Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr

Article publié le site dédié à la Nakba, d’Amnesty International. Chapitre 3, le Liban, Burj Al-Barajneh et Jal Al-Bahr.

Au cours de la guerre arabo-israélienne de 1948, des centaines de milliers de Palestiniens ont fui ou ont été chassés et déportés de leurs foyers situés dans ce qui constitue aujourd’hui Israël. Une importante partie d’entre eux ont cherché refuge au Liban voisin. Sept décennies plus tard, les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui sont eux aussi considérés comme des réfugiés, vivent toujours dans des camps officiels ou pas installés dans les cinq gouvernorats du pays.

Un recensement officiel organisé en 2017 a estimé le nombre de réfugiés palestiniens résidant au Liban à 174 422 individus, lesquels vivent dans 12 camps officiels et 156 camps qui ne le sont pas. Un nombre bien plus élevé de réfugiés palestiniens – environ 450 000 – sont enregistrés au Liban auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui gère les camps officiels, mais l’office reconnaît qu’un grand nombre d’entre eux vivent en dehors du pays.

La superficie de terre allouée aux camps officiels a à peine changé au fil des années. Par conséquent, les réfugiés palestiniens ont été contraints d’étendre vers le haut les constructions dans les camps, ce qui peut amener les résidents à vivre dans des structures très peu sûres.

Ces camps sont surpeuplés. Les infrastructures et les services tels que les égouts et l’électricité ont encore empiré depuis que des réfugiés palestiniens venus de Syrie ont été forcés de fuir le conflit et de chercher la sécurité dans les camps palestiniens du Liban. En décembre 2016, l’UNRWA enregistrait au Liban 32 000 réfugiés palestiniens en provenance de Syrie. Près de 90 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et 95 % peuvent être considérés en état de « précarité alimentaire ».

Les autorités libanaises imposent des restrictions sévères à l’accès des réfugiés palestiniens aux services publics, comme les traitements médicaux et l’éducation, ainsi que leur accès au marché de l’emploi libanais, ce qui contribue à des taux élevés de chômage, à de bas salaires et à de mauvaises conditions de travail pour cette population. Les gouvernements libanais sucessifs ont prétendu que supprimer ces restrictions allait se traduire par l’assimilation des réfugiés palestiniens dans la société libanaise et allait par conséquent entraver leur droit au retour.

Jusqu’en 2005, les réfugiés palestiniens au Liban n’avaient effectivement pas accès au marché officiel de l’emploi et étaient de ce fait contraints de travailler dans les secteurs informels, aux emplois généralement sous-payés.

En juin 2005, le ministre de l’Emploi a sorti un mémorandum permettant aux Palestiniens nés en territoire libanais et officiellement enregistrés au ministère de l’Intérieur et à l’UNRWA d’obtenir des permis de travail. Ce développement suivit une campagne pour le « droit au travail » organisée par l’ONG Association Najdeh et 45 autres organisations de la société civile libanaise et autres organisations de base des réfugiés palestiniens, et ce, dans le but de supprimer les mesures discriminatoires à l’encontre des réfugiés palestiniens.

Cela accorda à ces derniers l’accès à 70 professions qui leur avaient jusque-là été interdites, bien que le coût des permis de travail et des procédures bureaucratiques requises pour les obtenir ait continué à constituer un sérieux obstacle. La poursuite de l’application de cette mesure est soumise à la discrétion de chaque ministre de l’Emploi à titre individuel.

En août 2010, le parlement libanais a fait passer d’autres amendements des lois du travail et de la sécurité sociale afin de faciliter l’accès à l’emploi des réfugiés libanais, y compris l’abandon de la taxe perçue pour la délivrance des permis de travail.

Toutefois, les réfugiés palestiniens n’ont toujours pas accès à une bonne trentaine de professions dans les domaines des services publics, des soins de santé, de l’ingénierie, du droit, des transports et de la pêche, entre autres. L’accès àces professions est contrôlé par les syndicats, dont certains restreignent leur nombre d’affiliés et limitent donc l’exercice de ces professions aux seuls citoyens libanais.

D’autres, comme celui des médecins, des pharmaciens et des ingénieurs, imposent une condition de réciprocité de traitement, ce qui signifie que les résidents étrangers ne peuvent accéder à ces professions que si les citoyens libanais ont le droit de les pratiquer également dans le pays d’origine de ces mêmes résidents étrangers. Cette condition reste impossible à satisfaire au vu de l’actuel statut international de l’État de Palestine.

Même dans les emplois où les réfugiés palestiniens sont désormais habilités à travailler, ils sont toujours confrontés à des discriminations par rapport à leurs homologues libanais. Alors que tout le monde est tenu de payer 23,5 % de son salaire au Fonds national de la sécurité sociale, les réfugiés palestiniens n’en bénéficient qu’en obtenant l’accès à une indemnité de fin de service (équivalente à 8,5 % de la valeur des paiements qu’ils ont effectués).

Au contraire de leurs homologues libanais, il ne reçoivent pas leur assurance de santé publique suite à leurs contributions. Le coût de l’assurance de santé privée est imputable soit au réfugié palestinien, soit à son employeur qui, par conséquent, peut donc se sentir peu désireux d’embaucher ce genre de salarié. Bien des réfugiés palestiniens continuent à travailler dans le secteur informel, où ils sont généralement contraints d’accepter des conditions de travail pénibles, de bas salaires et l’absence de protection légale.

Amnesty International invite le Liban, à reconnaître les réfugiés palestiniens en tant que tels et à garantir leurs droits au travail, à la santé, à l’éducation et au logement. Ces réfugiés sont dans l’impossibilité de se rendre en Israël ou dans les Territoires palestiniens occupés, étant donné le refus des autorités israéliennes de se soumettre à la Résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui protège le droit au retour des réfugiés palestiniens, y compris ceux qui résident au Liban.

Suzan

Tout en tenant son diplôme en main et en refoulant ses larmes, Suzan Hassan Ghazali, 25 ans et vêtue de sa robe et de sa capuche, se tient devant le miroir, mais sans y voir l’avenir qu’elle a toujours souhaité pour elle-même.

Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr. Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Quelques années plus tôt, Suzan et sa mère discutaient de plans d’avenir ; elle lui avait dit qu’elle désirait devenir architecte. Le regard de sa mère n’avait pas été celui que Suzan escomptait. Sa mère savait qu’en raison des restrictions imposées aux réfugiés palestiniens par la législation et les syndicats du Liban qui limitent leur accès à toute une série de professions, sa fille ne serait pas en mesure de poursuivre son rêve. Finalement, Suzan avait étudié l’économie, dont elle pensait que c’était ce qu’il y avait de plus proche de l’architecture.

« Au moins, j’aurais toujours eu le plaisir de faire des mathématiques, dans cette branche », déclare-t-elle à Amnesty International. Tout au long de ses années d’université, Suzan a toujours dû résister à la tentation de changer de branche et de s’inscrire en architecture. Elle a passé de nombreuses nuits d’insomnie à pleurer, mais elle n’avait d’autre choix que d’accepter cette réalité injuste. Elle décrit comment elle se sent aujourd’hui : « En dessous de tout ! Je ne peux pas trouver un emploi parce que je suis palestinienne. On me demande toujours ma nationalité, lors des entretiens pour un emploi. Quand je dis aux employeurs que je suis palestinienne, leur réponse immédiate est ”nous vous convoquerons plus tard” et jamais aucun ne me rappelle. »

Néanmoins, Suzan explique à Amnesty International qu’elle na pas renoncé à son rêve : « J’ai dit à ma mère que j’allais poursuivre une licence en économie mais, une fois que j’aurai obtenu mon diplôme et trouvé un emploi, j’économiserai pour me payer l’école d’architecture. Je puis être architecte dans un autre pays. Les gens croient que j’ai le cœur dur parce que je veux quitter mes parents pour aller vivre et travailler à l’étranger. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que la première chose que je veux faire quand je serai devenue architecte, sera de construire une maison de rêve pour ma mère. »

Suzan est née au camp de Burj Al-Barajneh au Liban, mais sa famille est originaire de Haïfa, dans l’Israël actuel. De la population d’origine de 70 000 Palestiniens, seuls 3 500 sont restés à Haïfa après le conflit de 1948 qui a vu la création de l’État d’Israël ; tous les autres se sont enfuis ou ont été chassés de leurs maisons.

Mohammad

Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr. Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Mohammad Adnan Ali, 21 ans, a grandi en entendant cette phrase, « les Palestiniens n’ont pas de droits », répétée à tout bout de champ en sa présence. Toutefois, explique-t-il a Amnesty International, il n’y avait jamais cru jusqu’au moment où il avait subi personnellement les restrictions à son droit au travail : « Depuis que je suis tout petit, j’ai entendu des gens dire que les Palestiniens n’avaient pas de droits. J’ai compris que c’était vrai quand j’ai découvert que je ne pouvais pas trouver du travail comme dentiste. »

Selon Mohammad, s’il désire travailler dans la dentisterie, il peut soit lancer un cabinet dans le camp, mais sans la moindre chance de le faire jamais enregistrer officiellement, soit travailler comme assistant pour un dentiste libanais sans la moindre possibilité de progression dans la carrière. Il poursuit : « Je ne veux pas rester dans le camp. Je veux m’en aller. Je déteste vivre ici, je suis entouré partout par la pauvreté. Je veux me créer une meilleure vie pour moi-même, loin de toute cette misère. »

Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr. Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Tout jeune encore, Mohammad s’est mis en tête d’obtenir une bourse pour aller à l’université. Il savait que c’était une façon de sortir du camp et d’accéder à l’existence qu’il s’était imaginée pour lui-même. Les gros efforts de Mohammad s’étaient avérés payants : il avait obtenu une bourse pour l’une des plus prestigieuses universités du Liban et il y étudie actuellement la chimie. Actuellement, il suit les cours pour tenter de décrocher une maîtrise dans la même branche.

« Le Liban m’a fait haïr la dentisterie ; c’est le rêve que je n’ai jamais eu la chance de poursuivre. Je veux me rendre en Turquie et poursuivre ma maîtrise en chimie. Je veux faire n’importe quoi, sauf la dentisterie et vive n’importe où, sauf au Liban. Je crois que j’ai un avenir brillant devant moi et je ne laisserai pas les obstacles actuels me marrer la route. »

« Au su de ce que la loi stipule, j’ai renoncé à mon rêve de devenir ingénieur mécanicien. J’avais déjà travaillé à la pharmacie locale durant des années et je devais subvenir aux besoins de ma famille, de sorte que j’ai décidé tout simplement de suivre cette voie. »

Hamed

Hassan, propriétaire de la pharmacie et mentor de Hamed, le loue pour ses talents et sa capacité à appendre rapidement. Hamed ajoute que les clients l’apprécient beaucoup.

« J’aime beaucoup mon travail. Hassan m’a donné une chance de faire carrière et m’a fait confiance. Actuellement, je suis une licence en pharmacie de façon à me montrer digne de cette confiance. Mais je ne serai jamais en mesure de devenir pharmacien moi-même ni d’ouvrir ma propre pharmacie. Je serai toujours assistant en pharmacie. »

La pharmacie est l’une des professions interdites aux Palestiniens par la loi libanaise du travail.

Sara

Sara Akram Abu Shaker, 14 ans, veut devenir médecin mais, pour les Palestinien(ne)s comme elle, l’emploi dans une profession grâce à laquelle elle croit qu’elle pourrait sauver des vies est hors de portée. Elle l’explique à Amnesty International :

« Ma mère m’a dit que je ne pouvais devenir médecin parce que je suis Palestinienne. Mais je veux étudier la médecine et ce, malgré la loi libanaise. Je suis attristée par la situation des Palestiniens, tant au pays qu’au Liban. Ils se font tuer tous les jours, en Palestine, et ils manquent d’aide médicale. Dans le même temps, au Liban, ils n’ont pas accès aux soins médicaux, ils n’ont pas de sécurité sociale et ne peuvent même pas se permettre d’être hospitalisés. »

Sara fait partie d’une famille de six personnes et son père souffre d’une maladie chronique. Elle ajoute :

« Même si je ne peux pas devenir médecin ici, je pourrais aller en Palestine et aider les personnes dans le besoin, en particulier les enfants défavorisés. Je veux sauver des vies, je veux être comme Razan Al Najjar. »

Razan al-Najjar était un paramédical de 21 ans à Gaza et il a été tué le 1er juin 2018, alors qu’il tentait de venir en aide à des manifestants blessés. Pour Sara, Razan est un symbole de résistance et une source d’inspiration : elle veut être comme lui, écouter et répondre aux appels des gens en détresse quand personne d’autre ne le fait.

Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr. Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Hana

Bien qu’elle n’ait pas été en mesure d’obtenir un diplôme d’enseignante, Hana Nazih Fattoum, 34 ans, partage son temps entre l’enseignement à des enfants qui présentent des besoins spéciaux et le travail dans une organisation d’aide, où elle coordonné des activités récréatives et ludiques pour des enfants atteints d’un handicap mental ou physique.

Dès son jeune âge, Hana voulait enseigner l’arabe mais sa famille n’avait pas les moyens de l’inscrire aux cours. Elle savait également que, du fait qu’elle était palestinienne, elle était susceptible de gagner moins et d’avoir accès à moins d’avantages, même si elle trouvait un travail d’enseignante. C’est ainsi qu’elle a décidé de ne pas poursuivre une carrière dans l’enseignement. En lieu et place, Hana a assisté à divers ateliers et cours de formation sur la protection de l’enfance, le droit au jeu et l’éducation des enfants, ce qui a préparé la voie à son emploi actuel.

Hana voit ses propres enfants, Khalil, 14 ans, et Bassel, 7 ans, confrontés aux mêmes dilemmes. Khalil veut devenir avocat, alors que Bassel veut devenir architecte. Ils sont bien décidés à poursuivre leurs rêves en dépit des discriminations imposées par la législation libanaise du travail. Hana explique à Amnesty International :

« Mes deux fils veulent accéder à des professions qu’ils n’auront pas le droit d’exercer. Mais, en fin de compte, je veux qu’ils étudient ce qui les passionne. Toutefois, je ne puis toujours pas comprendre comment quelqu’un ferait tant d’efforts pour étudier alors qu’il n’aura même pas le droit de travailler dans sa branche. Je voulais être professeure d’arabe mais ma famille n’en avait pas les moyens et je ne suis donc pas allée à l’université. Je ne veux pas que la même chose arrive à mes enfants. Je fais tout ce que je peux pour faire en sorte que mes enfants aient une bonne éducation. Je veux qu’ils fassent ce qu’ils aiment. Cela pourrait même leur donner la possibilité de quitter ce pays et de mener une meilleure existence. »

Témoignages de réfugiés palestiniens des camps de Burj Al-Barajneh et de Jal Al-Bahr. Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Nihal

Quand elle déambule dans le camp, Bihal, 27 ans, ne voit pas les bâtiments délabrés en béton, les écheveaux de fils électriques qui pendouillent ou la pauvreté. Elles voit des opportunités et une communauté si riche qu’elle la motive chaque jour à poursuivre sa vision d’un camp à la situation améliorée. Nihal vient d’une famille où il n’y a que des femmes, elle est la troisième de cinq filles, toutes nées dans le camp et élevées par leur mère, Siham, qui est veuve. Le père de Nihal est mort quand elle était encore petite et sa mère a dû assumer le rôle des deux parents, travaillant comme employée dans l’enregistrement de données pour une organisation internationale. Pendant plusieurs années, la famille a dû lutter pour avoir du pain sur la table mais, grâce au soutien mutuel de ses membres, chacune d’elle a pu bénéficier d’une éducation supérieure. Siham confie à Amnesty International :

« Je voulais faire en sorte que chacune de mes filles obtienne un diplôme. En tant que Palestiniennes, elles ne pourront compter que sur elles-mêmes et leurs diplômes pour en sortir dans la vie. »

Nihal avait toujours voulu être architecte et elle était impatiente de suivre les cours d’une prestigieuse université pour obtenir son diplôme, mais sa mère n’en avait pas les moyens. Cela n’a pas empêché Nihal ou sa mère d’essayer. Petit à petit, Nihal a économisé pour passer l’examen d’entrée à l’Université américaine du Liban, pour laquelle elle a obtenu une bourse. Siham a passé de longues nuits chaque semestre pour contacter des ONG susceptibles de fournir des subsides supplémentaires afin de l’aider à assumer ses frais de scolarité. Nihal déclare :

« Chaque semestre, c’était un casse-tête. J’étudiais à fond pour conserver ma bourse et ma mère introduisait des demandes auprès des ONG pour obtenir 100 dollars ici, 100 dollars ailleurs, etc. C’était toute une tâche. Nous n’avons jamais en mesure de couvrir nous-mêmes la totalité des frais grâce aux dons, de sorte que ma mère a dû travailler dur pour couvrir le reste. »

Nihal a commencé à percevoir le monde différemment, au cours de ses années d’université. Elle a appris à voir au-delà des immeubles de béton du camp. Elle le reconnaît :

« L’architecture n’était pas ce que j’attendais et je suis si reconnaissante, pour cela. Elle m’a aidée à voir la beauté dans mon camp et à comprendre ses limites aussi. »

Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Nihal travaille actuellement au sein d’une prestigieuse société d’architecture. Bien qu’en tant que réfugiée palestinienne, elle doive payer une contribution mensuelle au Fonds national de la sécurité sociale, elle ne bénéficie que de l’indemnité de fin de service et non du choix complet des avantages de la sécurité sociale, comme la couverture de l’assurance santé, au contraire de ses collègues libanais. Avec son salaire, elle couvre l’éducation universitaire de sa sœur, elle donne de l’argent à sa mère, paie sa voiture et ses prêts pour l’enseignement. Ç’a été tout un combat, pour elle, mais les vicissitudes de la vie n’ont pas atténué son désir de voir se développer le camp où elle vit. Nihal travaille actuellement avec un professeur en Suède sur un projet de développement communautaire, grâce auquel elle pense qu’elle sera à même de tirer parti du potentiel du camp et d’améliorer les conditions de vie de ses habitants.

Aya

Aya Ahmad Al-Darwish, 22 ans, reste motivée en dépit des obstacles continuels qu’elle doit affronter. Elle a parlé à Amnesty International d’une expérience formative qui l’avait amenée à développer un désir de devenir infirmière :

« Il y a quelques années, un voisin a fait une attaque cardiaque. J’ai appelé l’ambulance et les gens ont essayé de pratiquer sur lui une réanimation cardio-pulmonaire, mais ils ne savaient comment s’y prendre. C’était le chaos complet. L’homme est mort et l’ambulance n’est jamais venue. Juste après cet incident, tout ce que j’ai pu en penser, c’est que si j’avais été infirmière, je l’aurais aidé, je pourrais aider tout le monde ici. »

Photo : Tanya Habjouqa

Photo : Tanya Habjouqa

Aya parvint à entamer une formation universitaire en soins infirmiers. Toutefois, quand ce fut le moment d’entreprendre des formations pratiques en hôpital, une condition absolument requise pour l’obtention du diplôme, elle avait dû laisser tomber parce que ses parents n’avaient pas les moyens de faire face aux dépenses supplémentaires requises. Elle avait changé d’orientation pour étudier la comptabilité et la gestion, mais n’avait pas trouvé d’emploi dans ces domaines. La législation libanaise du travail interdit aux réfugiés palestiniens d’exercer des professions dans des institutions comme les banques et les empêcher d’aller plus haut que des emplois de caissier, de réceptionnistes ou de secrétaires. Aujourd’hui, Aya étudie l’anglais et elle fait du bénévolat comme enseignante au centre d’apprentissage de Jal Al-Bahr.

Elle déclare qu’elle n’a pas renoncé à son rêve de devenir infirmière et qu’elle a l’intention de mettre suffisamment d’argent de côté pour poursuivre son éducation à l’avenir :

« Je veux poursuivre mes études d’infirmière et, ensuite, dans un futur lointain, je voudrais devenir cardiologue. Je veux aider les gens de mon pays. Quand je vois des gens comme Ahed Tamimi et Razan Al Najjar, cela me donne envie de retourner en Palestine et de défendre notre terre et notre peuple. »

« Quand nous étions jeunes, mon père ne pouvait payer nos frais scolaires à tous et c’est ainsi qu’il a choisi mon frère, parce qu’il pensait qu’il était une priorité. Ma seule possibilité était de terminer mes études secondaires. »

Le père : « Aujourd’hui, je veux être sûr que mes filles auront une meilleure éducation. Malheureusement, la législation libanaise impose des limites aux Palestiniens et force les jeunes à s’en aller à l’étranger. Mais je ne veux pas que mes enfants s’en aillent. Cela m’attriste de voir Aya se débattre ainsi, mais je suis confiant en ses capacités et je sais qu’elle y arrivera. »

La famille d’Aya est originaire de la ville de Tarshiha, au nord-est d’Acre, dans ce qui est aujourd’hui Israël.

Ahed Tamimi est une activiste palestinienne arrêtée en décembre 2017, à l’âge de 16 ans, par les forces israéliennes et condamnée à huit mois de prison pour avoir molesté deux soldats israéliens lourdement armés et vêtus de tenues de protection, qui étaient entrés dans la cour de sa maison familiale. Razan al-Najjar, 21 ans, était un paramédical de Gaza tué par les forces israéliennes le 1er juin 2018 alors qu’il tentait de venir en aide à des manifestants blessés. Pour Aya, Ahed et Razan sont des symboles de la résistance en même temps qu’une source d’inspiration.

Fatheya, 53 ans et mère d’Aya, a fait partie de la résistance contre l’invasion israélienne du Sud-Liban, en 1982. Mais, aujourd’hui, le combat qu’elle livre est très différent.

Hussein

Hussein Saleh Merei a 23 ans. Sa famille est originaire de la ville d’Acre, dans l’Israël d’aujourd’hui. Il explique à Amnesty International :

« Je suis quelqu’un de créatif. Mon rêve, c’est d’étudier l’art. Mais mes parents ne me soutiennent pas dans cette voie. Ils voulaient que je sois ingénieur… Je suis indécis quant à ce que je voudrais faire… Il y a beaucoup d’obstacles. Je ne puis travailler dans une banque, je ne puis avoir un emploi public. Mais je suis certain de vouloir quitter le Liban. »


Nisrin

L’amour des mathématiques semble s’être emparé de la famille Al-Hassan. Quand elles étaient petites, Nisrin Lamal Al-Hassan et sa jeune sœur se hâtaient chaque jour de rentrer de l’école pour terminer leurs devoirs de maths et préparer la suite des cours. En grandissant, les deux filles ont étudié la comptabilité. Nisrin explique à Amnesty International :

« J’aime les chiffres depuis que je suis toute petite et je voulais étudier la comptabilité. J’ai pensé que je pourrais travailler dans une banque, mais la loi ne n’autorise qu’à être caissière, et je voudrais aller un peu plus haut que cela. Je veux également mettre de l’argent de côté pour poursuivre une maîtrise, de façon à avoir plus d’emprise sur mon avenir. »

Nisrin, âgée aujourd’hui de 22 ans, a sollicité un emploi dans diverses places, mais personne ne l’a jamais rappelée, pas même pour un stage. Elle a pensé qu’elle pouvait relancer sa carrière en acceptant un emploi au supermarché local et elle espérait pouvoir progresser à partir de là. Mais même alors, dit-elle, le propriétaire du supermarché a rejeté sa demande : « Allez-vous-en, nous n’embauchons pas de Palestiniens. » Frustrée de cette situation, Samira, 51 ans et mère de Nisrin, explique :

« Nous sommes nés et avons grandi ici. Le gouvernement libanais doit nous permettre de travailler et nous ouvrir des possibilités d’emploi. Nous encourageons nos enfants à étudier ce qu’ils aiment, en dépit de la législation. Mais il est pénible de les voir exceller dans leurs études et devenir parfaitement compétents sans toutefois être à même de trouver un emploi ou de poursuivre plus loin leurs études. »

Basant et Shiraz

Basant Sharshara, 10 ans, et sa soeur Shiraz, neuf ans, sont des réfugiés palestiniens de Syrie qui ont fui le camp de Yarmouk (Syrie) pour gagner le Liban avec leur grand-mère. Yarmouk est un quartier surpeuplé au sud de Damas. Avant le début du conflit armé en Syrie, Yarmouk accueillait quelque 18 000 réfugiés palestiniens qui avaient fui ou avaient été chassés lors du conflit de 1948 qui vit la création de l’État d’Israël ou encore suite à la guerre de 1967, quand Israël a envahi et occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza.


Quand ils seront plus grands, Basant et Shiraz voudraient enseigner l’arabe.


Publié sur 70 years of suffocation
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez également : Le refus du droit au retour a engendré septante ans de souffrances

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