« La Palestine transnationale » : Comment un siècle d’exil a forgé la conscience nationale palestinienne.

Le livre, Transnational Palestine: Migration and the Right of Return Before 1948 (La Palestine transnationale : Migration et droit au retour avant 1948) examine la migration des Palestiniens vers l’Amérique latine dans les dernières années du 19e siècle et le rôle de l’activisme politique transnational dans le modelage d’une communauté diasporique palestinienne, la jaaliya, au cours de l’entre-deux-guerres.


Nadim Bawalsa,
20 septembre 2022

C’est ainsi qu’elle propose la première histoire transnationale du développement de la conscience nationale palestinienne dans la première moitié du 20e siècle.

La Palestine transnationale : Migration et droit au retour avant 1948

La Palestine transnationale : Migration et droit au retour avant 1948

Puisant à des sources en arabe, en anglais, en français et en espagnol dans des archives et dans des collections personnelles en Palestine, en Angleterre, au Mexique et au Chili, le livre élargit l’historiographie palestinienne afin d’adopter une analyse historique transnationale au travers des études de la migration et de la diaspora.

La Palestine transnationale examine comment, dans l’entre-deux-guerres, les autorités du Mandat britannique à Londres et à Jérusalem ont utilisé le décret du conseil relatif à la citoyenneté palestinienne, de 1925 – appliqué dans la totalité du mandat britannique pour la réglementation de la nationalité et citoyenneté palestiniennes – afin d’exclure des milliers de migrants palestiniens de la citoyenneté et ce, dans le but de donner la priorité à l’immigration et à la naturalisation en tant que Palestiniens des immigrants juifs.

D’une part, La Palestine transnationale explore en détail les ramifications de l’ordonnance concernant les migrants palestiniens, qui étaient en gros au nombre de 40 000 en 1936, qui avaient un droit incontestable à la nationalité palestinienne depuis l’entrée en vigueur du traité de Lausanne en août 1924 et qui étaient donc devenus des nationaux apatrides portant des documents de voyage ottomans périmés qui ne leur accordaient pas la moindre représentation ou protection consulaire.

D’autre part, le livre examine les requêtes et périodiques arabes et espagnols émanant des communautés migrantes arabophones en Amérique latine afin de montrer comment l’ordonnance d’exclusion a donné forme à l’apparition de nouveaux réseaux de communication et de solidarité parmi les Palestiniens et autres migrants arabophones dans la diaspora et en Palestine.


Des stratégies de résistance

De Santiago, de Buenos Aires, de Lima et de Sao Paulo, jusqu’à Mexico, Monterrey, Paris et Jérusalem, les migrants palestiniens, leurs alliés aux Amériques et leurs homologues en Palestine ont discuté des stratégies afin de résister à la gouvernance mandataire oppressive des Britanniques – et des Français – et, entre autres, aux refus de citoyenneté signifiés à des milliers de migrants palestiniens.

Ils l’ont fait dans des journaux, dans des clubs sociaux et autres associations, dans des organisations et comités politiques et dans des centaines de requêtes délivrées à des corps gouvernants locaux et internationaux, dont la Société des Nations.

Hormis une poignée d’ouvrages examinant les allers et venues des Palestiniens dans le monde avant 1948, ces mêmes Palestiniens restent largement absents de l’analyse historique transnationale.

C’est que l’étude historique du peuple palestinien s’est grandement confinée à la Palestine géographique, le territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée, négligeant ainsi de remarquables récits qui recouvrent le globe depuis les Andes chiliennes et péruviennes jusqu’aux ports des Philippines.

Par conséquent, des Palestiniens ont rarement figuré dans des histoires de migration et de formation de diaspora, d’échanges culturels et matériels, de peuplement et d’intégration, ou d’activisme politique transnational vers le tournant du 20e siècle, dans des narrations associées à bien d’autres peuples, donc ceux du Moyen-Orient.

La Palestine transnationale prétend donc que les réseaux transnationaux interconnectés forgés par les Palestiniens et autres migrants arabophones au début du 20e siècle ont été essentiels dans la croissance des communautés migrantes moyen-orientales en Amérique latine, dans la formation d’une communauté diasporique spécifiquement palestinienne et dans le développement d’une conscience nationale palestinienne.

De la sorte, La Palestine transnationale prétend que le développement d’une pensée nationale palestinienne dans la première moitié du 20e siècle n’a jamais été lié à la Palestine géographique, mais qu’il a eu lieu selon un processus entièrement transnational.

Un rôle primordial

Comme l’écrit l’historien Sebastian Conrad, « l’accroissement des interrelations transnationales » au tournant du 20e siècle peut « être perçu comme l’un des facteurs les plus importants qui ont contribué à la consolidation des catégories nationales ».

En effet, La Palestine transnationale montre comment les migrants palestiniens et les réseaux transnationaux qu’ils ont établis via leur activisme ont été primordiaux pour le mouvement nationaliste palestinien en Palestine.

Finalement, La Palestine transnationale projette le narratif d’une lutte palestinienne pour un droit au retour en Palestine de 23 ans en arrière, soit en 1925. Alors que la Nakba de 1948 reste un événement séminal dans l’historiographie palestinienne, La Palestine transnationale propose que, de façon significative, l’ordonnance de citoyenneté de 1925 a établi un précédent à la politique d’apartheid israélienne du régime colonial de peuplement consistant à déplacer sans arrêt les Palestiniens.

Le fait que les narratifs de dépossession et d’exil permanent qu’on imagine avoir commencé en 1948 faisaient partie de la mémoire et socialisation collectives palestiniennes depuis près de 30 ans déjà au moment de la Nakba suggère que les Palestiniens ont vécu et compris leurs diasporas d’après 1948 et d’après 1967 de façons fondamentalement uniques.

Cela montre que pour les diverses vagues d’exilés palestiniens qui se sont succédé depuis 1948, le retour était déjà un concept chargé, y compris de la notion d’y avoir droit juridiquement, étant donné le précédent établi par les autorités coloniales britanniques en leur refusant ce droit.

La Palestine transnationale propose que l’histoire palestinienne moderne soit d’importante façon un échafaudage d’expériences diasporiques intergénérationnelles qui nous forcent à réfléchir comment, à l’échelle mondiale, les Palestiniens ont vécu, internalisé et commenté cet exil permanent et cette dépossession continuelle pendant près d’un siècle.

En d’autres termes, l’incapacité de dizaines de milliers de Palestiniens de s’assurer des moyens juridiques pour rester collectés à la Palestine au cours des 23 années qui ont précédé la Nakba montre à suffisance la longévité de la déportation palestinienne et le rôle critique assumé par les lois internationales afin d’assurer sa permanence depuis le début de l’entre-deux-guerres, puis en 1948, et jusqu’à ce jour.

La Palestine transnationale appelle par conséquent d’innombrables questions sur la façon dont nous, les palestiniens en exil, pourrions nous en aller d’ici.

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Nadim Bawalsa est responsable d’édition à Al-Shabaka, le réseau de la politique palestinienne. Il est historien de la Palestine moderne et auteur de Transnational Palestine : Migration and the Right of Return before 1948 (Stanford University Press, 2022). Son autre travail a été publié dans le Jerusalem Quarterly, le Journal of Palestine Studies, le NACLA Report on the Americas, ainsi que dans divers volumes publiés. Nadim Bawalsa a décroché un doctorat double en Histoire et en Études moyen-orientales et islamiques à l’Université de New York en 2017, ainsi qu’un master en Études arabes au Centre de l’Université de Georgetown des Études arabes contemporaines, en 2010. En 2019-2020, il s’est vu octroyer une bourse de recherche PARC-NEH en Palestine.

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Publié le 20 septembre 2022 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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