Des semences de plantes pour l’autosuffisance palestinienne

Les Palestiniens bêchent leurs jardins et cultivent des plantes en pot sur leurs toits pour contrer les retombées économiques de la crise du coronavirus.

Suha Arraf, 12 juin 2020

Les Palestiniens cultivent des plantes sur leurs terrasses et toits pour contrer les retombées économiques de la crise du coronavirus.

Avec la hausse des taux de chômage et de pauvreté due à la pandémie de coronavirus, les Palestiniens se sont remis à travailler leur terre et les jardins potagers se multiplient à proximité des maisons, dans les territoires occupés.

L’une des premières initiatives est due à la courtoisie de la municipalité de Beit Sahour, une ville à l’est de Bethléem, qui a distribué toute une série de plants de légumes et de fines – entre autres, tomates, aubergines, concombres, oignons et pommes de terre – pour que les résidents les replantent dans leurs jardins. Certains d’entre eux ont déjà commencé à récolter les fruits de leur travail pour les consommer. Le ministère palestinien de l’Agriculture soutient cette initiative d’autosuffisance et a déjà distribué plus d’un million de jeunes plants.

Ce n’est pas la première fois que les autorités palestiniennes encouragent les résidents à faire pousser leurs propres légumes en des temps de difficultés économiques.

Une situation similaire était déjà apparue lors de la Première Intifada, quand il y avait eu des taux élevés de chômage et de pauvreté et que les Palestiniens avaient été confrontés à de longues périodes de blocage et de couvre-feu. À l’époque, les Comités populaires et autres organisations politiques avaient invité les Palestiniens à se prendre en charge et à cultiver des légumes et ils avaient encouragé les habitants des zones rurales à élever des poules, des vaches et des chèvres afin de se fournir en œufs, lait et autres produits laitiers.

Ce phénomène n’est pas exclusif à la Palestine – il ressemble aux initiatives similaires des pays occidentaux durant les guerres mondiales du 20e siècle, au cours desquelles les citoyens avaient été encouragés à cultiver les « jardins de la victoire » afin de combattre les pénuries de nourriture. Selon des estimations, à un moment donné de la Seconde Guerre mondiale, ces jardins couvrirent jusqu’à 40 pour 100 environ de la consommation de nourriture des Américains.

La section de l’ARIJ (Applied Research Institute in Jerusalem – Institut de recherche appliquée de Jérusalem) à Bethléem – une région qui a été très durement touchée par la crise du coronavirus en raison de sa dépendance vis-à-vis du tourisme – a également répondu très rapidement à l’impact économique de la pandémie, en distribuant 40 000 jeunes plants aux résidents.

Nader Hrimat, le directeur général adjoint de l’ARIJ, qui est également le directeur du programme agricole durable de l’organisation, explique que la Deuxième Intifada a prouvé à suffisance la nécessité de « soutenir les petits agriculteurs au moyen de petits jardins privés ».

Et c’est alors que les gens ont commencé à recevoir de petites parcelles de terrain à proximité de leurs maisons, explique Hrimat, en même temps que des formations en jardinage et des outils afin de faire pousser leurs légumes et plantes.

« Nous avons travaillé dans trois zones – Hébron, Bethléem et Jérusalem », poursuit Hrimat.

« Progressivement, nous avons fini par aider toute la Cisjordanie. Nous avons également développé de petites coopératives de poulets et avons permis aux personnes qui les géraient de se lancer dans la vente de leurs produits à leurs voisins. »

« De même, nous nous sommes efforcés de protéger les espèces végétales palestiniennes rares et à faire pousser des variétés traditionnelles palestiniennes, avant de commencer à les distribuer aux cultivateurs »,

ajoute-t-il.

Depuis la création de l’ARIJ en 1990, déclare Hrimat, l’un de ses principaux buts a été de sauvegarder l’agriculture et de soutenir les petits fermiers.

« Nous enquêtons d’abord et, ensuite, introduisons directement une technologie respectueuse de l’environnement, en l’essayant avec un premier fermier. Si ça marche, nous distribuons ensuite la technologie à tous les autres fermiers »,

explique-t-il.

Quant à ceux qui n’ont pas de terre à proximité de chez eux, dit Hrimat, l’institut s’arrange pour que les gens cultivent des jardinets sur leur toit.

Au début, après avoir demandé les conseils d’un expert irlandais en 2012, dit-il, ils ont appris comment utiliser des tuyaux à eau sans ajouter trop de poids et ils se sont mis à cultiver des concombres, des tomates, des choux-fleurs et d’autres choses encore – et le projet a fini par fonctionner bien mieux que le projet précédent, concentré sur les lopins de terre.

« Nous ne voulions pas utiliser le matériel des occupants, de sorte que nous avons développé nos méthodes en recourant au matériel que nous trouvions sur le marché palestinien »,

dit-il.

« Nous essayons également de réduire les coûts pour les gens qui cultivent, et ce, en utilisant tout ce dont nous disposons. »

Les Palestiniens font pousser des plantes de comcombres, de tomates sur les toits des maisons

Les projets ARIJ de potagers sur les toits fonctionnent de mieux en mieux par rapport aux précédents projets des lopins de terre. Les Palestiniens font pousser des comcombres, des tomates, des choux-fleurs et bien d’autres choses encore. (Photo : avec l’autorisation de Nader Hrimat)

Pendant ce temps, dans les camps de réfugiés, l’institut apporte son aide en développant des systèmes d’arrosage et de jardinières plus sophistiqués, selon les capacités des différents ménages.

Grâce à ces interventions, explique Hrimat, il est possible de réduire la consommation d’eau jusque 60 pour 100. L’institut a également distribué du film pour serre (en nylon résistant) de sorte que les résidents du camp de réfugiés peuvent faire pousser des légumes et plantes toute l’année, et pas uniquement en saison. De plus, ajoute-t-il, « tout cela est organique ».

Et d’ajouter que l’agriculture domestique pratiquée dans les territoires palestiniens occupés sufit pour couvrir les besoins de la famille.

« Les types de légumes qu’ils cultivent signifient qu’ils ne doivent pas les acheter. Et, aujourd’hui, dans le sillage de la crise du coronavirus, il est de notre devoir de cultiver chaque pouce de terre. »

« Nous devons avoir confiance en nous-mêmes »

Ahmad Zabun, 56 ans, vit au camp de réfugiés d’Al ‘Aza, près de Bethléem, bien qu’il soit originaire du village d’Alar, près de Tulkarem, en Cisjordanie occupée.

Il s’est mis à planter des légumes il y a dix ans, dans des ballons en plastique, dans des boîtes de polystyrène extrudé et dans tout ce qui lui tombait sous la main. Aujourd’hui, dans la foulée de l’initiative de l’ARIJ, il utilise des jardinières et il a appris à cultiver en se servant judicieusement de l’eau.

« J’encourage tout le monde à faire pousser des légumes. D’un point de vue politique, c’est important. Si Israël ferme les frontières demain, nous allons mourir de faim. Nous devons compter sur nous-mêmes. »

Zabun fait pousser des légumes, des légumes-feuilles, des fruits et des fines herbes, et il y en a assez pour sa famille de cinq personnes, dit-il.

« Mais je vis dans un immeuble avec mes frères – cinq autres familles – et ils mangent également de la nourriture en provenance de mon toit. Même mes voisins viennent prendre certaines de mes fines herbes. »

« Il n’y a rien comme s’éveiller le matin, aller cueillir des tomates, des concombres et des courgettes, et préparer le petit déjeuner », poursuit Zabun.

« Il est tout aussi amusant de regarder pousser les légumes. J’ai appris beaucoup de choses de moi-même et j’ai même acheté des pompes d’aquarium et les ai adaptées pour les utiliser en mode agricole. J’essaie également de cultiver sans rien dépenser »,

ajoute-t-il, faisant remarquer qu’il composte et qu’il a rarement besoin d’utiliser de l’eau. Et ses voisins s’instruisent eux aussi, en venant dans son jardin sur le toit pour appendre comment faire pousser des légumes pour leur consommation propre.

Retour aux fondements

« La pandémie durait depuis un mois lorsque nous nous sommes réunis à six ONG pour planifier des jardins privés », explique Hrimat, de l’ARIJ.

« La faim et la frustration ont commencé au bout d’un mois et les gens ne savaient que faire. Nous craignions que les gens ne tombent malades ou ne soient placés en confirnement et qu’ils ne se mettent à s’en aller, et à propager ainsi le virus. »

« Nous avons débuté à Bethléem », poursuit Hrimat.

« Nous avons dit au ministre de l’Agriculture que nous allions commencer à plancher sur la chose, puis nous avons contacté les centres de soins palestiniens. En fait, nous avons reçu des dons représentant 90 000 jeunes plants et 66 livres (environ 30 kilos) de semences. Chaque famille a reçu 100 plants à repiquer et trois petits sachets de différentes sortes de semences, de l’engrais et des systèmes d’irrigation que nous fournissions nous-mêmes, et nous leur avons montré comment s’y prendre pour faire pousser leurs légumes. »

Les camps de réfugiés ont reçu 50 pour 100 des stocks à distribuer, ajoute Hrimat.

Shatha plante les semences pour les plantes de la famille

« Notre but premier est que chaque famille ait assez à manger », explique Shatha Al’aza, que l’on voit ici occupée à planter des semences. (Photo : avec l’autorisation du Lajee Center)

Plus de 2 000 personnes se sont inscrites pour cette initiative, après qu’elle eut été annoncée sur Facebook, explique Hrimat, et les participants ont collecté de la marchandise en provenance de certains endroits désignés ou ont trouvé des volontaires pour la livrer chez eux.

« Les gens sont retournés à leurs fondements, et cela les a aidés émotionnellement », poursuit Hrimat.

« Tout d’un coup, il y a un jardin sur le toit, il y a un endroit où respirer, quelque chose pour vous occuper. Cela a également renforcé les relations familiales et les liens de voisinage. Les gens nous ont envoyé des photos d’immeubles entiersn avec des tas de voisins qui faisaient pousser leurs légumes ensemble, et c’était quelque chose de très émouvant. »

Hrimat décrit une autre initiative à Beit Sahour, qui a vu des jeunes bénévoles planter des légumes sur des terres appartenant au waqf (fondation religieuse, dans le sens de donation), légumes qu’ils ont plus tard distribués aux familles dans le besoin.

« Nous avons créé une terre alternative »

Shatha Al’aza, 27 ans, qui vit au camp de réfugiés d’Aida, à Bethléem, mais est originaire du village de Beit Jibrin, au nord-ouest de Hébron, est bénévole au Lejee Center, qui veille aux besoins des jeunes du camp. À part la musique, le debke (danse folklorique palestinienne) et les classes de foot, le centre propose également des services médicaux et il accueille des bénévoles de l’étranger de même que des médecins locaux. En 2014, Al’aza a été invitée à mettre sur pied une unité de conversation au centre.

« J’ai commencé par donner des cours aux élèves des écoles », explique Al’aza.

« Nous avons installé notre premier bac de compostage et nous nous sommes mis à recycler. Puis, en collaboration avec l’ARIJ, nous avons commencé à montrer aux résidents comment faire pousser des légumes sur leur toit. »

Al’aza et son équipe ont effectué un galop d’essai sur le toit du Lajee Center, en plantant toute une variété de légumes. Néanmoins, le centre est proche de la base militaire israélienne, dit-elle, et, depuis, les soldats « n’ont plus cessé d’envoyer des gaz lacrymogènes, qui ont endommagé les légumes ».

En guise de réponse, ajoute-t-elle, son équipe a couvert les légumes de films en nylon afin de les protéger.

Après le galop d’essai, le centre a distribué de jeunes plants de légumes à 40 familles différentes du camp de réfugiés, ainsi que des jardinières fournies par l’ARIJ.

« Notre but premier est que chaque famille ait assez à manger », déclare Al’aza.

« Le deuxième but, qui n’est pas moins important pour les réfugiés, est de renforcer leur connexion à la terre qu’ils ont perdue. De la sorte, nous avons créé une terre alternative. »

Al’aza voulait aussi que les femmes soient impliquées dans le projet, dit-elle.

« En tant que femme et réfugiée, il importait pour moi d’organiser les femmes ici de façon qu’elles aient quelque chose d’utile à faire, particulièrement parce que la plupart sont des femmes d’intérieur souffrant de la pauvreté. Je voulais qu’elles transmettent leur amour de la terre à la génération suivante. »

« La terre et l’agriculture sont des formes d’héritage culturel », poursuit Al’aza.

« La plupart des réfugiés d’Aida provenaient de régions rurales et ils ont perdu toutes leurs terres. Nous n’avons pas de contrôle de la terre, ni de l’air, ni des carrefours, ni non plus de l’eau – rien du tout ! Nous devrions au moins avoir le contrôle de ce que nous mangeons et savoir que ce que nous mettons dans notre estomac est de la nourriture que nous avons fait pousser nous-mêmes. »

« Actuellement, 80 pour 100 de notre nourriture vient d’Israël, et il s’agit de leurs surplus. »

Les conditions précaires du camp de réfugiés d’Aida et le manque d’espaces ouverts signifient que bien des toits reçoivent peu de lumière solaire, explique Al’aza. Un autre problème, c’est que nombre de toits ne sont pas assez solides pour être à même de supporter le poids de plusieurs jardinières.

Néanmoins, de plus en plus de monde s’est rapproché du Lajee Center depuis l’apparition du coronavirus, et Al’aza a encouragé les gens à cultiver des légumes en lançant un concours du plus beau jardin de toit. Aujourd’hui, dit-elle, elle lance une autre initiative :

« Prêter de la terre pour que les femmes y travaillent et, ensuite, répartir les bénéfices des légumes que nous faisons pousser et que nous vendons. »


Publié le 12 juin 2020 sur +972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal

Suha Arraf

Suha Arraf

 

 

Suha Arraf est réalisatrice, scénariste et productrice. Elle écrit sur la société arabe, sur la culture palestinienne et sur le féminisme

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