Deux frères, des jeunes Palestiniens de Gaza, nous parlent de leur détention

 

Deux frères nous parlent de leur détention. Photo : 13 octobre 2025. Première rangée, troisième et quatrième à partir de la droite : Hady et Mumin Thaher – derrière eux, leur père Adham – en compagnie de leur cousin Muhammad Thaher. Hady, Mumin et Muhammad portent encore l'uniforme gris de la prison. Ils viennent d'être libérés de leur détention en Israël.

13 octobre 2025. Première rangée, troisième et quatrième à partir de la droite : Hady et Mumin Thaher – derrière eux, leur père Adham – en compagnie de leur cousin Muhammad Thaher. Hady, Mumin et Muhammad portent encore l’uniforme gris de la prison. Ils viennent d’être libérés de leur détention en Israël. (Photo : Asala Thaher)

 

Asala Thaher, 4 décembre 2025

 

Le 19 octobre 2024, ma famille et moi étions tous terrés ensemble dans le plus grand silence. L’armée israélienne, toute proche, assiégeait l’hôpital indonésien.

Pendant trois semaines, nous avons été bloqués à l’intérieur de notre maison, au camp de réfugiés de Jabaliya, jusqu’au moment où, le 10 novembre, l’armée a ordonné d’évacuer à toutes les personnes restées dans le quartier.

Ma famille et moi avons décidé de nous rendre dans l’ouest de la ville de Gaza, et nous avons donc emballé quelques vêtements et des provisions, dont de la farine, entre autres.

Le lendemain, le 11 novembre, vers 15 heures, ma famille et moi nous sommes mises en route : ma grand-mère, ma mère, ma petite sœur et moi marchions pendant que mon père Adham et mes trois frères, Hady, Mumin et Muhammad, poussaient tour à tour notre grand-père dans sa chaise roulante.

Au bout de cinq kilomètres environ, nous sommes arrivés rue Salah al-Din ; à l’est de Jabaliya, où il y avait un check-point israélien.

C’était une obligation – par ordonnance militaire – de passer par ce check-point.

Il y avait des soldats israéliens, certains sur des chars, qui ordonnaient aux femmes et filles de traverser, mais très vite et sans regarder en arrière.

Les hommes étaient séparés et interrogés ensuite.

Ma mère et moi poussions mon grand-père. Ma grand-mère et ma petite sœur de sept ans, Ghazal, suivaient.

Au bout de près de trois heures d’attente, mon père et mon frère de 17 ans sont finalement réapparus.

Mais sans Hady et Mumin.

Nous étions de plus en plus inquiets. Nous attendions, mais ils ne venaient toujours pas.

 

Des mois éprouvants

Toutefois, alors que la nuit approchait, il nous a fallu nous remettre en route pour trouver un endroit où séjourner.

Nous avons passé les douze heures suivantes à chercher un abri dans l’ouest de la ville de Gaza avant que la famille ne s’installe finalement à proximité de l’hôpital Al-Shifa.

Ensuite, une nouvelle épreuve épuisante a commencé : essayer de savoir ce qu’il était advenu de mes deux frères.

Des proches et des amis qui avaient franchi les check-points un peu plus tôt nous ont dit que l’armée israélienne arrêtait tous les jeunes hommes.

Nous avons appelé chaque organisation humanitaire que nous connaissions et qui s’occupait des prisonniers palestiniens – la Commission des affaires des détenus, l’organisation des droits humains Addameer, l’ONG des droits humains HaMoked et le Comité international de la Croix-Rouge – en espérant d’obtenir des informations sur mes frères.

Nous n’avons rien reçu.

Un mois plus tard, le 11 décembre, le CICR a appelé mon père pour lui dire que ses deux fils étaient emprisonnés dans le tristement célèbre camp militaire de Sde Teiman.

Aucune autre information supplémentaire n’a été révélée.

Mon père a déposé le téléphone pour nous faire part des nouvelles les yeux remplis de larmes.

Ma mère s’est effondrée.

J’ai fondu en larmes.

Mes frères me sont incroyablement proches.

Mumin, 23 ans, avait étudié la programmation à l’Université islamique de Gaza.

J’étais sa confidente. Il me racontait tout – les défis qu’il affrontait, les mauvaises notes occasionnelles, ses émotions, ses espoirs ou ses succès de carrière.

Même après le début du génocide, il avait continué d’étudier jusqu’au moment de sa capture.

Hady, 25 ans, avait étudié l’éducation physique et il avait demandé une bourse en vue de poursuivre un master. Il travaillait comme coach en athlétisme et il me rapportait toujours des choses que j’aimais bien. Si je voyais une pièce de tissu en ligne, il l’achetait en secret pour moi. Quand j’avais envie de chocolat ou de quelque chose à grignoter, il n’hésitait pas à sortir pour aller me les chercher.

Le lien entre nous trois était particulier.

Nous nous disputions parfois, comme le font tous les frères et sœurs, mais nous finissions toujours par nous remettre d’accord.

La nouvelle de leur emprisonnement m’avait anéantie.

 

Deux frères racontent leur détention. Photo : Mumin Thaher, à gauche, and Hady Thaher, à droite.

Mumin Thaher, à gauche, and Hady Thaher, à droite. (Photo : Asala Thaher)

 

Dans les ténèbres

Nous étions anéantis. Nous ne savions pas pourquoi ils avaient été emmenés ni combien de temps ils seraient détenus.

Nos espoirs ont encore fondu un peu plus quand ils n’ont pas été relâchés lors de l’accord d’échange du fragile cessez-le-feu de janvier, cette année.

Des mois plus tard, après l’échec du cessez-le-feu de janvier, un voisin de Jabaliya – Shaaban, qui, avait-on appris, avait été détenu avec mes frères à la prison d’Ofer – a rencontré mon père par hasard.

Il l’a rassuré en lui disant que mes frères étaient en bonne santé et qu’ils avaient vraiment le moral.

Début septembre, quand Israël a ordonné que tout le nord de Gaza évacue vers le sud, nous nous sommes relogés à Nuseirat.

Notre désarroi à propos de mes frères s’est prolongé jusqu’en octobre, lorsqu’on a appris la nouvelle d’un prochain cessez-le-feu avec un accord d’échange de prisonniers.

Comme tous les prisonniers palestiniens n’allaient pas être relâchés, ma famille et moi étions partagés – pleins d’espoir, mais anxieux et craignant que mes frères ne soient pas libérés, comme cela s’était passé en janvier.

Le 13 octobre, une liste de prisonniers palestiniens devant être relâchés lors de l’accord d’échange a été publiée en début de matinée.

Nous avons parcouru la liste jusqu’au moment où nous avons lu les noms de mes frères.

Il n’y a pas de mots pour décrire nos sentiments et le bonheur que nous avons éprouvé ma famille et moi.

 

Des histoires de prison

Il était aux alentours de 5 heures du matin quand mon père s’est rendu au Complexe médical Nasser à Khan Younis, où les prisonniers devaient arriver après avoir été libérés.

Ma mère a dit qu’elle voulait compenser chaque moment pénible que mes frères avaient enduré en prison et elle est donc allée au marché de Nuseirat pour leur acheter des vêtements et de la nourriture pendant que mon père attendait à l’hôpital.

Après onze heures d’attente, vers 16 heures, Hady et Mumin sont finalement arrivés.

J’envie mon père d’avoir été la première personne à les embrasser.

Il a fallu attendre six heures de plus avant que mes frères n’arrivent à Nuseirat, où nous avions été déplacés.

Mes grands-parents, mes oncles et tantes, les amis de mes frères et nos voisins en déplacement nous accompagnaient tous ma famille et moi pour attendre leur arrivée.

J’ai fondu en larmes et les ai embrassés très fort. Ma mère a fait de même.

Nous avons passé toute la nuit à bavarder.

Mes frères nous ont dit qu’après qu’ils avaient été arrêtés au check-point de Jabaliya, on les avait d’abord transférés au camp militaire de Sde Teiman, dans le désert du Néguev.

Pendant les six mois passés à Sde Teiman, ils n’avaient pas pu dormir correctement. Ce n’est qu’après avoir été transférés à la prison d’Ofer, en avril 2025, qu’ils avaient pu avoir un peu de repos.

Les conditions à Ofer étaient sensiblement meilleures, mais la prison était néanmoins insalubre. Tous deux avaient attrapé la gale et, tout au long de leur détention à Ofer, ils avaient été forcés après chaque douche d’enfiler les mêmes vêtements qu’ils portaient.

En août 2025, ils avaient été transférés à la prison d’Al-Naqab, où ils allaient rester jusqu’à leur libération.

À Al-Naqab, ont expliqué mes frères, la nourriture était légèrement meilleure, les conditions hygiéniques – douches et rasage – étaient normales et les tabassages – quoique toujours fréquents – n’étaient pas permanents.

En comparaison avec Ofer et Sde Teiman, ils décrivaient Al-Naqab comme un « paradis ». Je m’imaginais mal que quelqu’un puisse appeler une prison un paradis.

En même temps qu’une faiblesse généralisée, que la gale et l’anémie, Mumin et Hady avaient contracté plusieurs autres maladies, au cours de leur emprisonnement.

Mumin avait attrapé de l’eczéma ainsi qu’une infection fongique (mycose). Ces conditions auraient pu être traitées avec des médicaments, mais les gardiens de prison retardaient très régulièrement l’accès aux médicaments, quand ils ne le refusaient pas tout simplement.

Mumin dit que les soldats prenaient du plaisir à voir les prisonniers souffrir.

Hady souffre toujours de douleurs articulaires et d’un problème persistant à l’œil gauche, causé par les coups violents qu’il a reçus.

 

Des mesures punitives

Auparavant, Hady avait également le teint hâlé mais, après sa libération, sa peau était devenue pâle.

Les médecins du Complexe médical Nasser ont expliqué que c’était dû à la nourriture pauvre et au manque de soleil.

Les repas en prison étaient chiches : une tranche de pain avec de la marmelade, du thon en boîte, une tranche de tomate, un œuf cuit dur et un morceau de fromage. Mes frères ont dit qu’ils ne recevaient jamais de viande et des légumes très rarement seulement.

Les prisonniers qui essayaient de mettre des restes de nourriture de côté étaient punis, ont dit mes frères.

Les punitions pouvaient inclure des tabassages sévères. Certains détenus étaient brûlés à l’eau bouillante ou avec des outils métalliques chauffés, mais mes frères ont dit qu’ils n’ont pas vécu cela eux-mêmes.

Parfois, les prisonniers étaient forcés de se tenir debout toute la journée les mains en l’air ou de rester menottés, les yeux bandés, pendant de longues heures, voire pendant des journées entières.

Ils étaient punis, ont dit mes frères, pour n’importe quoi : lever la tête, regarder les soldats, changer de position ou même rire à l’intérieur de leur cellule.

Tous les quelques jours, les soldats forçaient les prisonniers à sortir de leur cellule pour une « session de répression », au cours de laquelle les prisonniers étaient impitoyablement tabassés.

Un jour, Hady avait été si sévèrement battu qu’il n’avait plus pu remuer le côté gauche de la tête pendant deux mois, et il lui en était resté ce problème persistant à l’œil gauche.

Les prisonniers étaient également soumis fréquemment à l’isolement, ont dit mes frères. Le silence total de l’isolement était alors suivi d’un séjour dans des locaux où une musique assourdissante sortait à plein volume de haut-parleurs – une méthode de torture qu’on désignait du nom de « chambre disco ».

Les soldats disaient même aux prisonniers qu’ils avaient tué tous les membres de leur famille. C’est pourquoi la première chose que mes frères ont voulu savoir après leur libération, c’était « si nous allions tous bien ».

 

Pas de réconfort

Depuis octobre 2023, au moins 98 prisonniers palestiniens sont morts en prison en Israël. Environ 3 368 restent en détention administrative, sans accusation ni procès, sans compter tous les détenus de Gaza, explique l’organisation de défense des droits des prisonniers Addameer.

Mes frères n’étaient pas répertoriés comme prisonniers.

Tous les six mois, ils ont été confrontés à une parodie de procès, au cours de laquelle un juge les qualifiait de « combattants illégaux », une classification pour les Palestiniens détenus conformément à la Loi sur l’incarcération des combattants illégaux.

Cette loi permet à Israël de tenir emprisonnés des détenus palestiniens indéfiniment, sans accusation ni procès et, en novembre 2025, ils sont toujours 1 205 à être emprisonnés sous ce régime.

Le cauchemar de mes frères a beau être terminé, leurs séquelles psychologiques restent.

Mais ils nous demandent toujours de prier pour les milliers de prisonniers qui souffrent encore en détention en Israël.

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Asala Thaher est autrice et étudiante en traduction de l’anglais. Elle vit à Gaza.

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Publié le 4 décembre 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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