La nouvelle OTAN du Moyen-Orient
La création de cette nouvelle OTAN arabo-israélienne implique la fragmentation du monde arabe, l’enterrement de la Ligue arabe et de l’organisation des sommets arabes en tant qu’institution, l’extrême abandon de la cause palestinienne et de l’identité arabe de Jérusalem et l’adoption du projet sioniste dans sa totalité, lui conférant un nouveau bail existentiel après une période au cours de laquelle Israël s’était inquiété de perdre son avantage qualitatif sur le plan militaire.
Abdel Bari Atwan, 30 mars 2022
Dans la semaine écoulée, trois rencontres au sommet se sont tenues – respectivement dans le Néguev, à Sharm el-Sheikh et à Aqaba — au cours desquelles Israël a été directement ou indirectement le principal acteur. Leur objectif combiné était de le proclamer nation de tête de la région et d’établir une OTAN arabo-israélienne s’appuyant sur les fameux accords d’Abraham et leurs précédentes variantes.
La pierre angulaire de cette nouvelle alliance a été posée lors du « sommet du Néguev » qui a débuté dimanche 27 mars dans le Néguev, dans le sud de la Palestine occupée, et auquel assistaient le secrétaire d’État américain Antony Blinken et ses homologues venus d’Égypte, des EAU, du Maroc, de Bahreïn et du pays organisateur, Israël. Ce fut de loin la rencontre la plus inquiétante des trois. Elle constituait l’adoption officielle et publique par les Arabes de l’état d’occupation à tous les niveaux et elle liait sa sécurité et son existence aux régimes arabes qui ont participé sans vergogne à cette réunion orientée contre l’Axe de la résistance dirigé par l’Iran.
Les trois sommets ont été provoqués, présume-t-on, par la crainte que les pourparlers de Vienne n’aillent déboucher sur un nouvel arrangement nucléaire qui lèverait toutes les sanctions contre l’Iran, reconnaîtrait son rôle régional, dégèlerait ses milliards de dollars d’avoirs et radierait le corps des Gardiens de la révolution islamique de la liste américaine des terroristes.
Le sommet du Néguev n’était pas seulement cérémonial. Son étalement sur deux journées indique qu’il y avait un agenda détaillé en vue de discuter la couverture des termes d’un pacte ou d’une alliance de défense commune et des plans de coopération militaire et sécuritaire préparés par les EU. Il pourrait également s’ensuivre le ralliement au camp américain dans la guerre de l’Ukraine contre la Russie, un jeu très risqué pour les États arabes quant à des choix qui n’offrent absolument aucune garantie de succès.
Sans aucun doute, Israël considère que l’Iran et ses alliés paramilitaires lui posent une menace existentielle. Mais c’est dans notre intérêt, en tant qu’Arabes (ou du moins ceux d’entre nous qui croient encore en cette désignation). Quelle menace posent-ils pour plus de 100 millions d’Égyptiens, ou pour le Maroc situé à des milliers de kilomètres ?
La création de cette nouvelle OTAN arabo-israélienne implique la fragmentation du monde arabe, l’enterrement de la Ligue arabe et de l’organisation des sommets arabes en tant qu’institution, l’extrême abandon de la cause palestinienne et de l’identité arabe de Jérusalem et l’adoption du projet sioniste dans sa totalité, lui conférant un nouveau bail existentiel après une période au cours de laquelle Israël s’était inquiété de perdre son avantage qualitatif sur le plan militaire.
Il a été très insupportable de voir les ministres arabes des Affaires étrangères impliqués dans le sommet du Néguev visiter la tombe du fondateur d’Israël David Ben-Gourion et déposer une couronne en son honneur. Certains d’entre eux peuvent même avoir partagé une larme ou dit une prière pour lui. Je me demande si un seul responsable israélien ou américain a jamais visité la tombe de feu le grand président égyptien Gamal Abdel Nasser. Ç’a été le nec plus ultra dans l’humiliation que constitue l’auto-avilissement.
Le couronnement d’Israël en tant que chef de cette nouvelle OTAN du Moyen-Orient est à la fois une iniquité et une erreur majeure. L’alliance ne parviendra pas à faire face à l’Iran et à ses partenaires, pas plus qu’elle n’allègera les craintes de ses membres ni ne leur fournira de protection. Elle est bien davantage susceptible d’aggraver les problèmes et de les exposer à des menaces sécuritaires supplémentaires qui pourraient déboucher sur la déstabilisation de leurs régimes.
Les EU — vaincus en Irak, en Afghanistan, en Syrie et ailleurs — ne sont plus la superpuissance mondialement crainte qu’ils étaient. Leur faiblesse a été illustrée dans la guerre d’Ukraine où ils n’ont pas été en mesure de fournir ou de diriger une réponse militaire réelle de l’OTAN et où ils ont été réduits à implorer un par un les gouvernements arabes de les aider, sans grand succès jusqu’à présent.
Les pays de l’autre camp de la fracture arabe sont ciblés par cette nouvelle alliance. Il leur faut rompre leur silence et unir leurs forces en un front musulman arabe uni afin de la contrecarrer et de se défendre. Ici, nous faisons spécifiquement allusion à l’Algérie, la Syrie, l’Irak, le Yémen, le Liban, les factions de la résistance palestinienne et certains États du Golfe toujours dans l’indécision. Un tel nouvel axe arabe pourrait détenir une puissance considérable. Et il bénéficierait du soutien d’une puissance régionale musulmane « semi-nucléaire », l’Iran, et d’une coalition mondiale émergente dirigée par la Chine et la Russie et contestant la domination américaine dans les affaires du monde.
L’OTAN, avec toute sa puissance et sa gloire, n’a pu s’imposer en Afghanistan, en Irak ou en Syrie. De même, sa descendante mutante israélo-arabe sera incapable de protéger l’État d’occupation ou ses partenaires des « accords d’Abraham ».
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Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
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Publié le 30 mars 2022 sur le site Rai al-Youm
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine