Fight Back! a interviewé Charlotte Kates, coordinatrice internationale du réseau de solidarité avec les prisonniers politiques palestiniens Samidoun, sur la lutte pour la libération des prisonniers politiques palestiniens. Nous encourageons tous nos lecteurs à soutenir cet effort.
« La défense de la lutte palestinienne et le droit de résister à l’occupation par tous les moyens nécessaires doivent aussi, par nécessité, également accorder la priorité à la lutte pour la libération de tous les prisonniers politiques. »
Fight Back! : Pourquoi la question des prisonniers politiques est-elle si importante dans la lutte pour la libération de la Palestine?
Charlotte Kates : Depuis les débuts du mouvement de libération nationale palestinien, l’emprisonnement a toujours été une arme utilisée par le colonisateur – et a toujours inspiré la résistance palestinienne. Cela est vrai des révoltes contre le colonialisme britannique dans les années 1920 et 1930 jusqu’à nos jours. En fait, la détention administrative – l’emprisonnement de Palestiniens sans inculpation ni jugement par l’occupation israélienne – était une politique d’abord introduite en Palestine par les colonisateurs britanniques, puis adaptée par le colonialisme sioniste.
L’emprisonnement est une réalité qui touche presque toutes les familles palestiniennes – tout le monde a une mère, un père, un frère, une sœur, un oncle, un cousin, une nièce ou un neveu en prison. Ce sont des enfants et des aînés, des ouvriers et des agriculteurs, des enseignants et des étudiants. 40% des Palestiniens vivant en Cisjordanie et à Jérusalem ont passé du temps dans les prisons israéliennes. Bien entendu, il convient de noter que les classes travailleuses et populaires de Palestine, tout comme elles ont toujours été à la base de la résistance, constituent également le gros des prisonniers palestiniens. Les prisonniers palestiniens comprennent tous les secteurs de la population palestinienne – de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem, de la Palestine de 48 et même des exilés et des réfugiés palestiniens. Il y a actuellement près de 6000 prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, mais il y en a eu environ 850 000 depuis 1967 et un million depuis 1948.
L’emprisonnement est utilisé comme une méthode coloniale de contrôle et de domination – pour attaquer la résistance palestinienne et tenter de la démanteler, afin de cibler les principaux militants de tous les mouvements – mouvements ouvriers, étudiants, de femmes, jeunes – pour les arrêter et les isoler. La défense de la lutte palestinienne et le droit de résister à l’occupation par tous les moyens nécessaires doivent aussi, par nécessité, également accorder la priorité à la lutte pour la libération de tous les prisonniers politiques. Inversement, la lutte pour libérer les prisonniers est un moyen important de défendre la résistance palestinienne. En outre, les prisonniers palestiniens ne sont pas simplement des victimes de l’occupant, ils sont également des dirigeants, des organisateurs et des combattants. Ils s’organisent derrière les barreaux et transforment les prisons en « écoles révolutionnaires » des opprimés.
Fight Back! : Comment s’est développé le mouvement de libération des prisonniers politiques palestiniens au cours de ces dernières années?
Kates : La lutte à l’intérieur des prisons d’occupation n’a fait que s’intensifier ces dernières années. Il y a eu plusieurs grèves de la faim de masse impliquant des centaines et des milliers de prisonniers, tandis que des prisonniers comme Khader Adnan ont mené des grèves pendant des mois. Ces grèves, longtemps un mécanisme de lutte pour le mouvement des prisonniers palestiniens, ont également contribué à galvaniser l’attention du public palestinien, arabe et international sur la situation des prisonniers. Toute amélioration des conditions de détention des prisonniers derrière les barreaux est une lutte constante.
Dans le même temps, l’occupation israélienne a également intensifié ses attaques contre les prisonniers. Gilad Erdan, le ministre d’extrême droite israélien également responsable des campagnes du mouvement anti-BDS à travers le monde, préside un comité chargé de faire reculer les améliorations apportées aux conditions de détention qui ont été obtenues au fil des luttes. Actuellement, les femmes détenues à la prison de HaSharon refusent de se rendre dans les cours de récréation depuis près de deux mois en signe de protestation contre les caméras de surveillance qui leur ont été imposées, en dépit de la réduction de leurs allocations de nourriture et du refus de tout, des livres aux visites familiales en passant par l’eau chaude. De nombreuses initiatives importantes ont été lancées pour mettre en lumière les luttes des prisonniers palestiniens – le cas d’Ahed Tamimi a suscité beaucoup d’attention, en particulier en ce qui concerne l’emprisonnement et les violences des enfants palestiniens.
Fight Back! : Dans quels genres de conditions sont emprisonnés les dirigeants de la résistance palestinienne, comme Ahmad Sa’adat du FPLP face dans les prisons israéliennes ?
Kates : Les prisonniers palestiniens ont énormément de ressources et trouvent toujours le moyen de faire en sorte que leur voix parvienne au peuple palestinien et au monde. Ils sont derrière les barreaux parce qu’Israël veut les isoler à tous les niveaux. Pourtant, ils continuent d’exercer leur leadership intellectuel et politique dans le cadre de la lutte de libération palestinienne et de l’ensemble de notre mouvement international pour la justice sociale. Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du FPLP emprisonné, est un dirigeant international. Il est actuellement détenu derrière des barreaux israéliens. De 2002 à 2006, il a été emprisonné par l’Autorité palestinienne mais sous garde américaine et britannique ; l’implication de ces puissances impérialistes et de l’AP complice dans sa détention illustre bien les forces auxquelles le peuple palestinien est confronté.
Après une interview de Sa’adat publiée dans le journal égyptien Al-Masry Al-Youm début octobre, les prisonniers détenus avec lui à la prison de Ramon ont été soumis à des perquisitions, des interrogatoires et des transferts répétés en guise de représailles contre son interview – avec ses engagement clair et fondé sur des principes en faveur de la libération de la Palestine de la mer au Jourdain – en atteignant le public.
Fight Back! : Voudriez-vous dire quelques mots sur l’importance de la lutte pour libérer Georges Abdallah?
Kates : Comme nous le savons, les Palestiniens ne sont pas seulement confrontés au mouvement sioniste et à l’État israélien, mais également à l’impérialisme américain et à ses alliés européens. Ces derniers ont recours à des lois «antiterroristes» pour réprimer l’organisation de la communauté palestinienne et le militantisme de solidarité avec la Palestine, infiltrant des organisations et prenant pour cibles des dirigeants comme Rasmea Odeh, emprisonnant la Fondation Terre Sainte pour le secours et le développement. Mais il n’y a rien de nouveau dans cette approche. Georges Ibrahim Abdallah est emprisonné en France depuis plus de 34 ans pour son rôle présumé dans une action en France au cours de laquelle un attaché militaire américain et un diplomate israélien ont été tués, lors de l’invasion du Liban et des massacres de Sabra et Chatila. Bien qu’il soit éligible à la libération depuis 1999, il reste derrière les barreaux à cause de l’État français – et également à cause des pressions intenses exercées par les autorités américaines, de Condoleeza Rice à Hillary Clinton. À l’instar des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, Georges Abdallah s’est attaché à ses principes politiques en tant que communiste libanais. Plus récemment, il s’est adressé à la Grande Marche du Retour à Gaza, affirmant que la « victoire des masses et des peuples en lutte … consiste à renverser l’impérialisme et ses agents ». Cette année, des citoyens du monde entier ont à nouveau organisé une semaine d’action pour exiger sa libération. Les États-Unis sont un partenaire dans son emprisonnement – et la campagne pour gagner sa liberté fait partie intégrante de la campagne pour libérer tous les prisonniers palestiniens.
Fight Back! : Que recommanderiez-vous aux lecteurs de Fight Back! de faire pour aider l’effort pour libérer les prisonniers politiques palestiniens ?
Kates : La chose la plus importante que les lecteurs de Fight Back! peuvent faire pour aider la campagne pour la libération des prisonniers palestiniens est de rejoindre la lutte. Cela inclut la lutte pour la libération des prisonniers politiques aux États-Unis, à l’instar de ceux du Mouvement de Libération Noire, emprisonné depuis des décennies pour leur rôle dans la lutte. Chaque victoire de la lutte des prisonniers aux États-Unis est également une victoire pour les prisonniers palestiniens et le peuple palestinien.
Nous invitons également les gens à s’impliquer dans le réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens Samidoun et à inclure les prisonniers palestiniens dans leurs campagnes, manifestations et actions. En élevant les noms, les idées et les images des prisonniers, nous pouvons aider à briser l’isolement qu’Israël cherche à imposer. En construisant des campagnes pour boycotter Israël et des sociétés complices comme G4S et HP, nous pouvons apporter une force matérielle à nos revendications. Et plus important encore, en luttant contre l’impérialisme américain à tous les niveaux, les lecteurs de Fight Back! peuvent apporter une contribution majeure à la cause palestinienne.
Publié le 1/11/2018 sur Fight Back!
Traduction : Coup Pour Coup 31
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