L’Iran a gagné, Israël a perdu

Le 13 juin, Israël lançait une guerre d’agression contre l’Iran. Après plus de 24 heures de cessez-le-feu, une chose est claire – l’Iran a gagné, Israël a perdu.

« Cela n’a pas été une défaite décisive pour le régime [israélien] : Elle ne l’a pas mis au bord de l’effondrement », a expliqué mardi Mohammad Marandi, de l’Université de Téhéran, sur le site Dialogue Works.

« Mais ç’a été une victoire pour l’Iran. »

Le 24 juin, place Enghelab à Téhéran, les gens saluent l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu entre l'Iran et Israël. (Photo :Sha Dati / Xinhua News Agency)

Le 24 juin, place Enghelab à Téhéran, les gens saluent l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël. (Photo :Sha Dati / Xinhua News Agency)

 

Ali Abunimah, 25 juin 2025

 

L’évaluation de Marandi est honnête : la guerre d’Israël a échoué et l’Iran en est sorti plus fort. Ceci a d’énormes implications pour l’Iran, la Palestine et le monde.

 

Comment définir un vainqueur ?

Carl von Clausewitz a dit que la guerre, c’était de la politique avec d’autres moyens. Vous êtes gagnant si vous réalisez certains objectifs.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a affirmé que la guerre était destinée à écarter « deux menaces existentielles » contre Israël, « la menace nucléaire et la menace des missiles balistiques ».

Mais son objectif réel, seulement suggéré, était un changement de régime.

Dans la foulée du cessez-le-feu, Netanyahou a parlé d’« une victoire historique », prétendant qu’il avait éliminé la « menace de destruction par les armes nucléaires » et celle de « 20 000 missiles balistiques ».

Il a notamment oublié le changement de régime.

Tactiquement, Israël a engrangé quelques « succès » rapides – en tuant des commandants, des savants iraniens et leurs familles. Mais, si l’on mesure ces « succès » à l’aune des objectifs mêmes de Netanyahou, Israël s’est planté totalement.

 

La « menace » nucléaire

L’Iran n’a pas d’armes nucléaires et ne tentait même pas d’en fabriquer, d’après les évaluations des renseignements américains et de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Le président américain a néanmoins adopté le mensonge de Netanyahou disant que l’Iran en « était très près » et il a bombardé trois sites nucléaires iraniens.

Mais les évaluations des renseignements américains disent maintenant que les bombardements américains ont seulement fait régresser les programmes nucléaires iraniens de quelques mois.

Les responsables américains admettent qu’ils ne savent pas où se trouve l’uranium fortement enrichi de l’Iran. L’Iran l’avait déménagé avant les frappes.

En outre, l’attaque inefficace s’appuyait sur la puissance américaine.

Israël n’a rien réalisé du tout.

 

Les missiles balistiques de l’Iran

Netanyahou a prétendu que l’Iran disposait de 20 000 missiles balistiques.

Sa propre armée situait ce nombre à 2 500.

L’armée israélienne prétend que l’Iran a lancé environ 550 missiles pendant le conflit et qu’il lui en restait entre 1 000 et 1 500, à la fin.

Israël affirme que l’Iran disposait d’environ 250 lanceurs mobiles et qu’à la fin de la guerre, il lui en restait tout juste une centaine.

Marandi estime le nombre de lanceurs – des camions facilement remplaçables – à plusieurs milliers, un chiffre bien plus réaliste pour un pays de la taille de l’Iran [1 648 000 km², soit près de trois fois la superficie de la France – NdT].

De tout cela, nous ne pouvons rien vérifier. L’Iran ne fait pas étalage de ses secrets militaires et Israël ne passe pas pour dire la vérité. Mais l’Iran a consacré des décennies à se doter d’un programme de missiles afin de dissuader les États-Unis et Israël. Il est peu vraisemblable qu’Israël ait pu lui infliger tant de dégâts.

Même selon Israël, l’Iran a terminé la guerre avec un arsenal significatif et, pour autant que nous le sachions, les bases et sites de lancement souterrains de l’Iran sont restés intacts.

Mais la preuve la plus flagrante de l’échec israélien est venue mardi matin, au cours des heures qui ont précédé l’entrée en vigueur du cessez-le-feu : l’Iran a pilonné Israël de salves répétées de missiles balistiques, obligeant des millions d’Israël à rester dans leurs abris où ils avaient déjà passé une bonne partie des 11 journées précédentes.

Mardi matin, un missile a frappé un immeuble à appartements à Beersheba, tuant quatre personnes, ce qui portait à 28 le nombre de tués en Israël pendant la guerre.

Israël a tué plus de 600 personnes en Iran.

Pourtant, avec quelques centaines de missiles, l’Iran a affaibli le stock d’intercepteurs israéliens en quelques jours et a provoqué des dégâts sans précédent, pulvérisant ainsi le sentiment de sécurité et d’impunité d’Israël.

L’Iran a révélé de nouveaux types de missiles qui pouvaient percer avec une facilité évidente les systèmes de défense américains et israéliens à plusieurs couches.

La censure israélienne masque une grande partie des dégâts.

Mais ce qui était visible a montré la vulnérabilité d’Israël – même avec une protection massive de la part de l’armée américaine.

La guerre de Netanyahou a montré qu’Israël était plus vulnérable que jamais.

 

Le changement de régime a échoué

Bien qu’Israël n’ait jamais admis qu’un changement de régime était son objectif, tel était manifestement le but de Netanyahou.

Michael Oren, l’ancien ambassadeur d’Israël à Washington, a reconnu que le changement de régime était un « but implicite ».

Il a déclaré que l’effondrement de l’Iran – même s’il répartissait le matériel nucléaire entre les factions concurrentes d’un « Iran balkanisé » – était préférable à son actuelle direction centralisée.

Les remarques adressées dimanche par Oren à CNN révèlent la crainte réelle de Tel-Aviv : non pas un Iran nucléaire, mais un Iran souverain qui soutient la résistance. C’est la même crainte qui a été le moteur de la destruction par les EU et Israël de l’Irak, de la Libye et de la Syrie.

En dépit des sanctions et du mécontentement, la République islamique exerce une légitimité sur le plan national, déclare Marandi.

L’agression jointe américano-israélienne, affirme-t-il, a renforcé l’État iranien et a laissé certains segments de la société orientés vers l’Occident désillusionnés par la tromperie occidentale.

« La plus grande réussite ou cadeau de l’Iran n’a pas eu lieu sur le champ de bataille mais au pays même, parmi le peuple, qui en est sorti plus uni »,

a déclaré un Iranien.

Comme l’a déclaré l’analyste Mouin Rabbani, les prétentions de Trump à propos de l’oblitération du programme nucléaire de l’Iran constituent

« une vantardise mieux connue sous le nom de proclamation de victoire et retour à la maison ».

Les EU ont très vraisemblablement compris que l’attaque israélienne avait atteint ses limites et que

« la seule logique consistait à continuer dans le contexte de la réalisation du résultat différent du changement de régime ».

Ainsi donc, Netanyahou n’a pas seulement été à même de provoquer un changement de régime, il a également été incapable d’attirer les EU dans une guerre de plus grande ampleur. Les frappes de Trump ont été « un acte de théâtre politique », pour reprendre les mots de l’inspecteur des armements à l’ONU, Scott Ritter.

 

Quid de Gaza ?

Certains espéraient que l’Iran allait conclure un cessez-le-feu pour mettre un terme au génocide de Gaza.

C’est compréhensible, au vu de l’insupportable horreur en cours. Durant les 12 jours de guerre contre l’Iran, Israël a tué près de 900 Palestiniens à Gaza.

Mais c’était irréaliste et cela aurait été extrêmement risqué.

La stratégie de l’Iran n’a jamais été de soutenir la Palestine via une guerre directe contre Israël. Au contraire, elle a consisté à soutenir les organisations de résistance autochtones. Et c’est précisément la raison pour laquelle l’Iran a été ciblé.

L’Iran a dit dès le début qu’il allait punir Israël et cesser ses représailles dès qu’Israël cesserait de l’attaquer. Le but de l’Iran était défensif et non de chercher l’escalade.

Qu’aurait-il pu se passer si l’Iran avait lié cette guerre à la fin du génocide à Gaza ?

Il est possible que les EU auraient lancé une campagne stratégique de bombardement en vue de sauver Israël. Ils auraient attaqué les institutions de l’Iran, son industrie, ses infrastructures avec une férocité plus grande encore que celle d’Israël.

Il y aurait eu des milliers de morts et les dirigeants iraniens auraient pu perdre leur légitimité chez eux en poursuivant un tel combat.

Marandi doute que de telles pertes puissent rapporter le moindre bénéfice stratégique. À long terme, le but de l’Iran est de se renforcer tout en faisant de même avec la résistance dans le Sud mondial.

L’Iran et les mouvements de résistance alliés n’ont jamais cherché à vaincre Israël d’un seul coup, mais plutôt à l’épuiser progressivement. Voilà comment fonctionne la guerre asymétrique quand vous êtes le camp le plus faible, obligé d’affronter la pleine puissance de l’empire occidental dirigé par les EU.

Bien que ce soit Israël qui l’a initiée, cette guerre a fait progresser ce but. Israël maintenant apparaît faible, instable, peu sûr de vivre et totalement dépendant du soutien étranger dans un monde où il est plus haï que jamais après près de deux années de génocide perpétré en direct à Gaza.

La fuite des cerveaux et des capitaux va probablement s’accélérer.

Si l’Iran avait continué, il aurait perdu l’initiative.

En terminant la guerre depuis une position de force – après avoir montré ses missiles et survécu à une guerre d’agression – l’Iran a préservé ses capacités et peut désormais les renforcer.

L’Iran n’a pas signé d’accord en vue de mettre un terme au soutien à quelque organisation de résistance que ce soit. Il reste indépendant et souverain.

Il n’y a aucune indication que cette guerre « a modifié la position stratégique de l’Iran », fait remarquer Sina Toossi du Centre pour la politique internationale.

 

Les dangers qui guettent

Alors que l’Iran a prévalu, les dangers qu’il doit affronter ne peuvent être sous-estimés : Washington et Tel-Aviv vont intensifier leurs efforts en vue de le subvertir et de l’affaiblir.

Les Iraniens savent qu’ils ne seront pas en mesure de se reposer et, selon Marandi, ils vont se mettre immédiatement au travail pour aborder les vulnérabilités révélées par l’attaque israélienne.

« Si le cessez-le-feu que vient d’annoncer Trump tient le coup – et va de pair avec des échanges diplomatiques sérieux entre les EU et l’Iran – il pourrait marquer une défaite stratégique pour Israël dès l’instant où il a lancé cette guerre »,

estime Toossi.

Mais les termes et les buts de toute « diplomatie » sont importants. L’Iran n’a absolument aucune raison de faire confiance aux États-Unis ou à leurs vassaux européens. « Négociation », à leurs yeux, signifie demande de reddition.

Toute négociation doit se faire en force.

Implications mondiales

À la suite de l’agression illégale d’Israël, l’Iran à gagné légitimité et soutien au niveau international.

Il a suscité de fortes déclarations de soutien de pays du monde entier, dont la Russie, la Chine, le Brésil et les nations musulmanes et arabes.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux régimes arabes amis d’Israël et qui sont depuis longtemps hostiles à l’Iran, se sont joints à la condamnation de l’agression israélienne.

Le boniment adressé par Israël aux régimes arabes faibles soutenus par les EU a longtemps consisté à leur dire qu’il pouvait les aider à contrer une menace supposée venant de l’Iran.

Cette proposition semble nettement moins attrayante, désormais.

Même la frappe symbolique de l’Iran contre une base américaine au Qatar, annoncée à l’avance afin d’éviter des pertes, portait un message clair : L’Iran est disposé à combattre n’importe qui dans la région, si on le provoque.

Cela devrait concentrer les esprits sur le golfe. Même Trump, dont la perfidie et l’imprudence ont contribué à déclencher la guerre, a reconnu le danger et s’est précipité pour éteindre les flammes.

Nous devons espérer que cette confrontation avec un désastre régional encore plus large et la reconnaissance de la faiblesse d’Israël vont inciter Washington à mettre un terme au génocide américano-israélien à Gaza.

Il y a plus de chance que cela arrive tant que subsistera un Iran fort et souverain.

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Ali Abunimah

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

Publié le 25 juin 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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