Comprendre la relation entre Ansar Allah et le Hamas
C’est à partir de sa réorientation interne que le rapprochement entre le Hamas et Ansar Allah est apparu. Ce pivot n’était pas accidentel, il faisait partie d’un recalibrage délibéré visant à bâtir un front stratégique pour la tempête à venir : l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ».
Moussa al-Sadah
En avril 2022, devant des centaines de milliers de personnes rassemblées à Sanaa, la capitale du Yémen, le dirigeant du Hamas et futur martyr Ismail Haniyeh s’adressait à la foule à l’occasion de la Journée d’al-Quds la sainte ». Ses paroles étaient reprises sur un écran géant :
« Jérusalem est au cœur de Sanaa et du Yémen, qui a toujours été un berceau de l’identité arabe et un bastion de l’Islam, et qui vit et respire pour Jérusalem et la Palestine. »
Sept ans plus tôt, en 2015, à peine trois jours après le lancement de la campagne militaire saoudienne-américaine, « Opération Tempête décisive », le mouvement Hamas de la résistance palestinienne publiait une déclaration exprimant son soutien à « l’autorité légitime du Yémen ».
La compréhension du décalage et du contraste entre ces deux moments constitue la clé pour comprendre la structure sous-jacente de la relation entre Ansar Allah et le Hamas à l’approche du « Déluge d’Al-Aqsa ». Ce décalage a marqué un tournant, transformant leurs liens en un cadre modèle et un noyau fondateur de la solidarité transfrontalière entre deux mouvements sociopolitiques arabes.
Du côté du Hamas, le mouvement avait subi des réalignements internes et avait recalibré sa position régionale et internationale. Ce qui ressort, c’est la façon dont une structure politique complexe, couvrant des dirigeants emprisonnés, des réfugiés à Gaza en état de siège, des Palestiniens nés dans les pays arabes et des communautés de la diaspora en Occident, est parvenue à préserver une façade publique de cohésion. Et cela, en dépit des mondes, structures de classe et paradigmes politiques différents qui forment sa base, constitue bel et bien une réussite organisationnelle. Sur le plan historique, les mouvements nationaux et islamiques croulent souvent sous le poids des dissensions internes. Le fait que, dans un paysage palestinien aussi fragmenté et instable, le Hamas a maintenu un semblant d’unité est l’une de ses plus grandes réussites.
Cette cohésion fragile et qui pourtant tient bon est particulièrement importante dans le contexte du colonialisme, qui cherche avant tout à démanteler les structures sociales et organisationnelles des colonisés. La capacité d’organiser et de préserver l’unité interne reste l’une des questions et l’un des défis existentiels les plus pressants des mouvements de libération nationale.
C’est à partir de sa réorientation interne que le rapprochement entre le Hamas et Ansar Allah est apparu. Ce pivot n’était pas accidentel, il faisait partie d’un recalibrage délibéré visant à bâtir un front stratégique pour la tempête à venir : l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ». La remise en place des alliances régionales devenait essentielle. Ce réseau est aussi complexe que les contradictions propres au monde arabe. Pourtant l’histoire nous enseigne : Pour tout mouvement de libération, exploiter les contradictions et bâtir des intérêts communs est une précondition à la survie et à la victoire. Et ce, qu’il s’agisse d’exploiter des plates-formes médiatiques comme Al Jazeera, de s’engager avec des régimes arabes intermédiaires ou d’établir des liens avec des mouvements transnationaux en Malaisie, au Pakistan et en Amérique du Sud.
De con côté, Ansar Allah proposait un modèle, fondé sur des principes, de solidarité arabe, politique et sentimentale, avec la Palestine et ses mouvements de résistance. Le fondement idéologique du mouvement yéménite, enraciné dans les enseignements révolutionnaires de son fondateur, le martyr Sayyed Hussein Badr al-Din al-Houthi, est exceptionnel. Sa vision, forgée au début des années 2000 et restée inébranlable, était panislamique, anti-impérialiste et radicalement opposée au sionisme. Cette vision perçoit la lutte palestinienne non comme un slogan mais comme une cause arabe existentielle qui requiert de l’humilité ainsi qu’un engagement et un soutien indéfectibles.
Ansar Allah a conservé cette position de principe envers la cause palestinienne, même lorsque certaines factions palestiniennes lui étaient hostiles. La loyauté envers la Palestine a été une constante révolutionnaire, non une variable tactique. Ansar Allah savait que céder aux divisions ou s’aligner sur des polarisations sectaires ne ferait que servir les intérêts sionistes. Par conséquent, les principes fondamentaux d’Ansar Allah, mis en évidence dans les discours de son dirigeant Abdul Malik al-Houthi, et même les chants de guerre de ses combattants en pleine agression saoudienne-américaine, tous étaient restés bien ancrés au milieu de l’adversité. Sur les plans émotionnel et idéologique, le mouvement a préservé une volonté anti-sioniste profondément enracinée qui continue à modeler la conscience politique yéménite.
À partir de ces fondements, la convergence des deux mouvements en un moment de magnitude révolutionnaire, le 7 octobre, a marqué un changement considérable qu’aucun des deux mouvements n’avait pleinement anticipé. Pour le Hamas et ses combattants, un nouvel acteur était entré brusquement dans leur sphère sociale et opérationnelle, comme s’ils venaient, maintenant précisément, de découvrir cette organisation longtemps masquée par près d’une décennie de guerre et de distorsion de la part des médias arabes et internationaux : ceux qu’on appelle communément les « Houthis ».
Pour Ansar Allah, le mouvement d’octobre a confirmé, via le courage pur, l’ingéniosité et le sacrifice extraordinaire des combattants palestiniens, l’image idéalisée longtemps imprimée dans l’imagination arabe d’un peuple palestinien héroïque et fidèle. Cette impression, déjà enracinée dans la conscience révolutionnaire de la résistance yéménite, a trouvé une nouvelle vie. La jeunesse d’Ansar Allah en tant que mouvement et le pied de guerre continu qui définit son histoire l’ont longtemps maintenu dans un état constant de préparation révolutionnaire et de potentiel de mobilisation, deux caractéristiques qui lui ont permis de résonner puissamment avec la résistance palestinienne.
Aujourd’hui, la relation entre les deux mouvements, renforcée via le « Déluge » et la fusion émotionnelle et politique sur le champ de bataille, a atteint un niveau sans précédent tant dans son ampleur que dans sa nature. Elle se profile comme un modèle unique d’alignement entre une organisation de résistance palestinienne et un mouvement politique arabe qui gouverne un État. Via une messagerie médiatique coordonnée, un partage d’images et de symboles, une légitimation mutuelle et une communication stratégique, le Yémen est désormais devenu un point d’ancrage solide pour la dimension arabe régionale du « Déluge d’Al-Aqsa ». Pour sa part, Ansar Allah a prouvé la sincérité de ses slogans et l’authenticité de sa voie révolutionnaire.
Dans le paysage politique arabe élargi, cette alliance entre le Hamas et Ansar Allah propose un cadre méthodologique et un modèle fondamental sur lesquels il vaut la peine de s’appuyer ; depuis les stratégies de communication partagées jusqu’aux mécanismes facilitant l’unité entre deux sociétés arabes distantes et distinctes, qui diffèrent souvent dans certains aspects de l’interprétation historique de l’Islam, cette alliance représente un important défi aux divisions sectaires et un pas en avant vers la mise en place du bloc arabe historique capable de résister à l’alliance coloniale-impérialiste ; et ce bloc est nécessaire de toute urgence, et certainement avant la fin des dix années à venir, pour affronter à la fois le pouvoir colonial et ses mandataires arabes.
C’est pourquoi il nous faut rejeter aujourd’hui les efforts de ceux qui s’accrochent à un monde d’avant le 7 octobre, en particulier les voix des deux camps de la guerre civile syrienne, qui tentent de déterrer de vieux désaccords afin de semer la division au profit de petits avantages à courte vue et irresponsables. Au lieu de cela, nous devrions tirer des leçons de la relation entre le Hamas et Ansar Allah, de l’élan créé par le Déluge d’Al-Aqsa et l’appel aux armes de Muhammad Deif, et construire là-dessus. Faire moins serait rendre service au sionisme.
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La présente traduction est celle d’un texte en anglais, lui-même traduction d’un article publié originalement en arabe.
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Publié le 23 mai 2025 sur Al-Akhbar
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine