Deux poids, deux mesures aux Pays-Bas : punir les Palestiniens, prendre partie pour Israël
Les Pays-Bas ont cessé de financer l’Union des comités du travail agricole (UAWC), l’une des six organisations palestiniennes récemment déclarées « terroristes » par Tel-Aviv.
Les implications de la démarche néerlandaise vont se répercuter sur la société civile palestinienne, qui fait face à des attaques sans précédent de la part d’Israël.
Maureen Clare Murphy, 6 janvier 2022
Israël accuse les importantes organisations des droits humains et des services sociaux de faire office d’organisations de front pour le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), un parti politique de gauche déclaré hors la loi par Israël, les États-Unis et l’Union européenne.
Les organisations ciblées rejettent les allégations d’Israël et elles ont exigé que Tel-Aviv fournisse les preuves que ses affirmations justifient cette mesure radicale.
Cette semaine, Israël a répondu en disant qu’il permettrait aux organisations de traiter uniquement le matériel non classé sur lequel il fait reposer ses désignations.
Dans sa réponse, l’avocat de l’armée israélienne a expliqué que
« le gros des déclarations s’appuie sur des informations de renseignement classées, vérifiées et fiables qui ne peuvent être dévoilées »,
du fait que cela pourrait nuire à la sécurité nationale.
La réponse d’Israël montre que les organisations ciblées « ne se voient pas accorder le moindre droit à une procédure loyale », a déclaré jeudi Adalah, une organisation qui assure une représentation juridique aux organisations interdites.
Elle suggère également que
« les autorités israéliennes n’ont pas de preuve qui les lie à des actes illégaux et que cette démarche équivaut à une persécution politique des défenseurs des droits humains »,
a ajouté Adalah.
Les désignations de terrorisme rendent le personnel des organisations vulnérable aux arrestations et exposent leurs bureaux et leurs biens à des fermetures et à des confiscations.
L’organisation UAWC également reprise sur la liste noire a fait savoir qu’au vu de ce contexte, le gouvernement néerlandais
« ne se contentait pas de la laisser tomber, mais qu’il laissait également tomber la société civile palestinienne dans son ensemble ».
Le ministère néerlandais des Affaires étrangères a annoncé la décision mercredi après avoir suspendu son aide à l’organisation voici 18 mois et avoir mené pendant un an une enquête sur les « liens possibles » entre l’UAWC et le FPLP.
Cet audit, qui a examiné les activités de l’organisation depuis 2007 – l’époque où les Pays-Bas ont commencé à financer l’UAWC – n’a recueilli « aucune preuve » de « flux financiers » entre cette dernière et le FPLP.
« Pas plus que n’ont été découvertes des preuves d’unité organisationnelle entre l’UAWC et le FPLP ou de ce que le FPLP aurait soumis l’UAWC à des directives »,
déclare le ministère néerlandais des Affaires étrangères dans un briefing de huit pages qu’il a adressé au parlement de son pays.
Tout en rejetant l’allégation d’Israël selon laquelle l’UAWC est un bras du FPLP, l’audit néerlandais a découvert des liens entre certains membres du personnel et de la direction, pris à titre individuel, et l’organisation de gauche.
Le gouvernement néerlandais met un terme à son financement sur base de l’affiliation politique des membres du personnel et de la direction de l’UAWC dans leurs compétences personnelles.
Ce faisant, les Pays-Bas punissent effectivement toute une organisation et tous ses bénéficiaires en raison des sympathies politiques supposées de certains membres de son personnel et de sa direction.
Le briefing du ministère adressé au parlement néerlandais déclare qu’il sera demandé aux organisations comment elles traitent leurs employés ou membres de la direction qui peuvent être impliqués avec des organisations reprises sur les listes de sanctions de l’UE et de l’ONU.
La résistance palestinienne au régime israélien d’occupation, d’apartheid et de colonialisme de peuplement est cataloguée depuis longtemps comme inacceptable et en même temps considérée comme criminelle.
Les États-Unis ont désigné le FPLP et d’autres factions comme des groupes terroristes en guise de punition pour leur rejet des accords d’Oslo signés par Israël et par l’Organisation de libération de la Palestine dans les années 1990.
Mercredi, l’UAWC a déclaré que les conclusions de l’audit néerlandais reflétaient
« le statut et l’existence [du groupe] en tant qu’organisation indépendante, qui n’a pas d’affiliation politique ou religieuse avec le moindre parti ou organisation politique ».
Et l’organisation d’ajouter qu’elle ne peut ni ne voudrait
« interférer dans les convictions et affiliations politiques personnelles de ses employés et des membres de sa direction ».
L’UAWC a déclaré qu’elle était « choquée » à propos de la démarche s’appuyant sur
« des liens individuels supposés ressemblant aux allégations toxiques d’organisations israéliennes, telle NGO Monitor ».
Des accusations diffamatoires
Des organisations en alignement étroit avec le gouvernement israélien, comme NGO Monitor, publient depuis des années des accusations diffamatoires à l’encontre d’organisations palestiniennes en tentant de les rattacher à des partis politiques proscrits.
Les campagnes de calomnie ont débouché sur des conditions onéreuses pour le financement des organisations palestiniennes, ce qui a considérablement entravé leur capacité à effectuer leur travail.
Jusqu’à présent, aucun gouvernement ne s’est prononcé en guise de soutien de la mise hors la loi par Israël des six organisations palestiniennes désignées comme terroristes en octobre dernier.
Mais les États-Unis et l’UE doivent encore condamner explicitement la démarche et exiger qu’Israël annule les désignations. Et, comme le montre l’abandon de l’UAWC par les Pays-Bas, la déclaration israélienne peut avoir eu l’effet intentionnel d’isoler les organisations et de tarir leur financement international.
Trois des organisations ciblées – Al-Haq, Addameer et Defense for Children International-Palestine (DCIP) – ont soumis à la Cour pénale internationale des preuves dans l’enquête sur les crimes de guerre en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Ce tribunal international est installé à La Haye, qui est également le siège du gouvernement néerlandais.
https://twitter.com/GreensRadio/status/1479124449031073803?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1479124449031073803%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Felectronicintifada.net%2Fcontent%2Fdutch-double-standards-punish-palestinians-embrace-israel%2F34586
L’UAWC a été créée en 1986 afin de soutenir les fermiers palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées qui étaient confrontés au vol de leur terre et de leur eau par les Israéliens.
L’activité de peuplement israélienne est susceptible de devenir un objectif premier de l’enquête de la Cour pénale internationale, si elle encore aller de l’avant.
Le gouvernement néerlandais était un « important donateur » de l’UAWC depuis l’année 2013, explique l’organisation.
La campagne visant à faire cesser le financement de l’organisation par les Pays-Bas a débuté en mai 2019 quand l’association UK Lawyers for Israel (UKLFI – Avocats du Royaume-Uni pour Israël) a adressé au bureau du représentant des Pays-Bas à Ramallah une lettre avec des informations sur les liens présumés de l’UAWC avec le FPLP.
En juin 2020, UKLFI a réitéré ces allégations dans une lettre adressée à Sigrid Kaag, à l’époque ministre néerlandaise au développement, citant NGO Monitor comme principale source de ses informations.
L’UAWC a déclaré qu’elle était « particulièrement attristée » de ce que le processus menant à son désaveu avait été initié par Kaag peu après sa visite en Cisjordanie, au début 2000, et où elle avait « constaté la pertinence de notre travail ».
La surveillance du financement de l’UAWC par Kaag fut utilisée comme un « gourdin politique » par les hommes politiques d’extrême droite des Pays-Bas lors des élections nationales de l’année dernière, a-t-on pu lire dans +972 Magazine.
« Détourner l’attention »
Mercredi, l’UAWC a déclaré qu’Israël allait
« s’emparer de la décision [des Pays-Bas] de continuer à intensifier leur attaque tous azimuts contre la société civile palestinienne ».
« Tout ceci détourne l’attention internationale du vol commis par Israël (…) et de sa répression brutale des Palestiniens vivant sous occupation militaire »,
a ajouté l’UAWC.
Le briefing adressé au parlement par le ministère néerlandais des Affaires étrangères mentionne que l’UAWC a mis fin au contrat d’emploi de deux membres du personnel qui avaient été arrêtés par Israël en 2019 en raison de leur implication prétendue dans un attentat routier à l’explosif, à proximité d’une colonie en Cisjordanie, attentat qui avait tué une fillette israélienne et blessé ses frère et père.
L’un des hommes arrêtés, Samir Arbeed, avait été hospitalisé avec des blessures qui mettaient sa vie en danger après avoir été torturé pendant son interrogatoire par le Shin Bet, l’agence de renseignement intérieur d’Israël.
Les autorités carcérales israéliennes ont continué d’interroger Arbeed alors qu’il était aux soins intensifs et il paraît même qu’un gardien de prison aurait lâché des gaz lacrymogènes dans sa chambre d’hôpital.
Des organisations palestiniennes des droits de l’homme ont dit qu’aussi bien Arbeed que l’autre ancien employé – Abd al-Razzaq Farraj – « avaient enduré des tortures physiques et psychologiques en cours d’interrogatoire ».
Au début de l’an dernier, le procureur général d’Israël avait clôturé une enquête sur les interrogatoires brutaux auxquels Arbeed avait été soumis.
Des experts indépendants des droits de l’homme, travaillant pour l’ONU, ont condamné
« l’incapacité d’Israël à poursuivre et sanctionner les tortures et mauvais traitements perpétrés sur Arbeed et à y remédier ».
« Nous sommes alarmés de ce que le recours à ce qu’on appelle des ‘techniques de facilitation d’interrogatoire’ ou des ‘mesures exceptionnelles’ en cours d’interrogatoire aient abouti, dit-on, à des aveux forcés, ce que l’interdiction universelle de la torture et des mauvais traitements cherche à éviter »,
ont ajouté les experts.
L’objet d’attaques depuis des années
En ce qui concerne l’attaque plus large contre l’UAWC, antérieure à l’arrestation de deux de ses anciens employés, les organisations palestiniennes ont déclaré en 2020 que
« l’UAWC sauvegarde la présence palestinienne sur des terres qu’Israël désire annexer ».
« C’est la raison pour laquelle l’UAWC fait l’objet d’attaques depuis des années. »
Les organisations palestiniennes ont dit que les Pays-Bas feraient beaucoup mieux d’enquêter sur « les entreprises néerlandaises qui maintiennent des relations commerciales avec les colonies illégales d’Israël et en tirent profit ».
En lieu et place, une organisation palestinienne « qui soutient les fermiers et les communautés vulnérables dans toute la Palestine se retrouve elle-même sous audit ».
Dans sa lettre au parlement, le ministère néerlandais des Affaires étrangères a répété que les Pays-Bas finançaient les organisations non gouvernementales palestiniennes dans le cadre du soutien par les Pays-Bas d’une « solution à deux États ».
L’actuel gouvernement israélien refuse ouvertement de négocier avec les Palestiniens en vue d’une solution à deux États soutenue – du moins dans les mots – par les États-Unis, l’Union européenne et les Nations unies.
Report reveals that there's no indication of financial flows between UAWC and PFLP. Also no evidence found of organizational ties with the PFLP or control of UAWC by PFLP. Sanction UAWC is a political decision.
— Adri Nieuwhof (@steketeh) January 6, 2022
But no sanctions against Israel for war crimes against Palestinians. https://t.co/bm4Fq2nxVB
Mais c’est une organisation palestinienne – plutôt que le gouvernement israélien qui colonise la terre palestinienne – qui est sanctionnée par La Haye.
En janvier dernier, les Pays-Bas ont accordé un contrat de 24 millions de USD au fabricant d’armes israélien Elbit Systems afin qu’il fournisse des ordinateurs tactiques à l’armée néerlandaise.
Le mois suivant, les Pays-Bas ont signé un autre contrat de 82 millions de USD pour le « système de protection » israélien Iron Fist (Poing de fer) destiné à des véhicules blindés.
Tout en se livrant à du commerce de technologie militaire avec Israël, les Pays-Bas ont aidé ce dernier pays à éviter de devoir se justifier.
En décembre, un tribunal néerlandais a maintenu l’immunité en matière de crimes de guerre du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, et a décidé que les commandants militaires israéliens ne pouvaient être attaqués en justice pour avoir tué une famille palestinienne dans la bande de Gaza, en 2014, à l’époque où Gantz était chef d’état-major de l’armée.
En mai dernier, Gantz y était allé de sa fameuse menace : « Aucune personne, zone ou quartier de Gaza n’est à l’abri », avant de liquider des familles entières en ciblant des bâtiments résidentiels.
À la suite de cette offensive de 11 jours, quelque 250 organisations du monde entier avaient réclamé l’application à Israël d’un embargo total (dans les deux sens) sur les armes.
Au lieu d’écouter cet appel, les Pays-Bas ont récompensé Israël par un nouvel accord de « coopération sécuritaire » signé par leur ambassadeur à Tel-Aviv et le Premier ministre israélien Gantz.
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Maureen Clare Murphy est l’une des rédactrices en chef de The Electronic Intifada. Elle vit à Chicago
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Publié le 6 janvier 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Lisez également : Le gouvernement le financement d’une organisation palestinienne (août 2021)
Un tribunal hollandais maintien l’immunité de Benny Gantz pour ses crimes de guerre.