« Nous avons essayé de rester dans la ville de Gaza. Il n’est plus du tout possible de s’y maintenir en vie. »
La journaliste Rasha Abou Jalal parle du déplacement forcé de sa famille de Gaza dû à la poussée des forces israéliennes.

Rasha Abou Jalal
Sharif Abdel Kouddous, 24 septembre 2025
Alors qu’elle vivait à Gaza même, la journaliste Rasha Abou Jalal a été forcée de s’en aller le mois dernier pour aller vivre sous une tente dans la partie orientale de la ville, à la suite de la brutale offensive de l’armée israélienne en vue de s’emparer de la ville et de le nettoyer ethniquement de ses habitants palestiniens. Malgré cela, elle était bien décidée à rester dans la ville avec son mari et ses cinq enfants. Mais comme l’étau des chars, des soldats et des quadricoptères israéliens se resserrait – et vu l’effondrement du système des soins de santé – sa famille a finalement été forcée de s’en aller la semaine dernière. Elle s’est lancée à pied dans un voyage épuisant qui l’a conduite à Nuseirat, dans la partie centrale de la bande de Gaza.
Rasha Abou Jalal et sa famille vivent désormais sous une tente en bord de route. Elle explique qu’au vu de ces nouvelles circonstances, il lui est de plus en plus difficile de faire son travail.
« Nous n’avons pas d’électricité et je dois vraiment me battre pour recharger mon portable et mon téléphone. Chaque jour, je me rends avec mes appareils à un point de recharge à quelque 300 mètres d’ici et cela prend environ six heures pour les recharger. Cela entrave fortement mon travail journalistique et ma communication avec les autres. C’est pareil pour internet. Mon téléphone n’a pas de carte Sim intégrée et chaque jour, je dois donc parcourir environ cinq cents mètres pour chercher une connexion internet et assurer ainsi le suivi de mon travail »,
dit-elle.
Le récit que vous allez lire est celui du déplacement de Rasha Abou Jalal. Des centaines de milliers de Palestiniens ont été forcés de fuir la ville de Gaza, au cours du mois dernier.
Le récit de Rasha Abou Jalal
La semaine dernière, je me trouvais en compagnie de plusieurs de mes voisins et voisines à notre campement de tentes dans la partie ouest de la ville de Gaza et nous discutions de l’importance de rester bien déterminé et de ne pas quitter la ville, malgré le plan israélien prévoyant d’en prendre le contrôle et de la vider de ses habitants. C’est alors qu’une frappe israélienne est tombée tout près avec une force assourdissante et a aussitôt transformé notre rassemblement en une scène de panique et de peur débordantes.
Ma fille de six ans, Hour, jouait en face de notre tente mais, quand je l’ai cherchée des yeux, j’ai vu qu’elle avait été touchée par un éclat d’obus et que du sang coulait de son nez. Terrorisée, je me suis précipitée vers elle et j’ai essayé d’évaluer la gravité de ses blessures. Elle avait l’air stable, mais du sang coulait abondamment d’une blessure à son nez.
Mon mari a décidé de l’emmener à l’hôpital Al-Shifa Hospital, naguère le plus grand hôpital de Palestine mais, après avoir été attaqué et pris d’assaut à plusieurs reprises par l’armée israélienne, il n’est plus que l’ombre de ce qu’il était, et seuls quelques bâtiments sont encore debout.
Quand ils sont arrivés, mon mari a trouvé l’hôpital bondé de blessés des incessants bombardements israéliens sur la ville. Il y avait des patients éparpillés partout dans les couloirs et même débordant à l’extérieur.
Il a attendu pendant quatre heures avant de pouvoir joindre un médecin, tout en tenant un morceau de tissu sur le nez de notre fille pendant l’attente. Après tout ce temps, le médecin a dit que Hour allait avoir besoin d’agrafes pour refermer la blessure. C’est alors qu’est venue la nouvelle choquante : le médecin a dit à mon mari qu’il allait devoir trouver une pharmacie et acheter le fil à coudre, l’iode et la gaze, parce que l’hôpital ne disposait même pas de ces fournitures médicales les plus élémentaires.
Ç’a été le tournant décisif. Nous avions fermement décidé de ne pas quitter la ville. Mais si le principal hôpital de Gaza ne pouvait pas fournir les agrafes et la gaze pour soigner une petite blessure, comment allions-nous nous débrouiller si l’un d’entre nous était grièvement blessé ? C’est alors que mon mari et moi avons décidé que rester dans cette ville n’était plus viable. Nous allions devoir nous déplacer vers le sud ; il n’était plus du tout possible de se maintenir en vie dans la ville de Gaza avec nos cinq enfants.
Plus tard, ce soir-là, comme je préparais la literie de mes enfants, j’ai entendu un grand choc à l’extérieur de la tente. Des familles du quartier couraient en tous sens et tentaient de se cacher des drones quadricoptères israéliens, qui tiraient au hasard sur tout ce qui bougeait.
Tous les gens du coin se sont mis à démonter leurs tentes pour fuir vers le sud. Rester ici n’était plus un choix. Le temps était épuisé.
Nous avons passé notre dernier jour à Gaza à l’intérieur d’une maison abandonnée en face de notre tente. Elle avait été touchée de plusieurs balles tirées par des quadricoptères. Puis, à 4 heures de l’après-midi, quand la chaleur étouffante de la journée s’est atténuée, nous avons entamé notre voyage vers le sud.
Nous ne pouvions emporter la plupart de nos affaires avec nous, puisque nous n’avions aucun moyen de les transporter. Nous avons essayé tant et plus de trouver l’un ou l’autre véhicule, mais les chauffeurs refusaient d’entrer dans l’ouest de Gaza à cause de l’intensité du bombardement.
Pire encore, même si nous avions pu trouver un moyen de transport, nous n’aurions pu nous le permettre. Le tarif pour emmener une famille dans le sud est aujourd’hui de 1 500 dollars par trajet, alors qu’il était tout au plus de 50 dollars avant la guerre.
Nous n’avions d’autre choix que de nous en aller à pied. Mes enfants ont porté des sacs à dos contenant de l’eau, de la nourriture et quelques vêtements, alors que mon mari et moi avons porté quelques couvertures et des matelas, ainsi que notre tente tout usée, qui est devenue notre maison portable.
Le trajet a été extrêmement difficile. Les destructions et les décombres s’alignaient des deux côtés de la route, alors que des camions chargés de biens et de familles déplacées en obstruaient le milieu. Nous avons marché pendant sept heures pour couvrir 15 kilomètres.
Nous nous sommes arrêtés toutes les heures pour nous reposer un peu, manger des biscuits et boire un peu d’eau. Des chiens errants rôdaient sur la route, nous bloquant parfois le chemin et effrayant les enfants. Les hommes les chassaient pour en débarrasser la route. Il y avait des centaines de familles comme la nôtre, qui faisaient le même voyage vers le sud.
Ma fille aînée, Saïda, 13 ans, m’a demandé : « Maman, est-ce que nous retournerons encore à Gaza ? » Je lui ai répondu : « Bien sûr que nous y retournerons », même si je n’avais pas la moindre idée que ce serait un jour possible.
Nous sommes arrivés dans la partie occidentale de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Pour l’instant, les frappes aériennes d’Israël tombaient relativement loin de l’endroit où nous nous trouvions.
Nous avons essayé de trouver un espace libre pour planter notre tente et pouvoir dormir et nous reposer un peu, mais il n’y avait pas la moindre place dans aucun des centres de refuge. Nous n’avons pas eu d’autre choix que de planter notre tente sur un bord de route, près d’un centre de refuge.
Je me suis retrouvée comme une personne sans logis dans la rue, avec des véhicules qui passaient tout près et qui crachaient leurs gaz d’échappement suffocants à quelques mètres à peine de moi. Je ne m’en souciais pas le moins du monde. Tout ce que je voulais, à ce moment, c’était pouvoir dormir un peu – pouvoir me reposer un peu après notre épuisant voyage.
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Rasha Abu Jalal est journaliste dans la bande de Gaza. Elle travaille pour divers médias sur les questions politiques, humanitaires et sociales. Elle est également membre permanente du jury du prix annuel de la Maison de la Presse.
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Publié le 24 septembre 2024 sur Drop Site News
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine