Fulla Masalma, tuée par des soldats israéliens à la veille de ses 16 ans

Fulla Masalma aurait eu 16 ans aujourd’hui. Au lieu de cela, elle a été tuée hier par l’armée israélienne, tout simplement pour s’être trouvée au mauvais endroit à la mauvaise heure.

Le petit monument improvisé sur le site de la mort de Fulla Masalma (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Le petit monument improvisé sur le site de la mort de Fulla Masalma (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

 

Mariam Barghouti,15 novembre 2022

Vers 3 h 30 du matin, le 14 novembre, les forces israéliennes ont envahi le quartier de Betunia, dans le district de Ramallah, afin d’arrêter Tareq Imwasi, 28 ans, à son domicile.

Durant l’opération, des soldats israéliens ont aperçu une voiture palestinienne qui passait sur la route et ils ont ouvert le feu depuis deux endroits au moins. La passagère, Fulla Masalma, 15 ans, a été tuée, alors que le conducteur, blessé, a été arrêté par l’armée israélienne. Aujourd’hui même, Fulla Masalma aurait eu 16 ans.

« Ils ne se sont pas contentés de la tuer », a expliqué Bakr Armoush, 35 ans, à Mondoweiss.

« Ils ont emporté son corps et l’ont traîné depuis là pour le jeter à l’arrière de la jeep militaire, où se trouvaient déjà six autres soldats et le conducteur blessé, lequel perdait son sang »,

a-t-il ajouté.

Alors que les enfants du quartier l’entourent, Bakr rappelle l’image de Tarek Imwasi, debout sous la pluie, les yeux bandés, à l’aube de ce lundi, quand les soldats israéliens ont envahi sa maison. « Je me souviens du bang des grenades à bruit », dit Amir, 9 ans, en regardant les pierres marquant l’endroit où Fulla, 15 ans, a été abattue très tôt à l’aube dans le quartier.

Bakr Armoush explique à Mondoweiss le mitraillage de la voiture qui transportait Fulla Masalma. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Bakr Armoush explique à Mondoweiss le mitraillage de la voiture qui transportait Fulla Masalma. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

 

L’arrestation se mue en boucherie

Juste derrière la traînée de sang et le drapeau palestinien se trouve la maison des Imwasi.

« Le bruit des détonations m’a réveillée. J’ai vérifié la porte et j’ai vu que des soldats entouraient la maison »,

rappelle Umm Muhammad, 54 ans, à Mondoweiss.

Les forces israéliennes avaient envahi le quartier de Betunia et fait sauter les portes de l’immeuble à appartements où vit Tarek Imwasi. D’après la famille, les soldats se sont emparés des téléphones cellulaires de chacun des membres de la famille et, à la pointe du fusil, ont forcé les femmes à s’asseoir sur leur lit, pendant qu’Abu Mohammad, le père de Tarek Imwasi, était emmené à l’extérieur et forcé à rester debout dans la pluie, en plein orage.

Le portail de l’immeuble à appartements où se trouve celui de Tareq Imwasi. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Le portail de l’immeuble à appartements où se trouve celui de Tareq Imwasi. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Le portail en métal noir porte toujours les traces de l’assaut mené à l’aube. Tout près, un chat tigré orange et blanc observe, s’étend, miaule et s’échappe vers la pièce de séjour derrière la porte. L’odeur du dîner en train de cuire est accueillante, alors que la vapeur qui s’évapore contraste avec le vent pluvieux de l’extérieur.

« Ils nous ont toutes forcées de sortir. Je les ai suppliés afin qu’ils me permettent de me rendre à l’intérieur, parce que mon mari est sous dialyse rénale et il ne peut rester dehors sous la pluie »,

déclare la mère Imwasi. Assis sur le même lit sur lequel sa femme et sa fille ont été obligées de s’asseoir un peu plus tôt, le père Imwasi, 60 ans, se tient la tête entre les paumes.

Presque honteux de pleurer, Abu Mohammad dit à Mondoweiss : « Je lui ai dit, je baise tes mains, tes pieds », sa voix se brise. « J’ai dit au commandant, s’il te plaît, arrête de battre mon fils. »

 

Abu Mohammad, le père de Tareq Imwasi. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Abu Mohammad, le père de Tareq Imwasi. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Les opérations israéliennes de recherche et d’arrestation dans des logements civils signifient souvent que les femmes sont gardées dans une pièce alors que les hommes, souvent, sont battus, ont les yeux bandés et sont parfois même dévêtus, laissés dans leurs seuls sous-vêtements et forcés de s’asseoir dans des positions contraignantes et douloureuses.

« Je n’arrêtais pas de dire au commandant, je suis malade, voyez le tuyau », dit Abu Mohammad, en relevant son pull afin de me faire voir le tuyau jaune fixé à un trou dans son épaule droite. « Je lui ai dit, si ce tuyau n’est pas fixé à mon corps, je vais mourir. »

Quand sa fille aînée écoute son père parler, ses yeux s’emplissent de larmes.

« Le soldat a posé la main sur mon épaule, près du tuyau, et a commencé à presser », dit Abu Mohammad, et sa grimace accentue le réseau profond des rides de son visage.

« Vous n’irez pas chez moi en haut », avait crié Tareq aux soldats depuis son appartement au second étage. En haut, Hani, cinq ans, et Alma, deux ans, dormaient quand les soldats étaient venus pour leur père.

Le dernier enfant de Tareq, sa fille Alma, deux ans (à droite), et son cousin (à gauche), chez leurs grands-parents. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Le dernier enfant de Tareq, sa fille Alma, deux ans (à droite), et son cousin (à gauche), chez leurs grands-parents. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

« Il y a des enfants, ici, et vous n’irez pas en haut », avait répété Tareq à l’adresse des soldats. « Je vais descendre », avait-il dit quand ses enfants s’étaient éveillés à cause du bruit des grenades incapacitantes et des cris de douleur et de crainte de leurs grands-parents.

« Ils ont emmené Tareq dehors menotté et, avant de le pousser dans la jeep, ils l’ont rossé tant et plus », explique Umm Mohammad. Près de douze heures après l’arrestation de leur père, le visage de Hani est toujours blême. Ses yeux brillent à peine, comme si son attention était ailleurs.

Tareq et son fils, Hani. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

Tareq et son fils, Hani. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

 

« Les enfants sont toujours traumatisés », explique leur grand-mère, alors qu’ils jouent avec leurs cousins dans la petite salle de séjour.

« Tout d’un coup, j’ai entendu les balles », dit Umm Mohammad, détournant son attention de son fils pour se rappeler qu’au-delà de leur tragédie, quelqu’un a été tué pour ainsi dire sur le pas de leur porte. Pendant près de quatre minutes, les soldats n’ont pas cessé de tirer.

La mère de Tareq Imwasi parle de son expérience des soldats qui ont envahi sa maison et arrêté son fils. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)

La mère de Tareq Imwasi parle de son expérience des soldats qui ont envahi sa maison et arrêté son fils. (Photo : Vivian Tabar / Mondoweiss)


« Ils l’ont tuée et ils sont partis comme ça, tout simplement »

« Ils sont venus ici pour arrêter le voisin », explique Bakr Armoush alors qu’il est dans la rue et qu’il examine le lieu où Fulla Masalma a été tuée. « Ils ont sorti l’homme menotté et ils lui ont bandé les yeux », poursuit-il.

Dans son témoignage sur le raid, Bakr Armoush rappelle une scène horrible, celle des soldats qui ne cessent de tirer à balles réelles sur la voiture. « La voiture roulait lentement », explique-t-il, pointant du doigt la direction dans laquelle les soldats tiraient. « Ils ont tiré depuis plusieurs endroits et ils ont littéralement truffé la voiture de balles », ajoute-t-il.

« Quoi qu’il en soit, il a été clair que la voiture a tenté de faire demi-tour une fois que le conducteur a remarqué qu’il y avait un raid », fait remarquer Bakr Armoush.

Une vidéo de CCTV montre le moment où les soldats israéliens ont tiré sur la voiture. D’autres vidéos fournies par des témoins oculaires et des résidents de la zone ont également corroboré la version des événements de Bakr Armoush.

« Ils l’ont tuée », dit ce dernier à Mondoweiss. S’arrêtant un petit instant, il répète : « Ils l’ont tuée et ils sont partis comme ça, tout simplement. »


Pas de pitié

« [Les soldats] ne m’ont témoigné aucune pitié », dit avec tristesse Abu Mohammad. « Pas de pitié. Pas la moindre », répète-t-il.

Les soldats ont non seulement pris d’assaut la famille de Tareq Imwasi, en le tabassant sous les yeux de tous les autres, mais aucun auxiliaire médical n’a été appelé après qu’ils ont tiré sur la voiture qui transportait Fulla Masalma. Le corps de la jeune fille a été emporté dans le même temps que le conducteur blessé était traîné dans la rue en perdant son sang en abondance.

La semaine dernière encore, à Jénine, des militaires israéliens ont abattu et tué Rafaat Al-Issa, 29 ans – un travailleur palestinien qui essayait de gagner sa vie. Selon les infirmiers à Jénine, on lui a également refusé des soins médicaux, malgré la possibilité de lui sauver la vie si les soldats s’étaient occupés comme il aurait fallu de ses blessures, estime Mahmoud Al-Saadi, le responsable de la Société palestinienne du Croissant-Rouge à Jénine.

À quelques mètres de la maison des Imwasi, les gens qui ont été témoins de l’arrestation et de l’homicide partagent les mêmes sentiments. Umm Darwish, 67 ans et mère de Bakr Armoush, suit des yeux la traînée de sang au moment où des voitures qui passent l’étalent. Discrètement, elle sourit avec regret et dit : « Il n’y a pas d’humanité, pas de sécurité, rien. »

Depuis le début de l’année, plus de 200 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes.

« Tout ce qui bouge se mue en cible », dit Bakr Armoush.

« Si vous aviez l’emplacement de la voiture par la suite, avec le sandwich au shawarma encore couvert de sang, et les impacts des balles dans la carrosserie »,

dit-il, en essayant presque de comprendre ses propres paroles. « Vous bougez, et vous mourez », dit-il au moment où son dernier-né sautille autour de lui.

Dans un moment de tendresse, les yeux de Bakr Armoush se relâchent en se posant sur son fils.

« Voyez les enfants », dit-il d’une voix ferme.

« Voyez à quoi ils ne cessent d’être exposés. Même la façon dont ils ont déplacé le corps de la jeune fille vous montre bien que ces histoires se répètent de jour en jour. Chaque jour qui passe »,

dit-il.

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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine. 

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Publié le 15 novembre 2022 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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