuis le début des attaques israéliennes en octobre 2023, a-t-il été rapporté le 29 janvier.
The New York Times a fait savoir en décembre que l’armée israélienne avait tiré près de 30 000 munitions sur Gaza au cours des sept premières semaines de la guerre, soit plus que durant les huit mois suivants mis ensemble.
Une explosion soudaine.
Muhammad al-Haddad, 31 ans, ne savait pas à quoi ressemblerait sa maison, dans le quartier de Shujaiya, à Gaza même, après 15 mois de guerre et de déplacement, mais il se doutait bien qu’elle ne serait plus la même que lorsqu’il l’avait quittée.
Quand al-Haddad arriva à sa maison, le 2 février, il découvrit qu’elle n’était plus qu’un amas de décombres, mais qu’il y avait des choses qui pouvaient être récupérées.
Il découvrit les restes d’un placard, quelques planches en bois et une table retournée. Au moment où il essayait d’arracher du sol ce qu’il pourrait porter, son pied se posa sur une planche en bois à moitié ensevelie sous les décombres.
Une explosion soudaine projeta son corps pendant quelques secondes avant qu’il ne retombe durement sur le sol et qu’il perde conscience.
Quand il rouvrit enfin les yeux, la lumière était diffuse, au-dessus de lui. Il se trouvait dans un lit, désorienté, sans savoir où il était.
Il se souvenait d’avoir essayé de se lever, mais son corps n’avait pas répondu.
Il avait essayé de remuer sa jambe droite. Elle n’y était plus.
Il se trouvait à l’hôpital Al Ahli de la Ville de Gaza.
Depuis des mois, je rêvais de ce moment… pouvoir retourner dans ma maison, même s’il n’en restait rien, mais je n’aurais jamais imaginé que ce retour allait déboucher sur une telle tragédie », a raconté al-Haddad à The Electronic Intifada.
« Israël n’a pas seulement détruit nos maisons, il nous a laissés mourir dans les ruines. Il ne veut même pas que nous pleurions nos maisons en sécurité », a-t-il ajouté.
Al-Haddad est l’une du nombre inconnu de victimes palestiniennes des mines et munitions israéliennes.
« Nous sommes confrontés à une situation où la plupart des gens de Gaza vont soit retourner dans un immeuble salement endommagé dans lequel ils ne pourront entrer, soit ne retrouver qu’un amas de décombres », a déclaré en janvier Achim Steiner, le directeur du Programme de développement des Nations unies, au diffuseur allemand Deutsche Welle.
« Et ces décombres constituent toujours un danger. Il y a des munitions non explosées et des mines terrestres. C’est un environnement très toxique. »
Muhammed Maqdad, chef du département de déminage au ministère de l’Intérieur de Gaza, a expliqué à The Electronic Intifada que l’armée israélienne avait largué plus de 85 000 tonnes de bombes sur Gaza, depuis le début de la guerre.
« Je crois que le volume de munitions non explosées pèse environ 9 000 tonnes », a-t-il dit, faisant remarquer que, depuis le cessez-le-feu, ses équipes avaient trouvé des munitions non explosées à l’intérieur de quartiers résidentiels.
Maqdad a expliqué que les experts procédaient à un examen préalable de la munition avant de la désamorcer en en séparant le détonateur ou en la transportant vers des sites désignés en fonction du danger représenté.
Maqdad a insisté sur le besoin urgent d’outils spécialisés, tels du matériel de levage lourd et des équipements modernes de protection, afin de garantir la manipulation en toute sécurité de ces munitions.
Cela pourrait prendre 14 ans pour sécuriser Gaza contre ces munitions non explosées, a rapporté en avril dernier le Service d’action des Nations unies contre les mines.
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Rasha Abou Jalal est journaliste. Elle vit et travaille à Gaza.
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Traduction: Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine