Des mains américaines ont allumé la torche des pyromanes israéliens

Les EU préparent la voie à d’horribles violences envers les Palestiniens en permettant à Israël de passer à la vitesse supérieure dans la création de colonies de peuplement et dans l’apartheid.  En agissant de la sorte, Washington pourrait également hâter la fin de l’impunité totale permettant à Israël de « faucher » épisodiquement les Palestiniens qui contestent sa domination coloniale.

 

Le chef des pyromanes Benjamin Netanyahou et son ministre des Finances Bezalel Smotrich à Jérusalem, le 26 janvier

Le chef des pyromanes Benjamin Netanyahou et son ministre des Finances Bezalel Smotrich à Jérusalem, le 26 janvier. (Photo : Ronen Zvulun Pool / SIPA)

 

Maureen Clare Murphy, 27 février 2023

Avec les événements de ces derniers jours, il sera plus malaisé pour Washington et ses alliés de traiter la situation d’injustice extrême régnant en Palestine comme une chose que l’on peut gérer indéfiniment.

Cette approche de gestion de conflit – par laquelle les Palestiniens colonisés sont traités comme un partenaire égal de leur oppresseur tout en étant contraints à assumer le sale boulot de l’occupant – a prévalu tout au long du quart de siècle qui a suivi la signature des accords d’Oslo par Israël et par l’Organisation de libération de la Palestine au milieu des années 1990.

C’est durant cette période, naturellement, qu’Israël s’est emparé des collines de Cisjordanie et a accéléré la construction de ses colonies de peuplement en violation des lois internationales, fragmentant davantage encore, de la sorte, la terre et la société palestiniennes.

Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a caractérisé cette approche au cours d’une conférence de presse qui a suivi le raid diurne et sanglant d’Israël à Naplouse, en Cisjordanie, mercredi dernier.

Onze Palestiniens, dont un enfant et trois hommes de plus de 60 ans, ont été tués et des douzaines d’autres blessés à balles réelles au cours du raid, qui a débuté lorsque les forces israéliennes, déguisées en civils palestiniens, ont ouvert le feu au beau milieu d’un marché aux légumes très fréquenté.

Price a déclaré :

« Nous sommes très préoccupés de ce que l’impact du raid de ce jour pourrait faire régresser les efforts visant à restaurer le calme tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens »,

impliquant donc que ce n’était pas le raid proprement dit qui imposait un contretemps au calme.

Price a insisté sur

« l’urgente nécessité pour les deux camps d’œuvrer ensemble en vue d’amender la situation de la sécurité en Cisjordanie »,

suggérant de façon absurde que les Palestiniens sont responsables du maintien de la sécurité du régime israélien de colonisation de peuplement, d’apartheid et d’occupation militaire.

 

Lors de la même conférence de presse, des journalistes ont demandé avec insistance à Price si les inquiétudes exprimées par le département d’État allaient être assorties de conséquences matérielles imposées à Israël pour ses actions.

Price a mis le doigt sur

« l’arrangement dégagé par les Israéliens et les Palestiniens »

le week-end dernier et par lequel l’Autorité palestinienne était mise sous pression par Washington afin de laisser tomber sa demande d’application d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’annonce par Israël qu’il allait officialiser les avant-postes de colonies et construire de nouvelles unités de peuplement.

En d’autres termes, les EU ont exercé des pressions sur l’Autorité palestinienne afin qu’elle renonce à ses efforts à l’ONU en vue de forcer Israël à se plier aux lois internationales parce que, comme l’a dit il y a quinze jours l’adjoint de Price, Vedant Patel, à des journalistes, l’administration Biden avait considéré cette intervention comme étant « inopportune ».

Quand on lui a demandé si le bain de sang de Naplouse de mercredi signifiait que les efforts des EU étaient un échec, Price a insisté sur le fait que Washington avait un « rôle constructif et utile ».

« Les États-Unis sont un partenaire. Nous sommes un partenaire d’Israël ; nous sommes un partenaire des Palestiniens »,

a ajouté Price.

« Dans notre capacité de partenaire, nous faisons de la coordination entre eux et parmi eux. »

 

Les buts de Washington à Aqaba

Dans cette « capacité », les EU ont pressé l’Autorité palestinienne et les responsables israéliens de la sécurité de se rencontrer à Aqaba dimanche, où ils ont été accueillis par le roi Abdallah II de Jordanie et rejoints par des officiels égyptiens.

Un communiqué commun prétendait que les Israéliens et les Palestiniens s’engageaient à

« pratiquer la désescalade sur le terrain et à empêcher que se poursuive la violence ».

Selon le communiqué, Israël s’est engagé

« à interrompre la discussion autour de nouvelles unités de peuplement pendant quatre mois et à bloquer l’autorisation de nouveaux avant-postes pendant six mois ».

Mais le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a rapidement mis un bémol sur toute éventualité de pause dans le vol et la colonisation de terre palestinienne par Israël.

« Il n’y a pas et il n’y aura pas de gel »,

a déclaré Netanyahou à peine quelques heures après la sortie du communiqué d’Aqaba.

La violence a connu une escalade considérable avant que l’encre ne soit séchée.

Dimanche, et presque à coup sûr en guise de représailles pour le raid meurtrier de mercredi, deux colons israéliens ont été tués dans une apparente attaque palestinienne par balles à Huwwara, un village près de Naplouse et un fréquent point chaud de la violence de l’occupation.

Des colons ont alors organisé une action vengeresse de destruction, incendiant et vandalisant des maisons et des véhicules palestiniens et s’en prenant également à du bétail.

Un Palestinien de 37 ans, Sameh Aqtash, a été tué par balles soit par des colons soit par des militaires, et des douzaines d’autres ont été blessés.

Et voilà donc, en ce qui concerne les efforts de « désescalade » de Washington.

 

Sans aucun doute, le principal but du sommet d’Aqaba était-il de favoriser et restaurer le rôle de l’Autorité palestinienne en tant qu’exécutif autochtone d’Israël, avec une couverture politique et des formations possibles venant d’Égypte et de Jordanie.

Israël et les Palestiniens

« ont affirmé leur engagement envers tous les accords précédents entre eux et ils se sont également engagés à œuvrer pour une paix longue et durable »,

disait encore le communiqué.

Ceci ne peut faire référence qu’aux accords d’Oslo, qui obligent l’AP à collaborer avec Israël contre la résistance palestinienne à l’occupation.

Alors que les discours de paix et de justice ne sont là que pour la forme, Washington et ses clients locaux vont insister très fort auprès de l’AP pour qu’elle respecte son obligation de protection d’Israël et de ses colons destructeurs contre le peuple palestinien.

 

Le « partenariat » américain

Voici à quoi ressemble réellement le « partenariat » américain dans la pratique.

Washington fournit chaque année un minimum de 3,8 milliards de dollars d’aide militaire à Israël tout en accordant de relatives broutilles à l’Autorité palestinienne, à condition qu’elle serve de bras exécutif à l’occupation israélienne.

Pendant tout ce temps, les EU servent d’avocat à Israël dans les forums internationaux, en sapant les efforts palestiniens vers la responsabilisation d’Israël. (Lors de cette même conférence de presse, mercredi dernier, le collègue de Price a réaffirmé l’opposition de Washington à l’enquête sur la Palestine de la Cour pénale internationale.)

Et que s’est-il passé d’autre, les jours qui ont suivi le sabotage par Washington – prétendument le partenaire constructif – du vote du Conseil de sécurité sur les colonies d’Israël ?

Israël a approuvé des plans en vue de la construction de 7 000 nouvelles unités de peuplement « le plus grand nombre jamais autorisé en une seule session », selon The Times of Israel – y compris des centaines de logements dans des postes avancés non encore officiellement légalisés par le gouvernement et construits sur des terres palestiniennes.

Tel-Aviv s’apprête également à construire des milliers d’unités de logement dans la zone E1 de Jérusalem, ce qui couperait effectivement la Cisjordanie en deux et, pour reprendre les mots de Peace Now, porterait « un coup mortel à un futur État palestinien ».

 

Bezalel Smotrich, le ministre d’extrême droite des Finances en Israël, qui vit dans l’une des colonies choisies pour de nouvelles constructions, semble certain que Washington ne mettra pas de bâtons dans les roues.

« Il est permis d’avoir des désaccords entre amis mais, à la fin, nous faisons ce qui est juste pour nous et ils le comprennent »,

a déclaré Smotrich, selon ce qui a été écrit dans le quotidien de Tel-Aviv, Haaretz.

Pendant ce temps, Smotrich a été couronné en tant que gouverneur de la Cisjordanie la semaine dernière, dans une démarche dont les experts juridiques disent qu’elle constitue une annexion de jure d’un territoire occupé.

Un accord signé par le ministre israélien de la Défense transfère à Smotrich les pouvoirs gouvernementaux en Cisjordanie, étendant ainsi la souveraineté israélienne au-delà de la Ligne verte.

Michael Sfard, un avocat israélien des droits humains, a déclaré que

« transférer les pouvoirs en des mains civiles israéliennes constitue un acte d’annexion de jure parce qu’il s’ensuit d’enlever du pouvoir à l’armée occupante et de le placer directement dans les mains du gouvernement ».

Il a ajouté que l’accord

« est en même temps un pas de géant de l’annexion juridique de la Cisjordanie et un acte de perpétuation de la nature d’apartheid du régime ».

 

 

La construction de colonies et l’annexion officielle de territoire occupé constituent des violations flagrantes des lois internationales.

Et, pourtant, la seule réponse qu’a pu avancer le porte-parole du département d’État quand on lui a posé des questions à ce sujet jeudi a été le refrain éculé disant qu’il était d’une importance cruciale tant pour Israël que pour l’Autorité palestinienne

« de s’abstenir de toute démarche unilatérale qui exacerberait les tensions ou qui aurait le potentiel de saper les efforts en vue de faire progresser les perspectives d’une solution négociée à deux États ».

 

 

Ce que cela signifie réellement, c’est qu’il faut éviter les démarches qui contestent le maintien du régime israélien de domination coloniale de peuplement sous le couvert d’un processus de paix inexistant.

Le communiqué commun sorti dimanche a salué

« l’importance du sommet d’Aqaba, le premier en son genre depuis des années ».

Il a annoncé une autre réunion censée se tenir en mars, accueillie cette fois par l’Égypte dans la station balnéaire de Sharm al-Sheikh, sur la mer Rouge, et visant à

« maintenir une impulsion positive et à prolonger cet accord vers un processus politique plus large devant aboutir à une paix juste et durable ».

C’est un retour en arrière vers cette multitude permanente de sommets, de plans de paix et de feuilles de route qui ont caractérisé l’apogée de l’époque d’Oslo : un processus sans fin et un travail intense se substituant à tout effort réel en vue de responsabiliser Israël et de mettre un terme à son asservissement des Palestiniens.

C’est un effort en vue de réinstaller Washington sur le siège du conducteur.

Mais les événements sur le terrain montrent qu’un conflit colonial a sa propre logique brutale. La furie et la résistance du peuple palestinien ne peut plus être contrôlée ou contenue soit par la brutalité d’Israël soit par les mascarades diplomatiques de mauvaise foi de Washington.

 

Une « réforme » législative menace l’impunité

Ironiquement, en refusant d’exercer plus qu’une simple pression sur Israël, les EU peuvent contribuer à faire éclater la bulle de l’impunité qu’ils ont contribué à préserver pendant si longtemps.

Un peu plus tôt, ce mois-ci, Gilad Noam, le procureur général adjoint d’Israël, a mis les députés en garde en disant que les efforts du gouvernement en vue d’éroder l’indépendance et la portée de la justice sapaient leur meilleure défense contre la curiosité de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice.

S’ils devaient être appliqués, ces changements altéreraient « la perception du système judiciaire comme étant professionnel, indépendant et apolitique », a déclaré Noam.

« Cela pourrait affecter la capacité d’Israël à faire face aux défis du système juridique international »

, a ajouté Noam, qui a encore dit que

« tout ne peut être élaboré dans un tel débat public ».

Une discussion confidentielle sur les implications internationales de la « réforme » législative a paraît-il eu lieu à huis clos la semaine dernière.

 

Les réservistes israéliens, dont ceux des forces aériennes, menacent de refuser « de se plier aux rappels ou à certaines directives », du fait que le public israélien proteste contre ce que de nombreuses personnes appellent « un coup d’État judiciaire », a-t-on fait savoir aux députés, comme le rapporte le quotidien de Tel-Aviv Haaretz.

« Les pilotes et navigateurs de réserve disent que les membres d’équipage cherchent de plus en plus à postposer le rapport des journées d’entraînement dans leurs escadrilles »,

peut-on lire dans le journal.

Parmi les groupes WhatsApp des escadrilles aériennes,

« les appels au refus de servir se répandent comme une traînée de poudre ».

Les réservistes sont inquiets de ce que

« les nouvelles lois pourraient rendre les pilotes réservistes plus vulnérables aux actions juridiques à l’étranger »,

a ajouté Haaretz.

Lors de la réunion à huis clos, les conseillers juridiques du ministère israélien de la Défense ont déclaré aux députés que

« si la justice était affaiblie (…) la prétention de l’État a de robustes mécanismes d’investigation et juridiques rendant non nécessaire toute intervention extérieure serait elle aussi affaiblie ».

Les pilotes des forces aériennes israéliennes pourraient par conséquent

« être les premiers à se trouver dans le collimateur du tribunal, à La Haye »,

a expliqué clairement Haaretz.

Si la justice internationale n’était pas un jeu truqué, le personnel américain dont les empreintes digitales sont présentes sur tous les crimes d’Israël ne se trouverait pas aligné très loin derrière eux

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Ali Abunimah a contribué au reportage et à l’analyse.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 7 février 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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