Israël a émis des ordres de déplacement massif et juré d’attaquer « avec une vigueur extrême »
Ils sont des milliers à fuir Gaza après qu’Israël a émis des ordres de déplacement massif et juré d’attaquer « avec une vigueur extrême »
Mercredi, les scènes de déplacement massif étaient semblables à une marée humaine progressant lentement dans les rues détruites.
Rasha Abou Jalal, 15 mai 2025
GAZA – Mercredi, l’armée israélienne a prévenu qu’elle allait attaquer certaines parties de Gaza « avec une vigueur extrême » et elle a émis de nouveaux ordres de déplacement visant plusieurs zones dans les quartiers situés au centre et dans l’ouest de la ville. Dans la soirée, des milliers de familles déplacées à Gaza se sont mises à fuir leurs abris dans la panique et en pleine confusion.
Les ordres de déplacement sont venus plusieurs heures après qu’Israël avait perpétré un nouveau massacre horrible en bombardant cinq maisons à Jabaliya, tuant plus de 50 Palestiniens, dont 22 enfants et 18 femmes. Israël est en train de bombarder Gaza sans relâche – au moins 77 morts mercredi, plus d’une centaine aujourd’hui. Mardi, Israël avait bombardé deux hôpitaux le même jour, alors que le troisième mois de blocus total a laissé tout le monde à Gaza tenaillé par la faim et la soif. Des centaines de milliers de personnes, dont de très nombreux enfants, sont confrontés à la famine.
Selon une carte postée en ligne par l’armée israélienne, les zones ciblées par les ordres de déplacement comprennent huit écoles, dont certaines gérées par l’UNRWA – y compris le complexe scolaire Al-Shati, l’école Al-Karmel, l’école Mustafa Hafez School, le complexe scolaire Al-Furqan et l’Université islamique – qui servent de refuges à des centaines de milliers de Palestiniens déjà déplacés des parties nord et est de l’enclave.

14 mai 2025. Carte postée par l’armée israélienne avec les ordres de déplacement pour plusieurs zones de la ville de Gaza. (Source: X)
Les ordres comprennent aussi la zone où se trouve l’hôpital al-Shifa – le plus grand complexe médical de la bande de Gaza. Des centaines de blessés et de patients malades sont en traitement et cherchent un abri dans l’hôpital.
Les scènes de déplacement massif, ce mercredi, étaient semblables à une marée humaine progressant lentement dans les rues détruites de la ville. Les rugissements des avions de combat et les vrombissements des drones se poursuivaient sans discontinuer. Les hommes transportaient le peu de biens qu’ils avaient pu emporter : des nattes de couchage déchirées, des couvertures grises de poussière et des sacs en lambeaux. Les femmes marchaient derrière eux, suivies par les enfants et portant les plus petits. Certains des enfants marchaient pieds nus et d’autres portaient leur cartable rempli de vêtements et de quelques bouteilles d’eau. Des familles faisaient route vers le nord, vers les quartiers d’Al-Nasr et de Sheikh Radwan, qui étaient déjà densément peuplés et qui avaient toutes les peines du monde à accueillir les personnes déplacées d’autres zones.
Sur le côté d’une route du quartier d’Al-Nasr, Islam Obeid, 42 ans, était assise avec ses cinq enfants sous une vieille nappe, essayant de s’abriter un peu.
« C’est la quatorzième fois que nous fuyons les bombardements depuis le début de la guerre en octobre 2023 »,
explique-t-elle à Drop Site.
« Il ne reste pas d’endroit sûr à Gaza. Où devrions-nous aller ? Même les rues se referment sur nous. »
La famille a été forcée de fuir le quartier d’Al-Zaytoun dans l’est de Gaza, où ils vivaient avant la guerre. Depuis lors, ils ne cessent d’aller d’écoles en camps de déplacement, d’où ils sont chassés chaque fois par de nouveaux ordres de déplacement et par les bruits des bombes qui tombent.
Son fils Mahmoud, 12 ans, se tient pieds nus derrière elle, portant sa petite sœur sur ses épaules.
« Avant la guerre, j’allais à l’école »,
dit-il.
« Aujourd’hui, je porte ma sœur et je cherche une tente avec elle. Nous sommes fatigués. »
Il regarde sa mère et poursuit :
« Je veux vivre dans une maison qui nous protège. Je ne veux plus d’autre déplacement, je ne veux plus courir ni rester sans toit. »
Une explosion toute proche interrompt la conversation, incitant la mère à serrer ses enfants dans ses bras, par peur.
« Nous ne sommes pas des numéros. Nous sommes des mères, des fils et des âmes qui se font tuer chaque jour »,
dit Obeid.
« Chaque fois que nous nous déplaçons, nous disons que c’est la dernière fois. Mais on dirait que se déplacer est notre sort éternel. »
Fuir un hôpital sur des civières
Au complexe hospitalier al-Shifa, des foules de personnes sont massées aux entrées principales pour aider à évacuer leurs proches blessés, malgré l’annonce par le directeur de l’hôpital Mohammad Abu Salmiya qu’il n’a pas reçu d’ordre direct de déplacement de la part de l’armée israélienne. Des gens affluent vers l’extérieur en transportant leurs proches blessés sur des civières en même temps que des bonbonnes d’oxygène portables.
Mahmoud Deeb, 34 ans, traîne son frère Ibrahim, 35 ans, blessé, sur un lit d’hôpital, guidant les roues cliquetantes sur le pavement brisé.
« Je ne pouvais pas le porter »,
déclare Deeb à Drop Site, haletant d’épuisement et les yeux brillants de larmes.
« Ses blessures sont graves, dans le ventre et aux jambes, son corps est enveloppé de gaze de la tête aux pieds. Le lit même est devenu un moyen de survie. Soit nous fuyons avec le lit, soit nous mourons ensemble. »
Ibrahim a été blessé il y a une semaine par un shrapnel lors d’une frappe aérienne qui ciblait leur maison dans le quartier de Tel Al-Hawa. Il tremble de douleur et peut à peine parler.
« Je me sens comme un cadavre vivant. Je pensais que l’hôpital était un endroit sûr et maintenant je dois m’enfuir de là »,
dit-il.
Voilà Gaza : un homme qui hale son frère blessé sur l’asphalte, sans savoir où aller mais refusant de le laisser affronter la mort tout seul.
Ma maison est devenue un refuge
Alors que je suis absorbée pour rédiger cet article à l’intérieur de la maison que j’ai louée à Gaza, après que ma propre maison a été détruite au cours d’une précédente étape de la guerre, j’entends des gens qui frappent à la porte d’entrée. C’est ma sœur Hiba et sa famille de six personnes : ils sont venus loger chez nous, après avoir fui leur maison dans le quartier d’al-Rimal.
« J’ai dû me déplacer, cette fois, parce que je ne puis trouver une seule raison de rester »,
me dit Hiba.
« Il ne reste rien pour nous protéger, sauf en nous protégeant les uns les autres. »
Nous sommes tous rassemblés dans une pièce et j’ai apporté un peu de literie pour que ma sœur et sa famille puissent dormir. Ma nièce Layan, sept ans, me demande :
« Tantine, est-ce que ta maison est sûre contre les bombardements ? »
Je réponds en tentant de la rassurer.
« Oui, on est très loin de la zone de bombardement, ici. Tu peux dormir en paix. »
J’avoue : Je lui ai menti. Il n’y a pas un seul endroit sûr, à Gaza.
Dans une autre pièce de la maison, le mari de ma sœur est assis avec mon mari, faisant défiler son téléphone à la recherche de l’une ou l’autre nouvelle de Doha, où le président américain Donald Trump doit rencontrer l’émir du Qatar dans le cadre de sa visite dans la région. Tout le monde à Gaza suit son voyage avec grand intérêt, en espérant des infos au sujet d’un cessez-le-feu potentiel.
Israël a promis d’intensifier encore ses opérations et de s’emparer de la totalité de Gaza après le retour de Trump aux EU. Est-ce le début de cette offensive ? Mardi, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a dit que les forces israéliennes étaient à quelques jours de l’escalade promise et qu’elles allaient entrer à Gaza « avec une vigueur extrême afin de mener à bien leur mission », tout en promettant qu’il y aurait « pas moyen » de le forcer à arrêter l’attaque.
Le mari de ma sœur est visiblement épuisé.
« Trump a promis de mettre un terme à cette guerre mais il n’a pas tenu sa promesse »,
dit-il.
« À chaque déplacement, nous devenons des personnes déplacées dans les maisons de nos proches. Je ne sais pas combien de temps cette situation va se poursuivre. »
« La guerre a transformé nos maisons en valises »,
ajoute-t-il.
« Nous les accrochons à notre dos et nous cherchons un coin où pouvoir vivre un jour de plus. »
Il a fallu que je me retire pour rédiger cet article sur un autre déplacement massif à Gaza qui, désormais, inclut ma famille étendue, déplacée dans ma salle de séjour.
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Rasha Abu Jalal est une journaliste de la bande de Gaza. Elle travaille pour plusieurs médias qui couvrent les questions politiques, humanitaires et sociales palestiniennes. Elle est membre permanente du comité d’évaluation de l’annuel Press House Award.
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Publié le 15 mai 2025 sur Drop Site
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine