Hystérie israélienne à propos d’un poème
Quand éclata la première Intifada , Mahmoud Darwish écrit le poème « Passant parmi les paroles passagères ». Ce poème, qui dit qu’il est temps que la colonisation s’arrête, provoque une vague d’hystérie en Israël.
Mahmoud Darwish est interviewé par un journaliste israélien. Il relate cet entretien dans une lettre destinée à un autre poète, Samih al-Qassim.
– Avez-vous dit : « Sortez de notre blessure » ?
– Je l’ai dit.
– Pourquoi ?
– Parce que ma blessure m’appartient. C’est une partie de mon identité. Y avez-vous droit ?
– Non, mais nous avez-vous dit : « Sortez de notre blé » ?
– Oui, je l’ai dit. Car mon blé est mon pain propre. Y avez-vous droit ?
– Non. Mais nous avez-vous dit : « Sortez de notre mer » ?
– Oui, je l’ai dit. Et même : « Sortez de l’air et la terre occupée. »
– Mais il n’y a pas de mer en terre occupée.
– Ne connaissez-vous pas la carte de la terre que vous occupez ? Gaza est sur la mer.
– Voulez-vous dire par là qu’il s’agit de la mer de Gaza ?
– Cette mer s’appelle la Méditerranée, pas la mer de Gaza.
– Voulez-vous dire que nous devrions nous noyer dans la mer ?
– Je vous ai dit : « Sortez de la mer » ; je ne vous ai pas dit : « Allez à la mer ».
– Que voulez-vous dire alors par ces propos : « Vous qui passez dans la mer de mes paroles » ?
– Je n’ai pas dit cela. Il y a une petite différence entre le mot « mer » bahr, et le mot « parmi », bayn.
– Maariv et d’autres organes d’information israéliens affirment que vous avez dit « mer des paroles ».
– Je connais mieux mon poème que ne le connaissent les organes d’information. Et même si j’avais dit « mer des paroles », où serait le problème ?
– Cela serait une invitation à nous jeter à la mer.
– Vous me donnez envie de rire.
– Avez-vous dit : « nous avons ce qui n’est pas en vous, une patrie et un avenir » ?
– Vous n’avez pas de patrie ni d’avenir dans l’occupation.
– Dites-moi quel est votre pays ?
– Mon pays, c’est mon pays, la Palestine.
– Toute la Palestine ?
– Oui, toute la Palestine est mon pays. Quelqu’un vous a-t-il trompé en prétendants que la Palestine n’est pas mon pays ?
– Non, mais c’est mon pays.
– Vous, vous estimez que votre pays s’étend du Nil à l’Euphrate, alors que moi je pense que seule la Palestine est mon pays.
– Et nous, quelles sont nos frontières ?
– C’est à vous de dire quelles sont vos frontières, à l’intérieur de notre pays. Car les bottes du soldat occupant ne peuvent pas tenir lieu de frontières, comme le pensait le général Dayan. Nous, nous ne demandons pas quelle est notre patrie, parce que nous la connaissons très bien. Nous nous demandons simplement sur quelle partie de la terre de notre patrie sera fondé notre Etat. Nous, nous ne vous avons rien pris. Ce que nous prenons est à vous. Si vous vous retirez de chez nous pour retourner dans ce qui est à nous, cela ne veut pas dire pour autant que nous vous prenons quelque chose. Vous comprenez ?
– Non, je ne comprends pas.
Source : Palestine mon pays. Mahmoud Darwich. Les Editions de Minuit. 1988.
Trouvez ici d’autres articles ou poèmes de Mahmoud Darwich, publiés sur ce site
Lisez aussi : Guerre des pierres, guerre des mots