Election de Trump : Ne pas pleurer. Organiser. Dès maintenant.

« Il faut tirer des leçons de cette élection, et agir différemment. Pas plus fort mais plus astucieusement. Prioriser l’urgence. Ne pas simplement protester contre les élections de Trump. Il faut s’organiser pour résoudre les problèmes. »

Nada Elia, militante et auteure palestinienne, qui vit aux États-Unis, analyse ainsi le résultat des élections américaines.

manif_anti_trump_ny-e8841
Le drapeau palestinien à une protestation anti-Trump à New York City au lendemain de l’élection présidentielle. Les manifestants scandent : « De la Palestine au Mexique, À tous les murs faire la nique ! » (Photo via @theIMEU/Twitter)

Mercredi, 9 novembre 2016 : en Amérique, un large public est en état de choc. Nous tous – y compris ma personne – ayant vivement critiqué Hillary Clinton, on s’attendait à ce qu’elle gagne. On pensait qu’elle et l’establishment étaient invincibles.

On a eu tort. Les sondeurs se sont trompés. Les commentateurs se sont trompés de même que notre intuition. L’establishment et le statu quo sont enfin tombés de leur piédestal.

Et puis ceux d’entre nous qui sont mécontents mais qui détestent tout ce que le président nouvellement élu représente, ne semblent savoir quoi faire. Apparemment, on se préparait à combattre Hillary, et non Donald. On s’était préparés à combattre le mal qu’on « connaît » (j’hésite toujours à appeler Clinton le moindre de deux maux, justement parce que c’est sa candidature qui a créé cette situation), et non le nouveau.

On ne voulait pas une présidente guerrière : Clinton est un faucon. On ne voulait pas une sioniste : Clinton est sioniste. Je crois sincèrement que Clinton est sioniste jusqu’au bout des ongles, redevable de son fric à l’American Israel Public Affairs Commitee (AIPAC). « Libérale », peut-être a-t-elle émis quelques réserves personnelles sur les pires traitements que les Israéliens infligent au peuple palestinien. Toujours est-il qu’Hillary est une vraie « amie » d’Israël, et non l’amie des Palestiniens.

On n’a pas récolté ce qu’on ne voulait pas : le clintonisme, la politique à l’ancienne, l’empire.

On a récolté Trump : le fascisme.

On est perplexe.

Pourtant, il faut se demander : se serait-on vraiment opposés à Hillary, ou se serait-on résolus une fois de plus à faire face à une adversaire « connue » ? Combien, parmi les progressistes qui aujourd’hui manifestent contre Trump, auraient protesté contre Clinton ? Je parie que les manifestants d’aujourd’hui auraient, pour la plupart, poussé un soupir de soulagement, si Clinton avait gagné. Et puis on se serait bercés d’illusions, avec des promesses de la « talonner », de faire pression pour obtenir un agenda progressiste. Ça a bien marché avec le président Obama ?

De même, comment oublier ou plutôt ne pas tenir compte du fait que, secrétaire d’état, Clinton a approuvé les attaques de drones « super predator » au Pakistan et en Afghanistan, qui ont tué des familles entières d’innocents civils, dans un effort d’assassiner extrajudiciairement des terroristes présumés ? Oublie-t-on aussi que, secrétaire d’état, elle a cimenté les alliances des USA avec certains régimes – les plus brutaux du monde – y compris l’Arabie Saoudite dans sa guerre génocidaire contre le Yémen ? Et, évidemment, comme toujours, avec Israël, dans ses agressions contre Gaza, l’expansion de ses colonies (illégales), et ses attaques contre ce précieux droit 100% américain, notre liberté d’expression, lorsque nous préconisons et pratiquons le BDS ici -même, aux États-Unis ?

Réponse : on s’est encroûtés, notre protestation à l’ancienne est à moitié endormie. Nous aussi, on pratiquait un activisme avec une attitude banale. On faisait pression pour le changement, tout en nous plaignant que les démocrates et les républicains soient l’endroit et l’envers de la médaille.

Aujourd’hui, les combats dans lesquels nous sommes engagés sont les mêmes, quel que soit le résultat de l’élection du mardi 8 novembre. Quant à ceux et celles d’entre nous qui sommes engagés pour la justice à l’égard des Palestiniens, n’oublions pas ce qu’Hillary Clinton a « promis » à l’AIPAC le 16 mars : « La première chose à faire lorsque je serai en fonction, sera d’inviter le premier ministre israélien à venir à la Maison Blanche. J’enverrai aussi en Israël une délégation du Pentagone, et des chefs d’état-major, pour mener des consultations préalables ».

D’un autre côté, (ou est-ce le même côté ?) hier matin, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a appelé le président nouvellement élu pour le féliciter de sa victoire. Netanyahou avait qualifié Trump de « vrai ami d’Israël », et Trump avait déclaré qu’il aiderait à faire de Jérusalem la capitale unie d’Israël. La droite israélienne se réjouit également de la victoire de Trump, comme elle l’aurait fait si Clinton avait gagné.

Il faut donc continuer de plus belle. Ce n’est pas « l’apocalypse », comme certains décrivent l’ascension de Trump au pouvoir. Même si on considère les attaques grandissantes sur nos droits humains et civils, ce n’est pas le changement catastrophique qui va nous foudroyer. C’est le même fléau que nous combattons : le racisme, la dévastation de l’environnement, le profit mis avant l’homme, la différence étant que, cette fois-ci, le masque n’existe plus.

Notre agenda militant, ce sont les mêmes problèmes auxquels on s’était déjà attaqués, qu’on espère amener au premier plan, et qui avaient été trop longtemps mis en veilleuse : prévoir, planifier et organiser consciemment, délibérément, un monde différent de celui dans lequel nous vivons. Nous continuons donc d’organiser un monde qui serait libéré du racisme – celui qui vise les Afro-Américains, les indigènes de ce pays, les Arabes, les musulmans, les immigrants. Nous continuons d’œuvrer pour la justice envers le peuple Palestinien et pour la fin des colonies de peuplement du Dakota du Nord à Haïfa. Nous continuons de démasquer, dénoncer, et d’œuvrer pour en finir avec la misogynie, sous forme de sévices sexuels dans les vestiaires des salles de concours de beauté, ou présente dans les calculs de gouvernements dont l’intention est de s’occuper de la « menace démographique » contre un état suprémaciste. Pendant ce temps, nous nous soutenons l’un l’autre, renforçons nos coalitions, nos alliances, comprenons les combats de chacun et faisons preuve de notre solidarité.

Ça dépend de nous. Ça a toujours dépendu de nous. Dire « nous devons maintenant nous organiser plus que jamais » pourrait signifier qu’un résultat différent en ce qui concerne ces élections, aurait changer quelque chose dans notre combat.

Mais non.

Ce n’est pas un brusque réveil-matin. C’est le rappel d’alarme qui sonne de nouveau. C’est l’heure du lever, de se mette au travail, comme hier, comme avant-hier.

Mais quand même, pas tout-à-fait « comme hier ». Il faut tirer des leçons de cette élection, et agir différemment. Pas plus fort mais plus astucieusement. Prioriser l’urgence. Ne pas simplement protester contre les élections de Trump. Il faut s’organiser pour résoudre les problèmes. Standing Rock : souveraineté des Indigènes, ici, aux USA. Inviolabilité de la vie des Noirs. Justice pour le peuple palestinien. Fin des accords commerciaux qui créent des réfugiés économiques. Fin des guerres, causes de la crise mondiale des réfugiés.

Ne pas pleurer. Organiser. Dès maintenant. Ce n’est pas trop tôt.


Publié le 10 novembre 2016  sur Mondoweiss
Traduction : Chantal C. pour CAPJO-Europalestine

 
Nadia Elia

Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son second livre, « Who You Callin’ ‘Demographic Threat’ ? Notes from the Global Intifada  » (Qui traitez-vous de ‘menace démographique’ ? Notes sur l’Intifada en général). Enseignante retraitée en

Vous aimerez aussi...