Aïn el-Helweh est le plus grand camp de réfugiés palestiniens du Liban. Il avait une population de plus de 70 000 réfugiés palestiniens, mais a gonflé jusqu’à près de 120 000 personnes en conséquence de l’afflux de réfugiés en provenance de Syrie depuis 2011. L’armée libanaise n’y entre jamais et la sécurité y est assurée par les factions palestiniennes, conformément à un accord remontant à 1969.
Fin février, le camp d’Aïn el-Helweh avait déjà été le théâtre d’affrontements meurtriers entre des combattants du Fateh et des groupes islamistes, rapporte le journal « L’Orient Le jour ». Les accrochages avaient éclaté après le retrait du Fateh du comité conjoint chargé de la sécurité à l’intérieur du camp. Depuis, les accrochages sont devenus récurrents.
De nouveaux affrontements armés ont eu lieu 7 avril entre des membres du comité conjoint de sécurité à des partisans de Bilal Badr, un responsable du groupe Fateh el-Islam.
Des mitrailleuses et des roquettes sont utilisées dans ces accrochages qui ont provoqué la fuite de nombreux habitants du camp. Lundi 10 avril, l’ANI a rapporté que des partisans de Bilal Badr ont lancé une attaque sur trois axes pour desserrer l’étau qui s’est formé autour d’eux. L’attaque n’a toutefois pas abouti et les combats se poursuivaient.
L’armée libanaise a renforcé ses mesures de sécurité aux entrées du camp et a coupé l’autoroute al-Hasba au niveau du camp. Les écoles à proximité du camp ainsi qu’à Saïda et les institutions officielles de Saïda ont fermé leurs portes. Selon l’ANI, certains malades ont également été évacués de l’hôpital de Saïda, proche du camp, par les habitants de la ville.
Le bilan des combats à Aïn el-Helweh s’élève désormais à 6 morts, selon l’ANI. L’AFP fait état de huit morts, dont cinq civils, selon des sources médicales, et d’au moins 40 blessés, dont trois dans un état grave et parmi eux un garçon de quatre ans.
Ci-dessous, le témoignage d’une jeune palestinienne sur sa vie dans le camp.
Quand on n’est plus en sécurité chez soi
Quand j’entre à Aïn el-Helweh, le plus grand camp de réfugiés du Liban, où j’habite, je vois la misère et je ressens de la douleur à chaque pas dans les rues sales, non pavées… chaque regard au fond des ruelles étroites pleines d’immondices… la vue des petits enfants dont les chances dans la vie sont si restreintes… la vue du ciel barré par une masse de fils électriques emmêlés. Il n’est jamais sûr de se promener dans le camp et, trop souvent, la chose m’est rappelée par la détonation des balles ou d’une bombe soudaine venues de nulle part.
Pourtant, les gens du camp (moi y compris) ont une façon vraiment bizarre de s’adapter à ces situations, à minimiser la douleur. Nous nous racontons des choses du genre : « Nous sommes des gens forts et intelligents ! » Mais comment pouvons-nous être si intelligents et vivre dans des lieux aussi sombres ? Comment pouvons-nous aimer le camp quand il constitue la zone la plus dangereuse du pays ? Tous nos souvenirs sont ici, il y a tant de personnes amicales et généreuses, et cela fait que nous nous sentons plus proches de la Palestine ; c’est l’endroit où un grand nombre des premiers réfugiés se sont établis. Mais, en même temps, il y a tant de haine et de morts violentes à cause des factions politiques et de l’avenir incertain des Palestiniens au Liban.
Je me pose ces questions à moi-même et à d’autres personnes et j’entame même des discussions avec des étrangers, à ce propos. Récemment, j’ai expliqué à une fille assise près de moi dans un taxi : « Non, nous ne sommes pas des gens intelligents ou forts ! Nous avons simplement tendance à dire cela pour continuer à traverser la vie ! Nous nous trompons nous-mêmes, avec de telles affirmations. » J’étais réellement bouleversée par moi-même et par cette fille et par chaque personne du camp. La dernière série d’accrochages avait blessé un garçon de dix ans qui traversait la rue et avait tué un adolescent qui tentait d’éteindre un incendie provoqué par une bombe. Comment pouvons-nous être intelligents et forts à ce point si nous tolérons que ces deux enfants aient été abattus ?
Qu’est-ce qui fait que je ressens si mal ces choses ? Ce n’était pas la première fois que des heurts éclataient. On finit par s’habituer au bruit des balles et des bombes. « Je n’ai même pas peur. Dans ce cas, pourquoi suis-je à ce point en colère ? » Telles étaient les questions que j’avais en tête. Je m’en voulais de me mettre en colère à cause d’une échauffourée ! Quelle est l’ironie de tout ceci ? Je voulais sortir ces pensées de mon esprit. Des accrochages qui blessent et tuent ne devraient jamais être normaux.
Quand ces accrochages éclatent, je passe habituellement tout mon temps à la maison avec ma famille ; nous n’allons nulle part dans le camp, de sorte que nous resterons en sécurité. Nous entendons les voix des balles et les explosions et peut-être quelques balles pénètrent-elles dans nos murs. Nous évitons certaines pièces. Cette fois, c’était différent, toutefois ; il y avait des rumeurs disant que les combats allaient détruire Aïn el-Helweh, comme c’est arrivé avec Nahr El-Bared (dans le nord du Liban) et Yarmouk (un camp de réfugiés palestiniens en Syrie). Comme si c’était notre destinée de détruire nos seuls refuges. (Dans la vidéo, que j’ai prise de ma fenêtre, on voit un garçon qui tente néanmoins de mener une vie normale – il se précipite dehors pour acheter une crème glacée au camion rouge, le tout sur fond de détonations.)
Cette fois, quand l’accrochage a eu lieu, je n’étais plus une enfant. J’ai vu ce qu’était la vie en dehors d’Aïn el-Helweh, puisque j’ai vécu à Beyrouth pendant mes quatre années d’université. Et, cette fois, j’avais un rendez-vous le lendemain, à Beyrouth, et je devais être à l’heure, parce que la vie en dehors des check-points continue. C’est ainsi que j’avais décidé de chercher refuge dans la maison de ma sœur, en dehors du camp, puisqu’il allait être impossible de trouver un taxi le lendemain ou même de gagner la rue principale, à cause des tireurs embusqués. Mes deux frères refusaient de quitter notre maison et ma mère et ma belle-sœur refusaient de sortir également, du fait qu’elles ne voulaient pas les laisser seuls. Mais il fallait que je parte ; j’avais mon engagement et j’étais réellement en colère contre moi-même, ma famille et mon camp parce que nous n’étions pas capables de mener une vie normale.
Dans l’après-midi, mon frère et moi avons emprunté une rue latérale pour contourner le check-point à l’extérieur du camp, de sorte que mon beau-frère puisse me prendre dans sa voiture. Le petite rue était plus sûre que la rue principale et, pourtant, j’avais peur que mon frère ne soit blessé. Quand nous avons atteint la rue, je lui ai demandé de rentrer à la maison et j’ai poursuivi mon chemin. La rue était vide, avec rien que deux ou trois hommes avec des armes. Je me suis retournée pour voir mon frère qui était toujours là à me regarder m’en aller et qui souriait. J’ai continué et j’ai caché mes larmes. Je ressentais tant de tristesse en ce moment. Je n’allais pas simplement en visite chez ma sœur ; j’étais obligée de quitter ma maison pour être en mesure d’aller à un rendez-vous, comme une personne normale.
Pour moi, c’était une petite imitation de la Nakba, en 1948, quand mes ancêtres avaient été forcés de quitter leurs maisons pour laisser la place à l’occupation israélienne. Les raisons sont différentes, les gens sont différents, l’époque est différente et je ne m’en allais que pour un jour. Nous, Palestiniens, terminons notre 69e année en dehors de la Palestine ! Pourtant, les deux cas présentaient des similitudes, d’une certaine façon…
Publié le 2 avril 2016 sur We are not numbers
Traduction : Jean-Marie Flémal
Huda Dawood, 21 ans, est une réfugiée palestinienne de Saïda, au Liban. Son père est originaire de Gaza, qu’il a quittée pour le Liban à l’âge de 17 ans. Huda y a toujours de nombreux proches. Elle est actuellement en dernière année à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), où elle étudie l’économie en même temps qu’elle suit une mineure en mathématiques. Elle aime écrire pour exprimer ses pensées et ses rêves d’une existence meilleure pour sa famille – l’idéal serait dans sa patrie, la Palestine. Huda avait toujours rêvé de suivre les cours de l’AUB et, un jour, elle a gagné une bourse d’études. « Je crois que les rêves se réalisent vraiment ! »