Palestine Action prouve le pouvoir de la ténacité

Les Sept de Bristol, qui font partie de l’organisation Palestine Action, ont récemment échappé à ce qui aurait pu être une sentence bien plus sévère. Ils ont quitté le tribunal librement, avec des suspensions de prononcé pour leur rôle dans des protestations ciblant un fabricant d’armes israélien qui investit en Grande-Bretagne.

 

L'un des Sept de Bristol lors de son arrestation, le 15 mai 2022. (Photo : Palestine Action)

L’un des Sept de Bristol lors de son arrestation, le 15 mai 2022. (Photo : Palestine Action)

lise minerva luxx, 13 avril 2024

Le procès, intenté par Elbit UK, illustre on ne peut mieux la façon dont l’action directe peut faire la lumière sur la complicité britannique permanente dans les crimes de guerre israéliens en Palestine.

Le fait d’échapper à l’incarcération constituait une victoire significative qui aura des conséquences bien au-delà de la salle d’audience du tribunal.

En 2022, pour commémorer la Journée de la Nakba, le 15 mai, neuf activistes ont débarqué au quartier général de l’usine Elbit Systems, à Bristol, aspergeant les murs de peinture, brisant des vitres et pénétrant dans les bureaux afin de démonter ordinateurs et équipement avant de se barricader à l’intérieur du site. Les neuf allaient être emmenés menottés avant d’être accusés de cambriolage et de dégâts criminels.

Leur but était de jeter la lumière sur le rôle d’Elbit dans l’actuel nettoyage ethnique des Palestiniens de leur terre, un nettoyage ethnique qui a débuté avec la Nakba, en 1948, lorsque des centaines de milliers de Palestiniens étaient devenus des réfugiés sans abri avant d’être disséminés dans les pays voisins et dans le monde entier.

Aujourd’hui, le nettoyage ethnique a gagné en vitesse, à Gaza, où, au cours de sa toute dernière agression militaire génocidaire, Israël a tué ou blessé plus de 100 000 personnes et anéanti d’importantes parties des villes, villages et terres agricoles de Gaza.

La section de Bristol d’Elbit UK se situe dans le complexe commercial Aztec West, qui est la propriété du Conseil du Somerset, une autorité locale. Elbit Systems prétend concevoir et manufacturer 85 pour 100 de la flotte des drones militaires et des équipements au sol d’Israël, ainsi que des balles, bombes, munitions et autres armes de haute technologie.

Bazhalel Machilis, le CEO d’Elbit, qui siège au sein du Conseil d’administration d’Elbit Systems UK, s’est vanté du « rôle crucial » joué par sa firme dans l’actuel génocide de l’armée israélienne à Gaza ainsi que de la façon dont l’utilisation sur le terrain de ses équipements a fait grimper les exportations du fabricant d’armes.

 

Une violence pire encore

S’exprimant avant le prononcé au tribunal de la couronne de Bristol, le 25 mars, où The Electronic Intifada était présent, Eliza Sarson-Diment, l’une des sept activistes qui a finalement dû comparaître, avait demandé :

« Quelle violence est pire encore que le massacre systématique d’un peuple ? »

« Une fenêtre, ça se répare. Une vie humaine, on ne peut jamais la ramener »

a-t-elle déclaré à The Electronic Intifada.

« La vie des gens est inestimable, pas la propriété. »

Le procureur de la couronne a cité une déclaration d’Aztec West sur l’impact commercial, qui disait que l’action avait gravement affecté l’usine Elbit et provoqué un accroissement de la sécurité. Des dégâts estimés à 137 000 USD avaient résulté de l’utilisation d’« instruments de violence », a prétendu le procureur.

Un avocat de la défense, toutefois, a insisté sur le fait qu’Elbit était surtout inquiet à propos d’autre chose : les atteintes à sa réputation en raison de la couverture par la presse de l’action qui avait causé de l’agitation au niveau local.

La réalité de ce qui s’est passé à Aztec West a été révélée par les reportages des médias tant nationaux que locaux.

Et les conséquences sont allées au-delà des atteintes à la réputation, chez les personnes dotées d’une conscience, que ce soit au niveau local ou ailleurs.

Suite à l’action de mai 2022, la crédibilité d’Elbit auprès de ses pairs en affaires a souffert. Le 9 mai de la même année, Elbit signait avec le ministère britannique de la Défense un contrat portant sur des formations.

Mais ce contrat de 200 millions de USD était annulé en novembre 2022 pour une question de « normes de souveraineté opérationnelle ».

Le fait qu’à plusieurs reprises des activistes ont forcé l’entrée du quartier général et d’autres sites d’Elbit et qu’ils les ont occupés a manifestement sapé la réputation de la firme, puisque cela a forcé Elbit à faire état de nombreuses failles sécuritaires.

En juin 2023, la firme a perdu un autre contrat avec la marine de guerre britannique, pour une valeur, dit-on, de 150 millions de USD.

En d’autres termes, la campagne de Palestine Action a eu pour résultat de faire d’Elbit un investissement à risque.

Plus que des protestations

Mais il a fallu plus que des protestations pour en arriver à ce stade, a déclaré Paul Shortt, l’un des sept activistes cités à comparaître.

« Je suis écossais, je sais ce qu’est le colonialisme, je sais ce qu’est le vol de terre, et le nettoyage ethnique »,

a déclaré Shortt à The Electronic Intifada juste avant le prononcé.

« Nous y allions de protestations prétendument ‘démocratiques’, qui ne menaient nulle part. L’action directe, c’était la seule façon. »

Avant la campagne de Palestine Action lancée voici quatre ans, le nombre de personnes qui avaient déjà entendu parler d’Elbit Systems était bien plus restreint. L’action à Bristol allait attirer l’attention des habitants locaux sur les manutentions d’armes qui avaient lieu pratiquement à leur porte.

Après l’arrestation des membres du groupe, la campagne en vue du procès avait suscité une grande adhésion, puisque les supporters avaient appris que les activistes avaient été maintenus en détention provisoire avant d’être munis de bracelets électroniques afin de respecter les couvre-feux.

Depuis, l’attention sur Elbit s’est intensifiée du fait que des habitants du Somerset – la région où est situé Bristol – ont de plus en plus d’objections contre la présence permanente d’un fabricant de munitions israélien.

Le mois dernier, une réunion du conseil a été interrompue par des protestataires exigeant que le conseil expulse Elbit Systems du parc commercial Aztec West.

Les protestataires ont prétendu que tant qu’Elbit opérerait dans leur pays, eux, en tant que résidents, seraient rendus complices contre leur gré d’un génocide auquel ils s’opposent avec véhémence.

« Vous avez fait des habitants du Somerset des participants à des crimes de guerre contre le peuple palestinien et nous ne voulons pas que cela se fasse en notre nom »,

a dit quelqu’un lors de la réunion.

Il y a déjà des tensions entre le gouvernement britannique, qui ne cesse de soutenir le génocide israélien, et le public britannique, dont deux tiers veut un cessez-le-feu immédiat à Gaza et 13 pour 100 seulement approuve les actions militaires d’Israël.

Ces tensions sont également manifestes à Bristol. Il y a quelques jours à peine, des activistes ont adressé au conseil un message plus clair encore, aspergeant de peinture l’extérieur des bureaux du conseil et taguant des slogans du genre « Expulsez Elbit » ou « Du sang sur vos mains ».

Deux ans se sont passés, depuis l’action d’Elbit. Les activistes n’auraient pu prédire qu’au moment où ils allaient passer en jugement et affronter leur sentence, la Palestine allait endurer sa seconde catastrophe.

Depuis plus de six mois, les deux principaux partis politiques du Royaume-Uni se sont bousculés pour justifier les horreurs infligées à Gaza. Bien des gens en Grande-Bretagne ont été stupéfaits par l’influence que semble avoir Israël sur la classe politique du pays, particulièrement en Angleterre, et par les tactiques coercitives que le gouvernement britannique a envisagées pour éradiquer la dissension de ceux qui refusent de fermer les yeux sur l’indicible violence d’Israël.

Forger le changement

Toutefois, Palestine Action est très au courant de la tentative d’Israël en vue de réprimer les mouvements étrangers qui menacent ses opérations.

Comme l’a rapporté The Guardian, toute une correspondance mise à jour par le Bureau du procureur général a révélé qu’à l’époque de l’action des Sept de Bristol, l’ambassade israélienne à Londres s’était mise à exercer des pressions diplomatiques afin que soient poursuivis les membres de Palestine Action.

Ceci avait eu lieu à la suite d’une réunion qui s’était tenue entre le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Dominic Raab, et les Israéliens Orit Farkash-Hacohen et Benny Gantz, respectivement ministres des Affaires stratégiques et de la Défense. Il en était résulté que les équipes juridiques des Sept de Bristol n’avaient pas été en mesure de soumettre leur défense, entre autres celle ayant trait à la proportionnalité, reprise dans la Loi britannique sur les droits humains et qui, d’ordinaire, aurait été disponible dans de tels procès.

À un moment donné, l’accusation opposée aux Sept de Bristol a tenté de définir l’action comme étant « motivée religieusement ». Le juge de l’affaire, toutefois, n’a accordé que très peu d’attention à cette allégation, à juste titre, d’ailleurs.

Pourtant, la tentative de présenter l’action de cette façon est apparue comme une conséquence de la recrudescence de l’islamophobie du Parti conservateur au pouvoir et qui s’est donc traduite par une tentative de faire passer l’activisme pro-palestinien pour de l’« extrémisme ».

Au beau milieu d’une surveillance accrue et de pressions juridiques sur les activistes britanniques pro-palestiniens, il est important de maintenir son attention sur les Sept de Bristol qui sont restés engagés dans la cause, malgré des perspectives très réelles d’incarcération.

Aucun des sept activistes n’a renié la cause, lors du procès. Pas plus qu’ils n’ont exprimé de regret pour leur engagement à mettre un terme à la collaboration de la Grande-Bretagne dans la violence du sionisme à l’égard des Palestiniens.

« Notre liberté n’a aucune valeur tant que la machine de guerre continue de fonctionner »,

a déclaré Stavit Sinai – l’une des Sept de Bristol – à The Electronic Intifada, avant le prononcé et, alors qu’elle se préparait au pire, elle a ajouté :

« Nous pourrions aller en prison, mais le pire, c’est la prison que nous portons en nous-mêmes en ne faisant rien alors que nos sœurs palestiniennes se font massacrer. »

En lieu et place, tous les activistes ont évité la prison et leurs sentences ont été suspendues.

Finalement, la pression monte contre Aztec West et Elbit Systems. Les activistes des Sept de Bristol ont mis en lumière la ténacité nécessaire pour forcer le changement, une ténacité qui place le droit d’exiger des embargos sur les armes dans les mains des citoyens ordinaires.

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lisa minerva luxx est une autrice et activiste politique qui vit entre Londres et Beyrouth.

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Publié le 13 avril 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

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