Au bout de 3 ans de prison, de détention et de poursuites politiques, pour avoir publié un poème intitulé « Résiste, ô mon peuple résiste ! » Dareen Tatour s’exprime pour montrer que rien ne réussira à la bâillonner.
Après avoir enduré trois ans de prison, de détention et de poursuites politiques, me voici assise chez moi, à caresser mes chats en toute liberté, à revivre et redécouvrir tout, comme si je vivais un beau rêve après un long cauchemar.
Pour moi, le 11 octobre de cette année-là, n’est plus une date ordinaire qui se présente comme les autres : C’est l’anniversaire du début de la sinistre histoire d’un poème et de la poétesse détenue en Israël. Elle a débuté en 2015 et duré trois ans au cours desquels j’ai souffert de différentes façons : détention, interrogatoire, prison, assignation à domicile, exile et restrictions.
Les périodes que j’ai passées ne se ressemblaient pas, les souffrances étant différentes. Dans chacune d’entre elles, j’ai vécu de nombreuses expériences, en ce qui concerne les politiques israéliennes, le monde qui m’entoure et ma propre personne. Elles m’ont toutes marquée et laisseront des traces indélébiles.
Cependant, durant mon dernier séjour en prison, mon cœur était rempli de sentiments complexes, en particulier lorsque je suis entrée volontairement dans la prison et que je me suis dirigée vers la porte avec mes amis et ma famille : Que c’est difficile pour une personne dont le crime est un simple poème illustrant ses émotions et sentiments devant la réalité vécue par son peuple ! Je ne parlerai pas ici des circonstances de ma détention pendant cette période, ni des restrictions, ni des phases. Je parlerai des principaux épisodes qui m’ont marquée durant ma détention et m’ont poussée à continuer la lutte jusqu’au jour où on m’a relâchée – le 20 septembre 2018 – et de mon dernier séjour dans la prison de Damon.
Le 8 août 2018, à dix heures du matin, vêtue d’un blanc aussi pur que l’écriture poétique, je suis entrée de nouveau en prison, condamnée par la cour israélienne, pour ces délits : Incitation à la violence et au terrorisme, soutien donné à un groupe terroriste. Cinq mois de prison, ni plus, ni moins. J’ai dit adieu à mes amis et à ma famille, leur ai fait un signe de la main et j’ai regardé le grand ciel bleu pour la dernière fois, jusqu’au moment où l’agent pénitentiaire est arrivé avec la geôlière et a ouvert la haute barrière bleue. Je suis rentrée dans le bâtiment et la barrière s’est refermée : J’ai donc commencé la peine de prison qui m’avait été imposée.
La geôlière m’a emmenée dans une pièce minuscule, sans fenêtre, ni aération, ni lumière et m’a enfermée derrière la porte de fer, puis j’ai attendu une heure environ jusqu’à son retour, pour qu’elle se mette à recevoir officiellement une prisonnière-poète dont le crime consistait en mots. Elle m’a demandé de me mettre à nu, afin de commencer par une fouille au corps, selon l’expression utilisée par les services pénitentiaires israéliens : Pour moi, l’expérience la plus pénible de ma vie, du fait que c’était une autre femme qui me faisait mal, sans respect pour les sentiments et l’intimité. Après avoir fini sa tâche, elle m’a conduite au bureau d’enregistrement où on m’a donné un numéro de prisonnier et on m’a mis des entraves et des menottes – ce qui m’a choquée. Je lui ai donc demandé pourquoi. Elle m’a répondu que j’étais une prisonnière dangereuse, un risque pour la sécurité du pays : Ordres reçus. Elle a ensuite fouillé mon sac avec mes affaires : renvoyé chez moi. Interdiction de garder mes vêtements, l’excuse étant que les règles du centre de détention ne permettent pas ce genre de choses.
Après une nuit passée au centre de détention de Jalama (Kishon), on m’a transférée à la prison de Damon, à Dalivat al-Karmel, ville située près d’Haïfa. Elle servait d’entrepôt de tabac, durant le Mandat britannique et a été transformée en prison par Israël, pour y fourrer quelque 500 prisonniers. En 2002, des Associations des droits humains et un Comité de juristes israéliens se sont accordés pour déclarer que l’endroit ne convenait même pas aux animaux, donc que ce n’était pas pour les êtres humains. Pourtant, jusqu’à ce jour, on l’utilise encore comme prison pour les détenus et prisonniers palestiniens arrêtés pour avoir travaillé en Israël sans permis, laquelle s’ajoute à « la section 61 » réservée aux prisonniers politiques.
J’étais dans cette section avec 22 prisonnières. La prison se sentait permise de contenir 26 prisonnières en tout, dans seulement deux salles : Salle 7 pour 8 prisonnières, pas plus. Salle 8 pour le reste – ce qui signifie que la Salle 7 aurait bien pu enfermer jusqu’à 18 prisonnières !
Une fois dans la section, je regardais de la cour vers le ciel qui devenait un carré, révélant par cette ouverture à l’apparence d’un filet, une cour totalement fermée, deux salles qui comprimaient l’âme et l’esprit et qui étaient trop remplies par rapport à leurs dimensions.
Le temps passant, j’ai commencé à m’habituer aux prisonnières et à écouter toutes leurs histoires dont certaines ne correspondaient ni à mes pensées, ni à mes principes. Pourtant, face à la réalité de la vie en prison, j’ai dû m’habituer à différentes classes, du point de vue culturel, social et économique. En prison, il n’existe aucune vie privée, ce que je trouvais aussi très difficile à gérer. J’ai également partagé la souffrance des prisonnières.
J’ai vécu de multiples scènes cruelles, mais la pire a été celle de la fille d’une des prisonnières qui tapait la cloison en verre avec ses deux mains pendant la visite, pleurant, criant. Elle voulait simplement toucher sa mère, mais ni les geôlières, ni les services pénitentiaires ne lui ont donné l’occasion de le faire – pas une seule minute. Le seul choix de la mère était de lui envoyer des baisers : De les imprimer sur le verre, ce qui la faisait pleurer à son tour. Les visites dans les prisons politiques israéliennes ne se font que derrière un verre protégé contre tout contact, même auditif. De plus, de nombreuses prisonnières n’ont jamais eu le droit à de visites depuis leur détention, autre brutale vérité. Ces expériences que j’ai vécues en prison ont éveillé mes émotions et m’ont inspirée à écrire encore plus, malgré la souffrance. Je note donc tout ce que je sens et vois, jusqu’à ce que chaque incident se transforme en poème.
Je suis entrée en prison avec un poème en tête, mais on m’a relâchée avec 101 poèmes, plus un roman que j’y ai écrit, incorporant les menus détails de cette vie et les épisodes : Un défi, avec moi-même en premier et les autorités israéliennes en deuxième place. Je ne me suis pas arrêtée là, y ayant appris à dessiner. À présent, je m’exprime également en images. J’ai aussi transformé ma chambre en laboratoire de photographie, filmant un projet sur l’assignation à domicile et la prison. Voici comment j’ai converti mon séjour en détention en d’autres énergies créatives, ce qui confirme que rien n’arrête une poétesse d’exprimer ses sentiments, même si son corps est en prison, car l’esprit reste libre.
L’ironie est que les autorités israéliennes, en ce qui me concerne, m’ont accusée puis emprisonnée des jours et des mois, prétendant que le poème que j’avais écrit et publié était incitant et dangereux pour la sécurité de l’état. Pourtant, elles l’ont laissé sur Facebook et YouTube pour être lu et entendu par tous. Il est plutôt amusant de détenir, accuser et enfermer une poétesse, tandis que son poème est toujours en liberté – non supprimé par exemple – puisqu’il incite à la violence et au terrorisme et qu’il soutient tout ça, selon leurs dires au tribunal !
Le poème est resté et s’est mis à dépasser les limites, à tel point que le soutien pour moi et pour ceux qui m’entourent s’est étendu au fil du temps, et a même été traduit en plusieurs langues. Mon emprisonnement s’est transformé en inspiration pour l’art et les artistes dans différents domaines : le chant, le théâtre, le cinéma, la photographie, la poésie, le dessin ou la musique. Le plus remarquable parmi ceux-ci : La traduction d’un de mes poèmes écrits en prison, en plus de 15 langues, avec le soutien de « PEN International association », et intitulé « Poème au banc des accusés ». Cette association s’arrange pour composer et chanter le poème traduit en justice en plusieurs langues, à la demande d’un groupe d’artistes et de ceux qui militent pour moi, tels que Meira Asher et Dganit Elyakim. S’ajoute une pièce de théâtre intitulée Moi, Dareen Tatour, écrite par mon amie Einat Weitzman, à laquelle j’ai contribué, et dirigée par Nitzan Cohen. Elle sera jouée à la fin du mois au théâtre Tmuna de Tel Aviv. Voilà ce qui a conduit la ministre de la Culture et des Sports israélienne, Miri Regev, à menacer le théâtre et à promettre de cesser son soutien financier, si la pièce y est jouée. Le conseiller légal a également convoqué ceux qui ont préparé cette pièce, à un interrogatoire, affirmant qu’elle incite à la violence en la soutenant, sans que Miri Regev ait vu ou connaisse le sujet de la pièce et ou son contenu. Mon nom a suffi pour qu’elle s’y oppose, s’efforce d’empêcher la représentation et menace tous ceux qui y ont participé.
Malgré tout ce que j’ai enduré au cours des trois dernières années semées de racisme de la part des autorités israéliennes – une longue lutte pour la liberté d’expression – celle-ci continue, elle ne s’est jamais arrêtée, même après ma sortie de prison. J’y ai été retenue trois années supplémentaires, avec suspension conditionnelle : il ne faut pas que le crime se reproduise. Mon crime dans ce jugement ? Avoir écrit un poème ! Et ça continue : La campagne d’incitation contre ma personne et toute œuvre d’art qui a trait à l’art palestinien, vise à en provoquer leur suppression et leur censure de la part des autorités israéliennes, en particulier la ministre de la Culture et des Sports, qui ne cesse de faire campagne contre les œuvres d’art qui s’identifient à la Palestine ou qui racontent l’histoire du Peuple palestinien et de leur souffrance sous l’occupation israélienne qui dure depuis 70 ans. Du fait que nous avons fait appel – mon équipe de défense, moi-même et nos supporters – auprès du bureau de Gabi Lasky, une séance a été prévue pour la discussion au sujet de mon appel, le 6 novembre 2018. Je continuerai à lutter jusqu’à mon dernier souffle, pour ma liberté d’expression à travers l’usage libre de la poésie, car cette cause n’est plus uniquement celle de Dareen Tatour, mais celle de tous les poètes, artistes et êtres humains qui m’ont toujours soutenue loyalement et ne m’ont jamais abandonnée durant ces longues années.
Il faut absolument dire la vérité : La détention que j’ai endurée est la preuve certaine qu’on m’a détenue, accusée et emprisonnée pour la seule raison que je suis Palestinienne et qu’on me dit Arabe sur ma carte d’identité. Israël est loin d’être une démocratie. Il donne des jugements racistes et n’accorde la démocratie qu’à ceux dont la carte d’identité a la mention « Nationalité juive ».
Publié le 7/11/2018 sur Mondoweiss.net
Traduction : Traduit par Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine
Archives novembre 2018
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