Nahla Ghandour : « Ce n’est pas mon boulot, c’est ma mission » : assister les enfants palestiniens handicapés au Liban

Nahla Ghandour, la directrice de l’école préparatoire d’habilitation de la Fondation Culturelle Ghassan Kanafani (FCGK), l’une des partenaires de Medical Aid for Palestinians (MAP) au Liban, fait part de la manière dont l’école préparatoire fournit un soutien vital aux enfants palestiniens handicapés et à leurs familles.

Nahla Ghandour

Nahla Ghandour

Medical Aid for Palestinians, 18 mars 2022 (*)

En tant que Palestinienne handicapée moi-même, j’ai eu la chance de venir au monde dans une famille qui avait les moyens financiers de me soutenir. J’ai étudié dans des écoles et universités qui n’étaient pas faciles d’accès. Je devais grimper des escaliers pour atteindre mes classes de cours, parcourir de longs trajets et je n’avais pas accès à des toilettes adaptées. Dans une de ces universités, mon père a dû m’acheter une voiture pour que je sois à même de me déplacer entre les divers bâtiments et, dans une autre université, il a proposé d’installer des rails à ses propres frais afin de m’aider à monter et descendre les escaliers.

La chose la plus importante pour moi quand j’ai commencé à travailler a consisté à vouloir travailler pour la cause palestinienne. J’ai compris que soutenir les enfants présentant des handicaps était la meilleure façon pour moi d’y arriver. La première occasion qui s’est présentée m’a mise sur cette voie au début des années 1980, dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au Liban, au moment où je me formais, sous la tutelle d’un thérapeute occupationnel et d’un éducateur spécial venu de Scandinavie. Nous formions de petits groupes d’enfants atteints de paralysie cérébrale et nous nous sommes mis à travailler avec eux deux fois par semaine.

À l’époque, la guerre civile au Liban s’est intensifiée et l’équipe avec laquelle je travaillais a dû quitter le pays, mais ils ont soutenu la Fondation Culturelle Ghassan Kanafani pour qu’elle ouvre une école préparatoire pour les enfants handicapés dans le camp de réfugiés de Mar Elias. Ce furent des temps très difficiles et j’ai dû assumer de multiples rôles, dont le management et nombre de rôles techniques.

L’école préparatoire fournit une éducation de prime enfance et un soutien à l’habilitation – y compris des thérapies physiques, d’occupation et de langage, des services psychologiques et un enseignement spécial – à des enfants atteints de handicaps complexes ainsi qu’à leurs familles.

Le Liban n’est pas outillé ni ne convient aux handicapés, surtout aux femmes et enfants palestiniens qui vivent dans des conditions de sévérité et de marginalisation extrêmes, et qui sont confrontés à des restrictions d’accès à la santé et à l’enseignement. Deux réfugiés palestiniens sur trois vivent sous le seuil de pauvreté et la situation s’aggrave, au beau milieu de la crise économique qui frappe le Liban.

Par conséquent, l’école préparatoire comble un vide critique pour les tout jeunes réfugiés et elle propose des services que l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) ne propose pas. L’installation du centre et la mise en route de ce travail n’ont pas été faciles, au début. Je venais de me marier, puis j’ai eu des enfants. Je quittais le travail, j’allais chercher mes enfants à l’école et je les aidais dans leurs devoirs. Je m’éveillais à 4 heures du matin afin de faire mes exercices de physiothérapie.

Mais je n’ai pas permis à mon handicap de m’empêcher de faire ce que je voulais. Le centre était mon refuge et l’endroit qui soutenait ma bonne santé mentale. Ce travail m’a rendue plus forte et m’a aidée à affronter les nombreux défis de la vie. Bien des gens me demandent si j’aurais choisi ce travail si je n’avais pas été une personne handicapée et la réponse est « oui, certainement » – pour moi, il ne s’agit pas d’un travail, mais d’une mission.

Je crois que les enfants sont mes professeurs. J’apprends de chaque enfant avec qui je travaille. Avec chaque défi, il y a un nouveau plaisir. À la fin de l’année, j’ai l’habitude de voir les résultats du travail et les progrès qu’ont réalisés les enfants et leurs familles. Parfois, je rencontre des adultes d’une quarantaine d’années avec des handicaps, ils ont été engagés dans l’école préparatoire quand ils étaient enfants et ils me racontent à quel point notre soutien a vraiment signifié quelque chose pour eux.

La Fondation Culturelle Ghassan Kanafani soutient également les femmes palestiniennes des camps de réfugiés au Liban en leur fournissant des possibilités de formation et d’emploi. Habituellement, les femmes subissent plus de discrimination que les hommes et, quand on les équipe de plus de capacités et de savoir-faire, elles sont en mesure d’influencer toute une génération de jeunes gens. Dans notre école préparatoire, les professeurs sont des femmes venues des camps de réfugiés, mais tous les spécialistes et thérapeutes sont libanais, puisque les réfugiés palestiniens sont empêchés d’exercer ces professions.

Le stigmate et le tabou qui entourent le handicap en général se réduit progressivement. Quand l’école préparatoire a ouvert ses portes pour la première fois, le plus jeune enfant qui est venu avait sept ans. Aujourd’hui, les parents amènent leurs enfants alors qu’ils n’ont encore que quelques mois. Cela montre une meilleure identification et acceptation des personnes handicapées. Davantage de parents comprennent l’importance d’une intervention précoce, de sorte qu’ils sont impatients d’obtenir un diagnostic et de démarrer le programme le plus tôt possible. Les médecins en font également davantage pour faire en sorte que les enfants atteints d’un handicap puissent mener une existence la plus digne possible.

Mais, à coup sûr, la crise économique au Liban complique grandement les choses pour les personnes handicapées. Actuellement, je n’ai pour ainsi dire pas de vie sociale. Les fréquentes coupures de courant signifient que je ne puis utiliser les ascenseurs ; et les routes et les bâtiments ne sont pas accessibles. Je n’ai pas un sentiment de sécurité. J’ai essayé d’obtenir une assurance santé, mais elle coûte davantage que mon salaire. Je dois payer tous mes besoins, y compris les soins opératoires, les médicaments et les appareils d’assistance.

Néanmoins, durant toute ma vie, j’ai été optimiste. J’espère qu’il y aura plus de respect et d’attention pour les personnes handicapées. Quand je prendrai ma retraite, j’espère que l’école préparatoire continuera d’exister et d’être utile à de nombreux enfants et que ces 35 années de dur labeur n’auront pas été gaspillées.

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A l’occasion du 50e anniversaire de l’assassinat de Ghassan Kanafani, auteur, journaliste, artiste et porte-parole du peuple palestinien, la Plate-forme Charleroi-Palestine lance un appel au soutien financier de la Fondation Culturelle Ghassan Kanafani.

La Fondation publie le travail littéraire de Ghassan Kanafani en langue arabe et dans d’autres langues.
Elle crée et dirige des jardins d’enfants pour les petits de 3 à 6 ans et des centres habilités pour les enfants handicapés dans les régions défavorisées, ainsi que des bibliothèques et des centres artistiques pour les enfants et les jeunes de6 à 18 ans. Elle intègre les activités des enfants handicapés à celles des autres enfants. Elle forme des employé.e.s et des enseignant.e.s. et promeut des activités sociales et culturelles.

Lisez également : Appel au soutien financier de la Fondation Culturelle Ghassan Kanafani

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Versez votre soutien sur le compte de la Plateforme Charleroi-Palestine

BE10 5230 8104 6104, avec la mention : soutien à la Fondation culturelle Ghassan Kanafani

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(*) Article publié le 18 mars 2022 sur Medical Aid for Palestinians
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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