Pourquoi le boycott des institutions académiques israéliennes par MESA va faire mal au régime d’apartheid

Les institutions académiques israéliennes sont au centre de la violence militaire et raciste contre les Palestinien·ne·s. Le vote de la MESA (Association des études moyen-orientales) en vue de soutenir BDS est une grande et nécessaire victoire.

Noura Erakat, 13 avril 2022

6 août 2019. Une femme manifeste au passage d’Ofer, près de Ramallah en Cisjordanie occupée, en appelant les Palestinien·ne·s à boycotter ces importations. (Photo : AFP)

En mars dernier, c’est par une majorité écrasante que la Middle East Studies Association (MESA – Association des études moyen-orientales) a voté l’adoption d’une résolution de soutien au mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) qui cible l’apartheid israélien.

La résolution a été adoptée à 80 pour 100, alors que 45 pour 100 des membres éligibles ont participé au référendum. Il s’agit d’une victoire éclatante, dont je suis fière en ma qualité de membre de la MESA depuis 19 ans.

Composée de près de 3 000 universitaires et enseignant·e·s (facultés, étudiant·e·s et spécialistes du monde entier), la MESA est une institution qui se consacre à la production de connaissance et de spécialisation de premier ordre sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MOAN).

Les membres de cette association, qui a plus d’un demi-siècle aujourd’hui, ont tiré profit de nombreuses années de spécialisation rigoureuse et de production intellectuelle pour conclure que, dès aujourd’hui, la solidarité avec les Palestinien·ne·s devait s’approfondir et s’étendre.

Une solidarité plus active est nécessaire face à un processus de paix grotesque bricolé par les EU et qui a permis à Israël de consolider son régime d’apartheid et cette solidarité doit concorder avec les engagements éthiques de l’association, puisque l’appel BDS est venu des Palestinien·ne·s mêmes.

Le vote de la MESA confirme en outre son engagement envers la liberté académique. Son Comité sur la liberté académique (CLA) a émis pas moins de 98 lettres de protestation contre les violations par Israël de la liberté académique palestinienne.

Très récemment encore, le CLA a rédigé une lettre de protestation contre la nouvelle politique d’Israël qui

« investit l’armée israélienne du pouvoir unilatéral de sélectionner et d’exclure les facultés internationales, les chercheur(se)s universitaires et les étudiant·e·s qui souhaitent enseigner, étudier et mener des recherches dans les universités palestiniennes »,

plaçant ainsi les institutions palestiniennes de l’enseignement supérieur sous la compétence directe de l’armée israélienne.

Aucun risque pour la liberté académique israélienne

Et ne parlons pas des attaques directes d’Israël contre les universités, facultés et étudiant·e·s palestinien·ne·s. Les forces israéliennes ont visé et bombardé à de maintes reprises des écoles palestiniennes au cours des offensives militaires contre Gaza et d’autres villes et territoires palestiniens.

L’armée israélienne a systématiquement envahi les universités palestiniennes sous le prétexte de contrer des « activités terroristes » et ce, dans un processus d’arrestation et d’incarcération d’étudiant·e·s palestinien·ne·s. L’un de ces raids récents a eu lieu en janvier dernier à l’Université de Birzeit, où les forces israéliennes ont abattu un étudiant et en ont arrêté quatre autres.

En sus de ces agressions physiques, Israël a empêché des universitaires de se rendre à des conférences académiques, des étudiant·e·s d’accéder à leurs universités en bloquant des routes et en imposant des couvre-feux et il a exclu des étudiant·e·s de leur année d’études terminale en raison de ces restrictions de la mobilité.

Au vu de telles conditions structurelles, la liberté académique est impossible. Insister pour qu’il en aille autrement dénonce une troublante hypocrisie à laquelle les Palestinien·ne·s sont soumis·es depuis longtemps.

Insister sur le droit à la liberté académique pour les Palestinien·ne·s ne devrait pas poser – et ne pose d’ailleurs pas, en fin de compte – de risque pour la liberté académique israélienne – pas plus que n’en pose le succès de la résolution de la MESA, parce que cette résolution n’appelle pas à boycotter les intellectuel·le·s israélien·ne·s à titre individuel, mais que c’est plutôt les institutions académiques israéliennes, qu’elle vise.

Les institutions académiques israéliennes sont au centre de la violence militaire et raciste contre les Palestinien·ne·s. L’Institut national L. Greenberg de médecine légale de l’Université de Tel-Aviv retient toujours les corps de plusieurs otages palestiniens. Le programme des études sécuritaires de l’Université de Haïfa a élaboré le cadre raciste de la « menace démographique arabe » et a contribué à modeler le trajet du mur de l’annexion, considéré comme illégal par la Cour internationale de justice en 2004.

Et toutes les universités israéliennes de l’autre côté des friables lignes vertes sont inaccessibles aux étudiant·e·s palestinien·ne·s des Territoires occupés en raison des restrictions de mouvement.

La liberté académique pour tou·te·s

La résolution BDS de la MESA ne contraint pas à titre individuel les universitaires qui sont membres de la MESA à entreprendre des actions spécifiques qui ne s’alignent pas sur leurs opinions politiques. Les membres individuels de l’association sont libres de participer ou pas, et ce, en fonction de leurs préférences individuelles.

Pour les membres de la MESA qui choisissent d’adhérer à la résolution, cela inclurait, par exemple, de ne pas accepter le financement, la promotion d’une institution académique israélienne ou la coopération avec cette même institution, de ne pas assister à des conférences dans ces mêmes institutions académiques israéliennes ou dans celles qui sont sponsorisées par ces dernières ; et de ne pas publier dans les presses universitaires israéliennes.

Le fait que la résolution BDS de la MESA ne contraint pas en fin de compte ses membres individuels de participer à de telles pratiques montre bien l’ampleur de son engagement organisationnel envers la liberté académique pour tous.

Par le biais de cette résolution, les membres ont incité le conseil des directeurs de l’association à proposer une plus ample guidance dans la façon d’insuffler de l’esprit aux intentions de la résolution. Cette guidance sera d’une importance critique afin de s’assurer que tous les membres continueront à se sentir bienvenu·e·s au sein de l’association à mesure qu’elle développera, via BDS, sa solidarité avec les étudiant·e·s et éducateur(trice)s palestinien·ne·s.

Une victoire importante

Suite à l’annonce de l’adoption réussie de la résolution BDS de la MESA, ses opposants se sont mis à adresser un déluge de courriels aux directeurs des programmes et centres d’études moyen-orientales aux États-Unis. Les courriels demandaient que ces directeurs protestent contre la résolution en annulant leur affiliation à la MESA.

Ces opposants à BDS qui, de façon plutôt ironique, refusent de respecter la volonté démocratique des membres de la MESA, ont ensuite affirmé que leur campagne de courriels incessants est parvenue à ce que six centres s’engagent à annuler leur affiliation à la MESA.

Mais cette affirmation était erronée. Seul un centre a confirmé le fait qu’il s’était retiré de la MESA et plusieurs des centres cités ont expliqué soit que l’information était fausse soit que leur affiliation avait simplement expiré, mais par inadvertance.

La campagne top-down cherchant à harceler et sanctionner est typique des modèles anciens. La non-réponse pensée et firme à ces efforts et la réaffirmation et l’engagement à l’égard de la MESA et à ses membres sont bien la preuve d’un changement significatif dans les études moyen-orientales.

BDS est un mouvement de solidarité qui encourage ses alliés à tout le moins à ne pas faire de tort. C’est une campagne que soutient fermement aujourd’hui l’association de pointe dans l’étude de la région MOAN.

Cette victoire est une victoire importante – et, en effet, c’est une victoire historique. Puisse-t-elle contribuer à la libération des Palestinien·ne·s où qu’ils (elles) se trouvent.

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Publié le 13 avril 2022 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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