Jaïda, Palestinienne de la diaspora
Texte écrit par Jaïda, jeune Palestinienne vivant à Bruxelles, le 16 mai 2021, après le grand rassemblement à Bruxelles, en soutien au soulèvement en Palestine et contre l’agression d’Israël à Gaza.
Il y a tant d’écrits sur l’amour
Personne n’a résolu son mystère
Mais le plus grand encore est celui des racines
J’ai tout essayé et pourtant ce sentiment de déracinement reste
Je me suis tant demandé si je trouverai une solution… mais du coup je devais chercher la raison
Est-ce parce que je suis Palestinienne? Je ne l’ai pas choisi mais j’en suis tellement fière
Après m’être cherchée ici, j’ai essayé d’aller là-bas…j’ai réussi…et en effet j’ai retrouvé le morceau su puzzle manquant mais malheureusement je ne pouvais pas rester alors je suis retournée autant que possible
J’ai été refoulée à l’aéroport la 3e fois…mais j’ai réessayé et ça a marché… puis après avoir été refoulée une 2e fois j’ai changé de lieu de « recherche », j’ai été au Liban…
Je l’ai appelé ma Palestine au Liban. La 1ère année j’ai été 6 fois, parce que là, je ne risquais pas d’être refoulée.
Là aussi je me suis retrouvée. En fait je réalise que je suis morcelée, comme mon peuple éparpillée partout dans le monde, je suis dans chacun d’eux
Au final, mon identité je la construis au jour le jour dans chaque rencontre, chaque histoire… en allant à Jaffa là où ma mère n’a jamais été, en lui filmant la mer et la vieille ville comme cadeau car c’est sa ville d’origine, en fréquentant ici des personnes de Gaza, la ville de mon père,…
Mes racines ont été arrachée en 48 mais elles l’ont aussi été quand j’ai été refoulée 2 fois à l’aéroport.
Chaque année mes amis et collègues « rentrent au pays » et moi ce droit je ne l’ai pas.
Je n’ai pas le droit de dire la vérité sur qui je suis si je veux entrer non plus, je m’invente une autre identité
Comme tous ceux nés ici venant d’un « là-bas » certains Palestiniens me disent que je suis européenne mais heureusement il y a aussi ceux qui me traitent comme l’une d’eux (surtout à Jénine et le camp de réfugiés de Ein el Helwe).
Je me suis cherchée dans les Palestiniens que j’ai aimés dans l’espoir de prendre racine et d’en créer des nouvelles en fondant une famille
Je me suis cherchée dans mon père qui a donné la majorité de sa vie pour notre cause. Je l’écoute, je lis ses articles, je regarde ses interviews,… je suis émue, là aussi je prends racine mais la peur m’envahit très vite… que vais-je faire quand il ne sera plus là?
Je me suis aussi cherchée dans toute personne déracinée en raison d’une guerre ou autre.
Je me suis cherchée dans des livres, des films, des chansons, des voyages, des sciences parallèles, dans la philosophie,…
Et parfois je regarde autour de moi, je ne comprends pas pourquoi tous ne sont pas comme ça… et je les envie… mais chacun sa route, alors je continue la mienne
Quand j’étais adolescente c’était pas bien vu d’être Palestinienne c’était synonyme de compliqué, de terroriste, de violent, j’étais différente… je ne pouvais pas aller en voyage scolaire non plus, je n’avais pas les papiers qu’il fallait.
Puis le temps passe et en 2012 je reçois des SMS de félicitations de certains amis car mon pays a été « reconnu » à l’ONU (et encore! comme État observateur non-membre) mais je ne me suis pas sentie bien, non… je me suis demandée: mais en fait avant je n’existais pas ? C’est vrai que sur ma carte d’identité mon pays n’était pas reconnu et quand je demandais une bourse d’étude je devais cocher Israël après avoir passé un savon au téléphone à l’administration des bourses d’études !
Qui suis-je est là plus grande question de l’histoire, je passerai ma vie non plus à chercher la réponse mais à la construire, avec l’aide de tous ceux que j’aime et qui m’aiment et qui font partie de moi.
Hier (15 mai) à la manifestation j’ai trouvé encore une partie de moi… et de l’espoir.
Les choses vont peut-être bouger, peut-être qu’on va arrêter de me parler que de dons de nourriture et de vêtements
Peut-être qu’on va arrêter de me dire qu’il y a des tirs/erreurs des 2 côtés
Peut-être qu’on va arrêter de me dire « non mais le pauvre peuple israélien il a rien fait pour que Lauren Hill n’aille pas chanter chez eux ! » (Oui je vous assure on me l’a dit quand j’ai parlé de boycott avec l’amie d’un ami)
Oui certains ont arrêté de ne pas prendre parti
Oui certains veulent en savoir plus
Oui certains veulent faire bouger les choses
Et aujourd’hui ces certains étaient parmi les 10.000 à Bruxelles et des milliers encore ailleurs encore dans le monde
Aujourd’hui grâce à toutes ces personnes j’ai encore retrouvé une partie de moi
Surtout il faut continuer, il ne faut pas que ça s’éteigne comme à chaque fois, il y a un cessez-le-feu oui mais la situation n’a pas changé!
Il faut faire bouger les choses comme avec le mouvement BDS, avec les demandes à nos gouvernements, prendre exemple sur l’Irlande (dont le Parlement a qualifié la présence d’Israël en Cisjordanie « d’annexion de facto « ), exiger qu’Israël soit sanctionnée, que la Cour Pénale Internationale enquête sur ses crimes,…
Cette fois-ci j’ai vu des stars prendre parti des stars de foot, des acteurs, des chanteurs, des top modèles, … j’ai vu des milliers de gens sortir dans la rue manifester partout dans le monde, j’ai vu les réseaux sociaux aider à diffuser l’actualité, … au point de se faire censurer!
J’ai vu et j’espère que ça n’est que le début.
Plus de 70 ans qu’on nous a mis dehors
plus de 70 ans qu’on nous a promis de revenir
plus de 70 ans qu’on a nos clés avec nous
plus de 70 ans qu’on fonde de nouvelles familles loin de chez nous
que nos enfants rêvent de ce retour
rêvent de voir leur pays
rêvent de semer leur Terre
plus de 70 ans qu’on continue de voler nos terres, de nous chasser de nos maisons,
plus de 70 ans de négociation mais depuis quand un droit ça se négocie?
plus de 70 ans qu’on nous pose des questions qu’on nous dit que c’est compliqué qu’on nous dit qu’il faut faire la paix
plus de 70 ans qu’on meure qu’on se fait emprisonner qu’on soit petits ou grands
que les gouvernements changent mais la position reste la même
le seul changement c’est la superficie de notre Terre
ce qui ne change pas c’est notre résistance et notre espoir
plus de 70 ans qu’on lâche pas de génération en génération
plus de 70 ans qu’on grandit ailleurs mais elle reste en nous
on obtient d’autres nationalités mais on reste Palestiniens
plus de 70 ans que notre histoire se transmet que notre ville d’origine nous est rappelée
que nos artistes et intellectuels continuent à sensibiliser à expliquer
plus de 70 ans qu’on a essayé de nous briser mais même si l’un de nous tombe y en aura toujours un autre pour le soulever ou pour continuer la route
Publié sur la page FB de Jaïda le 16 mai 2021