Comment l’organisation musulmane Emgage sert l’empire américain

Farooq Mitha, un dirigeant de longue date de l’organisation musulmane Emgage liée au lobby pro-israélien, s’est vu proposer un emploi au Pentagone par l’administration Biden. On peut considérer la chose comme une récompense décernée à une organisation qui a fidèlement soutenu le Parti démocrate et sa politique étrangère belliciste, tout en se faisant passer pour une championne des musulmans et même des Palestiniens.

L’approche agressive de la Chine par Trump se poursuit sous Biden et reçoit l’aide des musulmans américains, lesquels soutiennent des allégations de génocide s’appuyant sur des enquêtes douteuses effectuées par un extrémiste sioniste chrétien. (Photo : Kevin Dietsch CNP/AdMedia)

Ali Abunimah, 17 mars 2021

Et, alors que, manifestement, Emgage cimente ses relations avec la nouvelle administration, elle a abandonné sans bruit toute déclaration de soutien à BDS, le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions en faveur des droits palestiniens.

Dans l’intervalle, Emgage a fait sienne une campagne agressive contre la Chine, soutenant des accusations de génocide perpétré contre les musulmans ouighours, accusations découlant d’enquêtes des plus douteuses menées par un sioniste chrétien extrémiste qui aspire à ce qu’un temple juif soit bâti à Jérusalem, sur l’emplacement actuel de la mosquée al-Aqsa et du dôme du Rocher.

Mitha qui, dans la campagne de Biden, a fait office de conseiller principal pour « l’engagement des musulmans », a été nommé officiellement directeur des programmes commerciaux secondaires du département de la Défense [officiellement, l’Administration des petites entreprises, NdT]. Son travail consistera à aider à faire en sorte que de petites entreprises – parmi lesquelles des firmes dirigées par des femmes ou par des minorités – figurent au nombre des fournisseurs d’armes et autre matériel utilisés par les États-Unis en vue d’imposer leur volonté et mener leurs guerres dans le monde entier. Déjà, du temps de l’administration Obama, Mitha avait occupé une fonction plus en retrait dans le même bureau. 

Des liens avec le lobby pro-israélien

En septembre dernier, The Electronic Intifada révélait les liens très étroits entre les dirigeants d’Emgage et les organisations de lobbying pro-israélien, en particulier la Muslim Leadership Initiative, une organisation qui emmène des « dirigeants » musulmans américains en devenir dans des voyages de propagande en Israël.

Il s’est également avéré que, via son comité d’action politique, Emgage a collecté des fonds en vue de soutenir des candidats pro-israéliens lors des élections américaines de novembre dernier. Ces révélations ont déclenché une tempête de feu autour d’Emgage en incitant de nombreux militants de base à protester.

Mitha a été cofondateur d’Emgage et longtemps membre de son conseil d’administration, bien qu’il ait prétendu « avoir officiellement quitté Emgage » au moment où il a accepté ce travail dans le cadre de la campagne de Biden.

Une porte tambour

La nature plus ou moins « porte tambour » de la nomination de Mitha montre bien qu’une organisation comme Emgage peut difficilement agir comme source de pression et de demande de comptes auprès des pouvoirs mêmes dont ses dirigeants cherchent le patronage tout en y briguant des emplois.

Il existe au moins une autre personne ayant des liens avec Emgage et qui a fini par obtenir elle aussi un poste au sein de l’administration Biden. En mars dernier, la Maison-Blanche a désigné Dilawar Syed comme administrateur adjoint à l’Administration des petites entreprises. Syed, CEO d’une entreprise californienne de technologie des soins de santé et membre du Conseil d’administration d’Emgage, est un collecteur de fonds actif au profit du Parti démocrate, ainsi que de Biden. Comme Mitha, Syed a travaillé au sein de l’administration Obama – dans une commission consultative de la Maison-Blanche.

Une très grande méfiance

Suite au premier reportage de The Electronic Intifada, en septembre dernier, une autre enquête en profondeur menée par Middle East Eye a révélé la grande méfiance de la communauté qui s’est considérablement développée envers Emgage pendant que l’organisation jouait des coudes pour se retrouver sous les feux de la rampe. Selon Middle East Eye, la

« montée d’Emgage vers les sommets nationaux » n’a pas été « l’histoire d’une organisation de défense de la communauté musulmane, mais plutôt celle d’une organisation visant à museler cette même communauté ».  

Tout ceci a poussé les militants à inviter les organisations de la communauté musulmane et arabe à mettre un terme à leur collaboration avec Emgage, et à prier Biden de licencier Mitha. Vu le scandale des liens amicaux entre Emgage et les groupes de pression pro-israéliens, le Conseil américain des organisations musulmanes a coupé ses liens avec Emgage en octobre dernier.

En même temps, l’organisation a concentré tous ses efforts à rassembler – tels des moutons de Panurge – les Américains musulmans afin qu’ils votent en masse pour Joe Biden.

L’abandon de la Palestine

Dans le cadre de ses efforts pour contrer les révélations, le comité d’action politique d’Emgage (Emgage Action) s’est hâté de mettre à jour son site internet afin d’insister sur son soutien des droits palestiniens. Il a même affirmé soutenir BDS – bien que cela n’ait pas duré très longtemps.

Emgage a publié une poignée de documents mettant en exergue ses positions sur la Palestine. Parmi ces documents, un article hostile aux plans israéliens d’annexion de territoires situés en Cisjordanie occupée. Au cas où Israël « s’obstinerait sur cette voie », Emgage a appelé le Congrès à élaborer une législation « conditionnant les 3,8 milliards de USD de financement américain » accordés à Israël chaque année.

Emgage s’est également défendue par le biais d’une page FAQ (Frequently Asked Questions – questions fréquemment posées) assénant toute une série de déclarations passe-partout, du genre « Emgage est membre de la Muslim Leadership Initiative (MLI) ». Néanmoins, ni The Electronic Intifada ni Middle East Eye n’ont prétendu qu’il y ait eu le moindre lien officiel entre Emgage et MLI. En fait, The Electronic Intifada a rapporté à raison – et Emgage l’a reconnu ensuite – que des cadres d’Emgage s’étaient rendus en Israël lors de voyages de propagande organisés par MLI.

Les FAQ affirment qu’Emgage « a toujours soutenu les droits humains et la liberté des Palestiniens », y compris le droit au retour pour les réfugiés palestiniens. Emgage a également affirmé son opposition à certaines mesures spécifiques de l’administration Trump, dont « la décision inhumaine » d’annuler le financement par les États-Unis de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui fournit des soins de santé et des programmes d’enseignement aux réfugiés palestiniens.

L’organisation a également critiqué la

« décision de Trump de réinstaller l’ambassade des États-Unis à Jérusalem et de reconnaître l’annexion par Israël des hauteurs du Golan occupées et qui appartiennent à la Syrie ».

Pas d’exigences vis-à-vis de Biden

Ainsi donc, comment Emgage est-elle parvenue à maintenir ces positions depuis que Biden, le candidat qu’elle a soutenu, a accédé à la présidence ? Le jour où la nouvelle administration s’est installée, le CEO d’Emgage, Wa’el Alzayat, a rédigé un article exposant quatre choses que le président Biden pourrait faire au cours des 200 premiers jours de son mandat et « qui feraient vraiment une différence au Moyen-Orient ».

L’une de ses suggestions est que Biden alloue à nouveau 200 millions de USD des fonds de « stabilisation » pour la Syrie supprimés par Trump, lesquels fonds étaient en fait destinés à entraîner des milices armées locales.

La seule référence d’Alzayat à la Palestine, toutefois, est un appel adressé à Biden afin qu’il restaure le financement de l’UNRWA – une démarche totalement dénuée de la moindre controverse que la campagne de Biden avait déjà promis de reprendre en prétendant que le faire allait « profiter à Israël ».

Alzayat n’a pas invité Biden à revenir sur les démarches de l’administration Trump concernant Jérusalem et les hauteurs du Golan, pas plus qu’il n’a invité instamment la nouvelle administration à abandonner sa position hostile vis-à-vis du mouvement BDS non violent.

Le CEO d’Emgage n’a pas insisté non plus pour que des conditions soient imposées à l’aide américaine à Israël, même quand Israël a approuvé d’importantes expansions de ses colonies, juste avant que Biden n’accède à la présidence.

Emgage n’a pas exigé que l’administration Biden lève les sanctions infamantes contre la Cour pénale internationale et accorde un soutien américain total aux enquêtes de la cour sur les crimes de guerre commis en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.

Depuis les élections de novembre, en dehors de l’appel d’Alzayat en faveur de la restauration du financement de l’UNRWA, Emgage a publié une poignée de tweets proposant un soutien théorique aux Palestiniens, mais sans adresser la moindre demande à Biden.

Depuis les élections, aucune des déclarations officielles d’Emgage ne s’est concentrée sur la politique américaine à l’égard de la Palestine. Tout cela, sans que soit modifiée le moins du monde la très longue pratique d’Emgage consistant à se faire l’écho des priorités américaines de sécurité nationale plutôt qu’à les contester.

L’abandon de BDS

Emgage a toutefois critiqué les calomnies du candidat à la mairie de New York, Andrew Yang, prétendant que le mouvement BDS était antisémite. Mais l’organisation n’a rien dit d’attaques similaires émanant de hauts fonctionnaires de l’administration Biden, dont le secrétaire d’État, Antony Blinken, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, et l’ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, Linda Thomas-Greenfield. L’attaque de Yellen contre le mouvement de boycott était particulièrement remarquable, du fait qu’elle s’accompagnait d’une promesse d’utiliser ses pouvoirs étendus de responsable du Trésor américain pour « s’opposer aux activités BDS dirigées contre Israël ».

Non seulement, en effet, Emgage n’a pas contesté l’hostilité de l’administration Biden à l’égard de BDS, mais elle est tranquillement revenue sur l’affirmation de son soutien au mouvement non violent.

En septembre dernier, au beau milieu du tumulte qui avait suivi le reportage de The Electronic Intifada, Emgage avait publié une déclaration disant : « Nous soutenons le mouvement BDS. » À l’époque, l’auteur de ce reportage avait fait remarquer :

« Il s’avère que c’est la première fois qu’Emgage déclare qu’elle soutient le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions. »

Mais ça n’allait pas durer.

La déclaration fut discrètement modifiée pour devenir : « Nous soutenons le droit de boycotter, désinvestir et prendre des sanctions. » Soutenir le droit de s’engager dans des campagnes – en tant qu’exercice d’une liberté d’expression protégée par la constitution – est louable, mais ne requiert guère de courage et ce n’est pas la même chose, en fait, que de réclamer un boycott contre Israël.

Le prétendu génocide en Chine

Le refus d’Emgage de soutenir un boycott d’Israël contraste avec son plaidoyer en faveur d’un boycott des marchandises manufacturées en Chine suite à des allégations prétendant que ces mêmes marchandises sont fabriquées avec l’aide du travail forcé des Ouighours musulmans de la province du Xinjiang.

La veille de son départ de la Maison-Blanche, le secrétaire d’État de l’administration Trump, Mike Pompeo, a fait une déclaration affirmant que la Chine commettait un génocide à l’encontre de la population des Ouighours. Aussitôt, Emgage a appuyé la démarche de Pompeo, en le mettant toutefois en garde contre le fait que « cette désignation de génocide s’imposait de longue date ». Il s’agit d’une accusation très grave qui exige un examen minutieux et requiert des preuves irréfutables.

Les avocats du département d’État, dit-on, ont douté qu’il y ait des preuves de génocide, mais ils affirment toutefois qu’on assiste à des abus très répandus, dans le Xinjiang. Il n’y a cependant aucune clarté quant aux sources sur lesquelles ils s’appuient. L’administration Biden vérifie la désignation de génocide par l’administration Trump après avoir admis que « toutes les procédures n’avaient pas été suivies ». N’empêche qu’en attendant, les fonctionnaires de Biden continuent à se servir de ce terme.

Une source sioniste chrétienne

Bien des gens bien intentionnés ont soutenu les campagnes excellement orchestrées autour des Ouighours, sans se rendre compte que les allégations de génocide, de travail forcé et d’internement de masse ont leurs racines dans des allégations douteuses, des mensonges et des spéculations directes émanant presque exclusivement d’une seule source : Adrian Zenz, un sioniste chrétien allemand, d’extrême droite et antisémite, membre de la Fondation du mémorial des victimes du communisme, financée par le gouvernement américain, ainsi que de la Fondation néoconservatrice Jamestown.

La déclaration de Pompeo, le 19 janvier, invoquant avec émotion « les horreurs des camps de concentration nazis » ne citait aucune source pour ses allégations concernant un génocide en cours contre les Ouighours au Xinjiang. Mais, quelques mois avant de se livrer à cette accusation, Pompeo créditait Adrian Zenz nommément de « révélations choquantes » à propos de « stérilisation forcée, avortement forcé et planning familial par la coercition appliqués aux Ouighours et aux autres minorités du Xinjiang ».

Le problème, comme l’ont récemment démontré les journalistes de The Grayzone, Max Blumenthal  Gareth Porter, c’est que les recherches de Zenz sont truffées de « falsifications flagrantes de données et de mensonges grossiers ».

Alors que les grandes organisations des droits humains n’ont pas soutenu la qualification de génocide de Pompeo, Human Rights Watch, par contre, s’est appuyée sur les recherches douteuses de Zenz  pour affirmer le recours au travail forcé. Tant Human Rights Watch qu’Amnesty International ont cité Zenz comme source de l’allégation largement répétée selon laquelle plus d’un million de Ouighours seraient détenus dans des camps d’internement. Effectivement, comme s’en vante orgueilleusement la Fondation Jamestown, les affirmations de Zenz ont servi de base aux rapports des médias dans le monde entier. Le CEO d’Emgage, Wa’el Alzayat a lui aussi adopté ce chiffre de « un million » très largement cité :

Pourtant, comme l’ont prouvé Blumenthal et le journaliste Ajit Singh en 2019, l’allégation d’un million ou plus de personnes enfermées s’appuie sur deux « ‘études’ hautement douteuses ». La première, par le Réseau des défenseurs des droits humains chinois, financé par le gouvernement américain, concluait que des millions de personnes étaient détenues au Xinjiang en faisant des extrapolations à partir d’interviews réalisées auprès de… huit personnes.
De même, « Zenz arrivait à son estimation de ‘plus d’un million’ de façon douteuse », font remarquer Blumenthal et Singh.

Dans son article de 2018 où il se livrait à cette allégation, Zenz extrapolait le chiffre de « un million » en procédant à des déductions et estimations en provenance d’une seule source, par surcroît invérifiable. Selon Zenz, un tableau présentant prétendument des nombres de détenus dans divers sous-districts du Xinjiang « avait fait l’objet d’une fuite à partir d’une source digne de foi » et était parvenu à « une organisation médiatique ouighour en exil installée à Istanbul ». Zenz ne cite pas nommément cette organisation médiatique en exil, mais bien un rapport de seconde main publié dans Newsweek Japan.

Zenz reconnaît que « l’exactitude de cette estimation dépend naturellement de la validité supposée des sources déclarées » – quelque chose dont il ne peut en aucun se porter garant. En effet, il admet ceci :

« Alors qu’il n’y aucune certitude, il est raisonnable de spéculer que le nombre total de personnes internées pourrait se situer entre plusieurs centaines de milliers et un peu plus d’un million. »

Pour la même raison, ces mises en garde flagrantes – et son recours à la spéculation – sont rarement, sinon jamais, mentionnées dans les innombrables rapports médiatiques s’appuyant sur les « recherches » de Zenz.

En attendant l’antéchrist

Alors que de nombreux médias ont repris les allégations de Zenz selon leur valeur prétendue, rares sont ceux qui ont informé leur public qu’il est un sioniste chrétien antisémite et d’extrême droite et qu’il s’avère en outre qu’il remplit une mission consistant à convertir des membres de minorités religieuses en Chine.

En 2019, Zenz, un chrétien re-né, a déclaré dans The Wall Street Journal – c’est ce qu’écrit le journal – qu’« il a une affinité pour les groupes minoritaires de la Chine parce qu’ils semblent plus ouverts sur le plan spirituel ». Et d’ajouter : « Je me sens clairement dirigé par Dieu pour agir de la sorte. Avec le Xinjiang, les choses ont vraiment changé. C’est devenu comme une mission, ou un ministère. »

Les « recherches » de Zenz, rapportait The Wall Street Journal, ont été effectuées à partir de son domicile, dans un faubourg de la ville allemande de Stuttgart.

En 2012, Zenz cosignait un ouvrage – Worthy to Escape: Why All Believers Will Not Be Raptured Before the Tribulation (Digne d’en réchapper : Pourquoi tous les croyants ne seront pas enlevés avant la Grande Tribulation) – expliquant son credo fondamentaliste et prédisant la venue imminente d’un antéchrist qui dirigera la monde, avant d’être suivi par le retour de Jésus Christ. Selon Zenz, sa prophétie de la fin des temps

« requiert que les juifs acquièrent le contrôle du mont du temple à Jérusalem, qui est pour l’instant le site de la mosquée al-Aqsa et du dôme musulman du Rocher, et y bâtissent un troisième temple ».

Zenz écrit que « l’antéchrist instaurera un pacte de paix traîtresse avec Israël ». Et il ajoute qu’une

« partie du traité de paix d’Israël proposé par l’antéchrist comprendra un marché qui mettra Israël en mesure des bâtir ce temple de la fin des temps, peut-être à proximité immédiate des sites musulmans ».

Voilà bien des déclarations alarmantes et l’effort de Zenz en vue de les édulcorer constitue une ruse transparente.

« La fournaise ardente de Dieu »

Ce qui précède situe Zenz dans la compagnie des extrémistes juifs israéliens et de leurs partisans au sein du gouvernement israélien qui sont déjà occupés à élaborer des plans en vue de la destruction des lieux saints musulmans à Jérusalem et de leur remplacement par un temple juif.

Pourtant, comme les autres sionistes chrétiens, l’impatience de Zenz de voir Israël reprendre les lieux saints musulmans n’a rien à voir avec un quelconque amour du peuple juif. Il prévient plutôt de ce que

« le processus d’épuration de Dieu balaiera tous les juifs incroyants qui refusent de venir au Christ et ne permettra qu’aux seuls Israélites re-nés d’entrer dans le règne millénaire du Christ ».

Les juifs qui n’acceptent pas Jésus resteront apparemment à jamais dans cette « fournaise ardente de Dieu » à laquelle Zenz fait allusion plus tôt. 

Alors que le livre de Zenz ne révèle aucunement sa vision concernant les musulmans, on peut parier à coup sûr qu’il ne pense pas qu’ils ont plus de chances que les juifs d’accéder au ciel, à moins qu’ils ne se convertissent au christianisme tel qu’il le définit.

Le livre de Zenz est un chaudron de fantaisies bizarres sur la fin des temps et de visions d’extrême droite. Il affirme que tout système de croyance autre que sa version apocalyptique de la chrétienté – y compris toute acceptation de l’homosexualité et la promotion de l’égalité entre genres – est « en fin de compte inspiré par Satan ». Il raille

« les lois contre les crimes de haine et contre la discrimination » en affirmant qu’elles sont avant tout des outils « en vue de la répression du christianisme biblique ».

Zenz n’a jamais répondu à une demande de commentaire.

Le reconditionnement de la pseudo-érudition de Zenz

Un peu plus tôt, ce mois-ci, le Newlines Institute for Strategy and Policy, un prétendu comité d’experts de Washington, a publié ce qu’on qualifie de « nouveau rapport déterminant », lequel conclut que la Chine est bel et bien en train de perpétrer un génocide contre les Ouighours.

Alors que ses éditeurs prétendent que le rapport est l’œuvre d’experts « indépendants », il propose un son de cloche familier : L’un de ces « experts » n’est autre que Zenz, dont les « recherches » ont largement servi de base au rapport. Les notes le citent des dizaines de fois. Et un grand nombre d’articles tiers cités dans le rapport renvoient également au travail de Zenz.  

Bien loin d’être intellectuellement crédible, Newlines est un comité d’experts néoconservateurs et bellicistes constitué de partisans du changement de régime et de lobbyistes pro-israéliens, dont Elizabeth Tsurkov – une vétérane de la guerre dévastatrice de 2006 contre le Libanet de l’activiste antipalestinien de longue date qu’est Michael Weiss.

Comme le fait remarquer Ajit Singh dans The Grayzone, Newlines est dirigé à partir de l’Université Fairfax d’Amérique – un « épouvantail à visas » pour les étudiants internationaux et qui, en 2019, a quasiment été forcé de fermer par les législateurs de l’État de Virginie en raison de ses critères jugés « épouvantables ».

Parmi les « experts » signataires du rapport, on trouve des idéologues antichinois de longue date, d’anciens fonctionnaires du gouvernement américain, des lobbyistes du changement de régime et des partisans de l’interventionnisme américain. Dont Irwin Cotler, un éminent lobbyiste pro-israélien du Canada qui a défendu et justifié l’horrible guerre contre Gaza de 2014, laquelle a tué plus de 2 200 Palestiniens, dont au moins 550 enfants. 

« Plutôt que de procéder à un examen minutieux et complet des ‘preuves disponibles’ » – comme le prétendent les auteurs, Singh fait remarquer que

« le rapport a limité son analyse à une gamme restreinte de pseudo-érudition très défaillante mâtinée de rapports de fronts de lobbying soutenus par le gouvernement américain et favorables au mouvement séparatiste ouighour en exil ».

Le résultat n’est rien d’autre qu’une tentative de reconditionnement et de ré-étiquetage du travail discrédité de Zenz, le tout rafraîchi d’un léger vernis de sérieux académique.

Une couverture musulmane pour la politique américaine

En bref, l’approche de la Palestine par Emgage a consisté à dire le minimum nécessaire pour repousser les critiques tout en promouvant avec vigueur les intérêts géostratégiques et la politique du gouvernement américain où que ce soit – même si cela signifie que, pour ce faire, il fait emboîter le pas du sioniste chrétien Zenz et de ses partisans néoconservateurs et bellicistes. Il y a un bénéfice à tirer, de cette approche : C’est une belle façon, pour Emgage, de se profiler comme des défenseurs des musulmans sans avoir à défier – mais, en fait, en courtisant – le pouvoir américain et le patronage du gouvernement.

Il est certain qu’Emgage n’est pas la seule organisation musulmane américaine à avoir adopté la désignation de génocide à laquelle recourait l’administration Trump. CAIR l’a fait explicitement aussi, alors que Salam Al-Marayati, directeur du Conseil des affaires publiques musulmanes, a partagé sans faire le moindre commentaire l’information concernant cette désignation lancée par Pompeo.

Et, bien qu’elle n’ait pas utilisé elle-même le terme de génocide, Linda Sarsour, militante du Parti démocrate et directrice de l’organisation MPower Change, a écrit sur « Les musulmans ouighours dans les camps de concentration de la Chine » – une indication de la façon dont la campagne enclenchée principalement par les allégations de Zenz s’est pour ainsi dire généralisée parmi les militants musulmans américains.

Un tel soutien de la part des musulmans fournit une assistance multiculturelle à l’approche carrément agressive de la Chine par le gouvernement américain et, apparemment, cette approche est demeurée inchangée en dépit de la transition de Trump à Biden.

Récemment, le journaliste Dan Cohen a produit la vidéo que voici et qui nous donne un aperçu de la façon dont les allégations douteuses de Zenz ont pris des allures de vérités irréfutables, alors que, dans le même temps, Zenz et ses opinions extrémistes et antisémites n’ont jamais fait l’objet d’un examen :

Appuyer un changement de régime

Emgage n’a guère mentionné la Palestine depuis les élections, pas plus qu’elle n’a insisté pour que Biden modifie sa politique pure et dure favorable à Israël. Mais le CEO d’Emgage, Wa’el Alzayat, a quand même trouvé le temps de féliciter le représentant Tom Malinowski pour sa désignation en tant que vice-président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants.

Malinowski fait partie des candidats pro-israéliens soutenus et financés par le comité d’action politique d’Emgage – malgré l’opposition à BDS du congressiste du New Jersey et son soutien à la décision de l’administration Trump d’installer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Le faible affiché par Emgage et Alzayat pour Malinowski est probablement dû au soutien de ce dernier aux efforts des États-Unis dans le sens d’un changement de régime au Moyen-Orient.

Avant d’être élu au Congrès en 2018, Malinowski avait été assistant du secrétaire d’État dans l’administration Obama. Depuis sa position, il s’était aligné sur feu le sénateur républicain de l’Arizona, John McCain, connu pour son bellicisme et ses inlassables efforts en faveur d’une plus grande implication américaine dans la guerre de Syrie.

En tant que législateur, Malinowski a introduit une législation ayant pour but d’empêcher le président des États-Unis de retirer des troupes de la Syrie. Il a également soutenu une législation exigeant que les États-Unis garantissent à Israël un « avantage militaire qualitatif » par rapport à tous les autres pays de la région.

Apparemment, Malinowski et Alzayat ont appris à bien se connaître lorsqu’ils travaillaient tous deux dans l’administration Obama. Alzayat était conseiller principal de Samantha Power, ambassadrice du président Barack Obama aux Nations unies, où elle défendait les interventions désastreuses des États-Unis. Parmi ces interventions, la guerre d’Obama pour un changement de régime en Libye et sa décision d’envoyer pour un milliard de USD d’armement à des groupes rebelles en Syrie – dont une grande partie, affirme-t-on, a fini dans les mains de militants liés à al-Qaïda et même de l’EI. (À l’époque, Israël aussi armait et finançait directement des groupes rebelles en Syrie.)

Alors qu’Emgage peut soutenir à sa guise n’importe quel homme politique, il est impossible de faire coïncider le soutien qu’elle apporte à des personnages pro-israéliens comme Malinowski et un soutien conséquent des droits palestiniens. Il est d’ailleurs prévu que Malinowski prenne la parole au gala d’Emgage le mois prochain.

Un autre orateur de marque sera Nury Turkel, président du Projet des droits humains ouighours, une organisation fondée à l’aide d’une subvention émanant du National Endowment for Democracy (NED – Fondation nationale pour la démocratie), le véhicule avec lequel le gouvernement américain fomente l’instabilité et les changements de régime dans les pays qui sont dans la ligne de mire de Washington. Le groupe de Turkel fait partie d’un réseau d’organisations de droite financées par le NED et visant à instaurer un changement de régime en Chine. Turkel, qui est également membre de la Commission du gouvernement américain sur la liberté religieuse internationale, a été accueilli récemment par le Comité juif américain, l’une des plus influentes organisations de lobbying pro-israélien aux États-Unis.

Le punkah-wallah

« En choisissant la voie de l’engagement, nous garantissons que les voix musulmanes américaines font partie du processus et sont des acteurs actifs dans les décisions qui régentent nos existences »,

affirmait Alzayat, le CEO d’Emgage, dans un article publié dans The Arab American News quelques semaines avant les élections de novembre. « Votez pour Biden-Harris – ou aidez Trump à se maintenir au pouvoir », mettait-il mis en garde. Maintenant que les élections sont terminées, nous pouvons voir que, quelles que soient les priorités d’Emgage, s’opposer à la politique antipalestinienne de l’administration Biden n’en fait pas partie.

Une personne qui depuis longtemps critique publiquement Emgage n’est autre que Nadia B. Ahmad, une avocate et militante du Parti démocrate en Floride. Avant la publication de l’exposé de The Electronic Intifada sur Emgage, elle avait lancé une accusation disant que le rôle de Farooq Mitha dans la campagne de Biden ne concernait rien d’autre que la promotion des voix des communautés musulmanes. Le travail de Mitha allait consister à « nous garder sous contrôle, p nous garder en ligne, à nous empêcher de faire quoi que ce soit », avait déclaré Ahmad.

Elle avait éreinté les activités des dirigeants d’Emgage en les qualifiant d’« autre tentative du pouvoir masculin d’accaparer une charge de punkah-wallah au sein de l’administration Biden » – utilisant par-là un terme de l’époque coloniale désignant un domestique indien [celui qui agite le grand éventail au-dessus de la tête des convives, NdT].

Il semble qu’Ahmad ait eu raison. Mitha a obtenu sa charge de punkah-wallah alors qu’Emgage poursuit son train-train habituel en ne représentant pas les personnes dont il prétend défendre les droits et intérêts. En lieu et place, l’organisation assure une couverture musulmane à l’empire américain.

Wa’el Alzayat n’a pas daigné répondre à une demande de commentaire


Publié le 17 mars 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

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