Le Conseil de sécurité de l’ONU vote l’accroissement de l’aide à Gaza, mais pas le cessez-le-feu
Telle qu’elle a été acceptée, la résolution n’est guère susceptible de bénéficier grandement aux Palestiniens de Gaza affamés, déplacés et sous les bombardements.
Maureen Clare Murphy, 23 décembre 2023
Vendredi, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est prononcé en faveur d’une résolution réclamant un accroissement de l’aide humanitaire aux Palestiniens de Gaza.
Le vote a eu lieu au moment où Israël intensifiait son offensive dans le centre de Gaza et diffusait de nouveaux ordres d’évacuation forcée à l’adresse des résidents du camp de réfugiés d’al-Bureij, en leur enjoignant de se rendre à Deir al-Balah.
La résolution du Conseil de sécurité, introduite par les Émirats arabes unis, demande
« un accès humanitaire total, rapide, sûr et sans entrave à la bande de Gaza dans sa totalité ».
Elle demande également aux parties du conflit de
« créer les conditions en vue d’une cessation durable des hostilités ».
Telle qu’elle a été acceptée, la résolution n’est guère susceptible de bénéficier grandement aux Palestiniens de Gaza affamés, déplacés et sous les bombardements, disent les critiques.
Depuis le 7 octobre, plus de 20 000 Palestiniens ont été tués dans les attaques israéliennes contre Gaza et des milliers d’autres ont été portés manquants, dont un grand nombre sans doute sont morts sous les décombres des bâtiments détruits.
En ne réclamant pas même une cessation des hostilités, ou ne serait-ce qu’un cessez-le-feu, certains diplomates ont dit que la résolution était perçue comme un feu vert pour qu’Israël poursuive sa campagne militaire dévastatrice à Gaza.
Des experts disent que la campagne, « désormais, figure parmi les plus meurtrières et destructrices de l’histoire récente », a rapporté l’agence de presse AP.
Dans une déclaration à la presse à l’issue du vote au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a fustigé la poursuite du statu quo à Gaza, en disant qu’il n’y avait
« pas de véritable protection des civils ».
Il a critiqué Israël
« pour avoir créé des obstacles massifs à la distribution de l’aide humanitaire à Gaza ».
Guterres a déclaré qu’
« une réelle opération d’aide à Gaza requiert la sécurité ; un personnel qui puisse travailler en toute sécurité ; une capacité logistique ; et la reprise des activités commerciales ».
Il a fait remarquer que 136 employés de l’ONU avaient été tués à Gaza depuis le 7 octobre et que le passage commercial de Kerem Shalom avait été bombardé jeudi
« alors que des camions d’aide se trouvaient dans les parages ».
Le New York Times a rapporté que quatre personnes travaillant sur le site du passage avaient été tuées au cours de cette frappe et que l’arme israélienne avait prétendu qu’elle avait
« frappé des terroristes armés près de la zone du passage et que l’incident faisait l’objet d’un examen ».
Guterres a expliqué qu’
« un cessez-le-feu humanitaire est le seul moyen de commencer à répondre aux besoins désespérés des gens de Gaza et de mettre un terme à leur cauchemar permanent ».
Treize États ont voté en faveur de la proposition, à l’issue de plusieurs journées de négociations en vue d’en arriver à une version qui ne serait pas rejetée par les EU. Lors du vote, ceux-ci se sont abstenus.
La Russie s’est abstenue elle aussi. Vasily Nebenzya, le représentant permanent de Moscou aux Nations unies, a décrit le vote comme
« un moment tragique pour le conseil, et non un moment de triomphe pour la diplomatie multilatérale ».
Le texte de la résolution adoptée était débarrassé de tout le langage qui, dans les précédentes versions, réclamait la
« suspension urgente des hostilités ».
Washington était opposé à tout langage ressemblant à un appel au cessez-le-feu. Israël et les EU ont prétendu avec insistance qu’un cessez-le-feu ne profiterait qu’au Hamas.
Les EU s’étaient opposés à deux précédentes résolutions réclamant un cessez-le-feu et faisaient ainsi obstruction à la cessation de ce que les experts indépendants de l’ONU et les juristes internationaux décrivent comme un génocide en cours à Gaza.
L’Assemblée générale de l’ONU a adopté à une majorité écrasante des résolutions en faveur d’un cessez-le-feu, montrant ainsi le soutien mondial à l’arrêt des hostilités.
Au contraire des résolutions du Conseil de sécurité, celles qui sont approuvées par l’Assemblée générale ne sont pas juridiquement contraignantes pour les États membres, encore que l’absence de mise en œuvre ait ôté tout leur poids aux précédentes résolutions du Conseil de sécurité qui censuraient les violations par Israël des droits des Palestiniens.
« Un manquement profond au devoir »
Les EU ont rejeté une précédente version de la résolution du Conseil de sécurité proposée vendredi, laquelle aurait mis l’ONU dans l’obligation d’inspecter les livraisons d’aide à Gaza, ce qui aurait mis Israël sur la touche.
Israël se sert de la famine comme d’une arme de guerre à Gaza, ont affirmé plusieurs organisations des droits humains et ONG humanitaires, de même que les experts indépendants de l’ONU.
Sally Abi Khalil, une directrice d’Oxfam, a déclaré que
« l’échec d’un appel au cessez-le-feu (…) constitue un manquement profond au devoir de la part d’une organisation qui a été mise en place afin de faire respecter la charte des Nations unies en faveur du maintien de la paix et de la protection des vies humaines ».
Un responsable resté anonyme du département d’État américain a fait savoir à HuffPost que
« nous laissons tomber les Palestiniens une fois de plus »,
avec cette résolution du Conseil de sécurité qui renforce en fait le statu quo en vue d’apaiser Israël.
Le Russe Nebenzya a accusé Washington de
« chantage grossier dénué de tout principe et de mépris ouvert (…) pour la souffrance des Palestiniens et les espoirs de la communauté mondiale ».
La Russie a déclaré qu’elle s’abstenait au lieu de voter la résolution parce qu’elle était soutenue par plusieurs États arabes. Mais Nebenzya a souligné le désaccord « catégorique » de Moscou avec son contenu édulcoré.
L’administration Biden est partisane d’une aide accrue à Gaza. Mais les organisations d’aide disent qu’un cessez-le-feu est nécessaire pour permettre la chose, et un responsable de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a déclaré que « l’on ne peut délivrer de l’aide quand le ciel est plein de frappes aériennes ».
Riyad Mansour, l’ambassadeur palestinien à l’ONU, a accueilli la résolution du Conseil de sécurité comme « un pas dans la bonne direction ».
Il a ajouté qu’elle devait être appliquée rapidement et « accompagnée de pressions massives en faveur d’un cessez-le-feu immédiat ».
« Il n’y a pas moyen de faire cesser les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide en cours sans passer par un cessez-le-feu »,
a encore dit Mansour.
« Israël veut nous convaincre qu’il nous faut choisir entre la vie et notre pays, en rendant toute vie dans notre pays impossible »,
a déclaré le diplomate palestinien.
Richard Gowan, observateur de longue date de l’ONU, a déclaré que Guterres
« devrait saisir avec fermeté ce que le [Conseil de sécurité] lui a donné »,
puisqu’il lui permet de désigner à Gaza
« un coordinateur humanitaire doté d’une reconnaissance nominale et d’énergie ».
« Ce peut être la meilleure occasion pour l’ONU d’influencer »
la situation, a ajouté Gowan.
Nabil Abi Saab, le correspondant de l’ONU pour l’émetteur saoudien Alaraby TV, a déclaré que l’ancienne ministre néerlandaise des Affaires étrangères Sigrid Kaag « était la principale candidate » à la nouvelle fonction de coordinateur.trice humanitaire à Gaza.
La démarche venait après une campagne de diffamation des amis du gouvernement israélien et de la désignation par Israël de l’UAWC comme « organisation terroriste ».
Le gouvernement néerlandais a mis fin à son soutien à l’UAWC, qui assiste les agriculteurs palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, sur base de l’affiliation politique dans leurs capacités individuelles du personnel et des membres du CA de l’organisation.
L’UAWC avait déclaré à l’époque que le gouvernement néerlandais
« ne se limitait pas à abandonner l’organisation, mais aussi la société civile palestinienne dans son ensemble ».
Pas d’impact significatif
Lors de l’émission en direct de The Electronic Intifada, vendredi, Craig Mokhiber, un ancien haut responsable des Nations unies, s’est exprimé de façon très critique, à propos de la résolution du Conseil de sécurité.
« Ici, le texte original était censé inclure une suspension des hostilités, il était censé inclure une condamnation des violations des lois humanitaires, il était censé inclure une surveillance de l’aide des Nations unies »,
a déclaré Mokhiber.
La résolution « évidée » qui a été adoptée « n’aura pas d’impact significatif » et le rôle de coordinateur spécial de l’ONU qu’elle a créé serait un mécanisme contrôlé politiquement et qui n’adopterait pas de positions de principe s’appuyant sur les lois internationales.
Un contrôle de l’aide de l’ONU, comme on l’a proposé à l’origine, aurait en fait facilité un surcroît d’aide à Gaza, a-t-il encore dit.
Mokhiber a expliqué que c’était une autre feuille de vigne qui permettait aux EU
« d’éviter la condamnation, et aux EU mêmes et dans le monde, de leur complicité dans le génocide de Gaza ».
« C’est une résolution qui a été rédigée essentiellement à huis clos, la nuit, entre les EU et les EAU en consultation directe avec les Israéliens. »
Mokhiber a déclaré qu’on
« devait poser la question de savoir comment disposer d’une assistance humanitaire significative alors que des bombes dégringolent, que des snipers tirent et que le génocide se poursuit ».
« Cette résolution vaut moins que zéro, selon moi »,
a-t-il ajouté.
Les agences de l’ONU « contribuent aux objectifs de guerre d’Israël »
Jeudi, les organisations palestiniennes de défense des droits humains et les ONG humanitaires ont mis en garde le secrétaire général de l’ONU contre le fait que les agences d’aide de l’institution mondiale à Gaza « contribuaient aux objectifs de guerre israéliens et ce, en enfreignant les lois internationales ».
Les organisations ont déclaré que les agences de l’ONU témoignaient du respect à l’égard de « la restriction illégale par Israël de l’aide humanitaire » alors que, dans tout le territoire, il était de plus en plus impossible pour les Palestiniens d’accéder à de la nourriture et à de l’eau potable.
Les organisations palestiniennes ont expliqué que les agences humanitaires de l’ONU, dont l’UNICEF, l’UNRWA et l’OMS, s’étaient montrées incapables de soutenir les principes des lois humanitaires internationales en raison de leur « coordination approfondie avec Israël sur le plan de la livraison et de la distribution de l’aide ».
Les organisations ont accusé l’ONU de garantir le succès d’Israël en vidant le nord de Gaza de sa population palestinienne via les ordonnances israéliennes d’évacuation forcée qui affectaient des milliers de personnes.
L’experte indépendante de l’ONU, Francesca Albanese, avait dit à la mi-octobre que l’ordre d’évacuation forcée d’Israël cherchait à « justifier ce qui équivaudrait à un nettoyage ethnique » similaire à l’expulsion des centaines de milliers de Palestiniens en 1948.
Outre le fait que cela facilitait « le crime international de déplacement forcé » commis par Israël, les organisations palestiniennes ont déclaré que l’ONU avait également prodigué à la population un encouragement à descendre vers le sud « dans l’espoir d’accéder à une aide très nécessaire qu’elle ne pourrait trouver ailleurs ».
Les organisations palestiniennes ont ajouté que, du fait que les agences de l’ONU
« étaient incapables de faire valoir leur droit d’accès et d’initiative, Israël avait décidé lui-même des conditions et du contenu de toute aide humanitaire entrant à Gaza ».
Et d’ajouter :
« Ce sont des décisions dans lesquelles Israël ne devrait jouer aucun rôle, et encore moins avoir un pouvoir de diktat sans rencontrer pour ainsi dire la moindre opposition. »
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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.
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Publié le 23 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine