Liban : une lettre ouverte de Marie Debs
Les tensions au Proche Orient provoquées par les manœuvres guerrières de l’impérialisme américain ne doivent pas occulter l’action des travailleurs pour recouvrer leur souveraineté. En témoigne le mouvement populaire massif qui a lieu au Liban et qui vient d’obtenir un changement de gouvernement.
Changement qui cependant ne signifie pas pour le moment changement de régime, le Liban demeurant aux mains des intérêts capitalistes.
C’est contre cela qu’alertent les communistes libanais, à l’image de cette lettre ouverte en guise de vœux de Marie Nassif – Debs qui est l’une des figures du mouvement communiste libanais, elle qui en a été longtemps l’une des responsables internationales. Deux mois et demi se sont écoulés depuis le 17 octobre, jour de l’Intifada populaire contre les politiques économiques, sociales et financières qui ont mené le pays au bord de la faillite.
Lettre ouverte :
À ceux qui nous gouvernent, Aux sourds et à ceux qui ne veulent pas comprendre
Durant ces deux mois et demi, que s’est-il passé ?
Plusieurs jeunes Libanais trouvèrent la mort sur les places des villes libanaises allant du nord au Sud et à la Békaa, en passant par Beyrouth et le Mont Liban.
Des centaines de jeunes et de moins jeunes ont été agressés par des bandes de miliciens mais aussi par les forces de l’ordre qui devaient en principe les protéger ; ils ont connus la prison et certains d’entre eux furent torturés ; tout cela parce qu’ils ont voulu défendre leur pays et leur peuple contre la corruption et le vol des deniers publics.
Et n’oublions pas les dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs libanais jetés à la rue à cause de la fermeture de quelques milliers de PME dans tous les domaines.
Et vous, qu’avez – vous pendant ce temps ?
Après soixante jours de tergiversations, vous avez décidé, ou plutôt une partie d’entre vous a déclaré qu’elle était « convaincue » de la nécessité de former un gouvernement de technocrates aux mains propres afin « de parer au plus pressé » ; mais, deux semaines plus tard, nous avons découvert que vous êtes revenus au point de départ du jeu que nous avions refusé quand nous avions demandé la démission du gouvernement présidé par Saad Hariri à la suite de la parution du papier stipulant la vente des entreprises productives du secteur public dont le téléphone portable, l’électricité, l’eau, la compagnie aérienne MEA et, surtout, le gaz et le pétrole contenus dans nos eaux territoriales !
Vous avez décidé de former un gouvernement à votre image confessionnelle, mais avec de nouveaux noms, des « technocrates » vous appartenant cœur et âme, avec pour prétexte le pacte confessionnel qui vous lie depuis l’Indépendance en 1943 et auquel vous avez donné depuis quelques années un nouveau nom, « la démocratie adaptée »… Cette « démocratie » qui vous avait longtemps aidé à commettre toutes les arnaques imaginables, mais aussi à tenter de nous pousser à nous entretuer afin de vous aider à élargir votre mainmise sur l’Etat.
Vous prétendez toujours que la Constitution est votre guide ; cependant, vous violez la Constitution sans sourciller, surtout lorsqu’il s’agit de bien entendre la voix du peuple qui « est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté»… Cette voix que vous aviez tenté d’étouffer dès le lendemain de l’Intifada du 17 octobre quand elle vous disait que vous êtes accusés d’avoir dilapidé les deniers publics et que, par conséquent, vous devriez vous défaire de l’immunité qui vous protège et vous présenter devant une commission de juges dont le rôle sera de mettre au clair où est passé l’argent du contribuable, et comment se sont volatilisés, en trente ans, plusieurs centaines de milliards de dollars, dont la moitié dilapidée sur l’électricité toujours absente et une autre bonne part sur une infrastructure toujours défaillante, pour ne citer que ces deux secteurs.
Oui, nous voulons récupérer notre argent volé et caché dans les banques étrangères. Nous le voulons surtout pour prémunir nos enfants de « la famine » menace que certains d’entre vous ont eu l’audace de lever contre nous.
Oui, nous sommes décidés à vous reprendre tout ce que vous avez volé, et, ce, afin de prémunir notre pays contre la faillite qui nous tient au cou à cause des politiques économiques que vous aviez promulguées, mais aussi à cause de la « dollarisation » que vous avez pratiquée à outrance et qui nous a coûté les yeux de la tête, comme on dit communément.
Oui, nous voulons vous obliger à rendre au peuple libanais, véritable propriétaire du gaz et du pétrole découverts en mer, l’usufruit de cette découverte que vous vous êtes entendus à partager entre vous.
Oui, notre patience est à bout, et nous ne pouvons plus supporter vos mensonges sur tous les plans, y compris sur votre silence, ou votre consentement, concernant le retour des agents de l’entité israélienne, tel Amer Fakhoury, le bourreau de la prison de Khiam.
Oui, nous ne voulons plus de vous. Trente ans de misère et de divisions confessionnelles suffisent.
C’est pourquoi notre soulèvement se poursuivra le temps qu’il faudra. Parce que notre but est de tirer le peuple et le pays du fond du puits grâce à un plan d’urgence économique et financier dont le premier point est la récupération de l’argent déposé dans les banques suisses, luxembourgeoises ou étasuniennes. Un plan basé sur la restructuration de l’économie nationale, les secteurs économiques productifs (l’industrie et l’agriculture) surtout, ce qui aidera à créer de nouveaux emplois. Enfin, un plan qui saura trouver l’argent nécessaire grâce à de nouveaux impôts sur les richesses…
Ce plan ne pourra se faire sans un nouveau gouvernement dont la première mesure sera la suppression du confessionnalisme, d’abord par la mise en place d’une nouvelle loi électorale, mais aussi par la promulgation de statuts personnels civils et unifiés.
Voilà pourquoi nous refusons que M. Hassan Diab soit le remplaçant de M. Saad Hariri ou que ce dernier revienne à la tête du gouvernement… parce que nous ne voulons plus tourner en rond ; d’ailleurs le temps qui nous est imparti pour sortir de la crise est très limité. Et si notre pays est en danger, il est temps pour nous de revenir à la Résistance.
Marie Nassif – Debs
Le premier jour de l’an 2020
Traduction d’un article paru en langue arabe
Publié sur Initiative Communiste