Un village palestinien littéralement mis à sec par la sévérité du contrôle de l’eau exercé par Israël

La pénurie d’eau a forcé les habitants du village Furush Beit Dajan, en Cisjordanie, à abandonner leurs citronniers naguère encore renommés et de replacer leurs espoirs sur la production de tomates.

De nombreux fermiers de Furush Beit Dajan se sont mis à cultiver des tomates du fait que cette plante requiert beaucoup moins d’eau et de terre que les citronniers. (Photo : MEE / Shatha Hammad)

Shatha Hammad, à Furush Beit Dajan, Palestine occupée, 18 février 2022

Campé sur sa terre en pensant au sort de ses citronniers naguère encore très productifs, Thabet Muhammad Abdul Kareem se demande avec anxiété s’ils vont continuer à dépérir.

Le fermier palestinien et sa famille se sont appuyés sur leur terre comme source principale de revenu pendant près de 50 ans, à l’instar des autres résidents de Furush Beit Dajan, un village agricole en Cisjordanie occupée par Israël.

Situé juste à l’est de Naplouse, au beau milieu de la vallée du Jourdain, ce village palestinien couvre 14.000 dounams (environ 1.400 hectares) de terre, dont la majeure partie a été confisquée par les autorités d’occupation israéliennes.

Le village est également encerclé par le check-point militaire de Hamra et par les colonies israéliennes de Hamra et de Mekhora.

Aux résidents palestiniens, il a été interdit de cultiver 1 100 hectares de cette terre, ce qui leur laisse un maigre 300 hectares catégorisé selon les accords d’Oslo en Zone C, ce qui signifie qu’il est interdit aux villageois d’y construire la moindre structure – pas même des citernes à eau.

Des ressources enviables

Quelque 98 pour 100 des résidents de Furush Beit Dajan sont actifs dans l’agriculture et s’appuient sur leurs récoltes et leur bétail en tant que principale source de revenu.

La situation privilégiée du village – derrière la chaîne montagneuse de Naplouse, où se situe le bassin oriental – signifie que beaucoup d’eau coule dans le sous-sol.

Le village est connu pour ses terres fertiles et ses citronniers, a expliqué à Middle East Eye le chef du conseil villageois, Azem Hajj Muhammad, mais, du fait que l’armée israélienne a creusé des puits artésiens sur leurs terres, l’eau des puits souterrains du village a commencé à se tarir, entraînant ainsi le déclin de la production villageoise de citrons.

Avec moins de terre et une réduction de l’approvisionnement en eau, les gens de l’endroit ont dû s’adapter au changement en se lançant dans la serriculture et l’agriculture verticale. Mais ils se rappellent en permanence les ressources naturelles qui sont disponibles juste sous leurs pieds.

« Furush Beit Dajan se trouve sur une nappe d’eau phréatique et nous entendons le bruit de l’eau qui coule dans les conduites israéliennes. Mais nous ne pouvons pas l’utiliser »,

a expliqué Azem Hajj Muhammad.

Selon le chef du conseil, les autorités israéliennes s’en prendraient aux villageois qui tenteraient de creuser des puits ou d’utiliser les conduites d’eau. Plusieurs fermiers ont été arrêtés et se sont vu infliger de lourdes amendes après qu’on les a trouvés coupables d’avoir tenté d’accéder à l’eau.

Qui plus est, les citernes à eau sont interdites dans tout le village. Le 16 juillet 2021, les autorités israéliennes ont démoli l’un des réservoirs de Muhammad contenant 500 mètres cubes d’eau, et ce, malgré une ordonnance de la Cour suprême israélienne qui en avait bloqué la démolition.

« Israël pratique la discrimination raciale à notre égard. À cinq cents mètres de chez nous, la colonie de Hamra profite de ses piscines et d’un accès sans restriction à l’eau ainsi que de toutes les infrastructures dont elle a besoin »,

a-t-il expliqué à MEE.

Des rêves bâtis sur l’eau

Thabet Muhammad Abdul Kareem a 72 ans. Il est père de neuf enfants et grand-père de treize. Tout ce monde vit de sa terre, qui compte 6 dounams (60 ares) sur lesquels poussent avant tout de vieux citronniers.

L’an dernier, sa famille a pu éprouver un certain optimisme quand elle est devenue d’une des bénéficiaires d’un projet du ministère palestinien de l’Agriculture prévoyant de construire des réservoirs pour la collecte de l’eau. Peu après, Abdul Kareem ajoutait 100 citronniers de plus à ceux qu’il possédait déjà et il plaça en eux tous ses espoirs.

Abdul Kareem, 72 ans, exhibe une série de vieux documents remontant à l’année 1920 et prouvant que sa famille est bel et bien propriétaire de la terre. (Photo : MEE / Shatha Hammad)

Toutefois, par un coup du sort dévastateur, dès que la construction du réservoir fut achevée, le 15 novembre 2021, les autorités israéliennes ordonnèrent sa démolition.

« Nous souffrons de sécheresses permanentes, durant les mois d’été, et je dois acheter de l’eau afin de maintenir mes arbres en vie et j’avais besoin de ce réservoir pour stocker toute l’eau que j’achetais »,

a déclaré Abdul Kareem à MEE, en faisant remarquer que les citronniers doivent être arrosés tous les deux jours et qu’ils consomment de grandes quantités d’eau, ce qui requiert donc un réservoir de cette taille.

Après la mise en place du réservoir à eau, l’administration civile israélienne vint empiéter sur ses terres, prit des photos et accrocha même sur le réservoir une ordonnance militaire stipulant qu’il devait être démoli dans les 96 heures.

« Nous sommes allés devant les tribunaux israéliens et nous avons tenté d’aller en appel contre l’ordonnance. Le 28 janvier, nous avons finalement été informés du refus du tribunal, lequel a confirmé l’ordonnance de destruction »,

a expliqué Abdul Kareem à MEE.

Quelques jours plus tard, le 8 février, les autorités israéliennes ont fait irruption sur les terres d’Abdul Kareem et ont démoli le réservoir, qui contenait 250 000 litres d’une eau très précieuse.

« Ces ordonnances militaires sont injustes. Elles ne nous donnent pas la possibilité d’obtenir un permis ou d’aller en appel contre l’ordonnance de démolition »,

dit-il.

« La politique de l’occupation à notre encontre est claire : Ils veulent nous chasser de nos terres. »

« C’était la première fois que nous recevions de l’aide de l’Autorité palestinienne et j’étais heureux d’avoir l’occasion de construire un réservoir à eau. J’avais placé tous mes espoirs là-dedans. Mais ils se sont éparpillés dans le vent. »

Abdul Kareem a une collection de vieux documents remontant à l’année 1920 et prouvant que sa famille est bel et bien propriétaire de la terre. Il transporte ces papiers sur lui où qu’il aille et les montre à des travailleurs des droits humains et à des journalistes. Il ajoute toutefois que les tribunaux israéliens ne reconnaissent pas la légitimité de ces documents.

« C’est notre terre, la terre de nos ancêtres. Ceux qui ont démoli le réservoir sont des étrangers et des envahisseurs. Je construirai un autre réservoir à sa place et, s’ils déracinent mes arbres, nous en planterons d’autres… Nous ne quitterons pas nos terres. »

Nouvelles cultures et contaminations

Vu le déclin de sa production de citrons, Furush Beit Dajan se concentre désormais sur la culture des tomates en serre, diversifiant ainsi ses cultures en remplacement de sa production de citrons. Le village fournit aujourd’hui 60 pour 100 du besoin en tomates de l’ensemble du marché palestinien.

Burhan Abu Jaysh, 32 ans, inspecte ses plants de tomates dans l’une des serres installées sur sa terre et il examine méticuleusement chaque branche une par une.

Abu Jaysh a déclaré à MEE :

« Les tomates, c’est très délicat et nous en prenons soin comme si c’étaient des enfants. Nous les inspectons quotidiennement, nous les cueillons et nous les traitons avec les pulvérisations nécessaires. »

La pénurie d’eau a forcé sa famille à passer de la plantation de citronniers à la culture des légumes, surtout des tomates. Ils ont également dû modifier leurs habitudes de culture et se concentrer sur le travail hivernal afin d’utiliser l’eau des précipitations et de cesser complètement de travailler durant les chauds mois d’été et ce, en raison du manque d’eau.

Selon Abu Jaysh, certains fermiers se sont mis à utiliser de l’eau contaminée, vu que l’eau fraîche est indisponible, et cela a endommagé la terre et affaibli sa production.

« Après quelques années, nous ne serons plus en mesure de cultiver de nombreuses espèces, dans notre village, en raison des effets de l’eau contaminée »,

a-t-il conclu.

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Publié le 18 février 2022 sur Middle East Eye
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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