Une firme israélienne a-t-elle contourné l’interdiction de présence à la foire aux armements Eurosatory de Paris ?
L’interdiction de participation israélienne à Eurosatory, la foire aux armements de Paris, constitue une rare cause de joie en ces temps sombres.
David Cronin, 19 juin 2024
« Il n’y a pas que des pays marginaux comme l’Irlande, le Luxembourg, Malte et la Slovénie, qui suggèrent qu’Israël commet des crimes de guerre, mais aussi [la France] la deuxième économie du continent européen »,
fulminait Globes, un journal d’affaires de Tel-Aviv.
Il serait toutefois malavisé de sabler trop le champagne – ou toute autre boisson associée à la fête.
Pour commencer, un tribunal français a rejeté l’interdiction – encore que le verdict soit tombé après le début de l’exposition.
Et, alors que l’interdiction a signifié que le pavillon réservé à Israël accueillerait désormais des cafés, une firme israélienne au moins a selon toute apparence été à même d’installer un stand à Eurosatory. D’après le site internet officiel de l’événement, OIP – la firme en question – participe à l’exposition en tant que société belge.
En agissant de la sorte, la firme se montre caractéristiquement trompeuse. Bien que située en Flandre, OIP est une filiale d’Elbit Systems, le principal fabricant d’armes d’Israël.
La firme OIP, qui appartient à Israël, est reprise comme exposante à Eurosatory.
Évidemment, l’interdiction ne s’applique pas à des firmes d’armement d’autres pays qui travaillent en collaboration étroite avec Israël.
Une nouvelle version du véhicule blindé Ascod est exposée à Eurosatory par Santa Bárbara Sistemas, une société espagnole appartenant à General Dynamics (États-Unis). Certaines composantes du véhicule ont été fournies par les géants israéliens de l’armement, Elbit et Rafael.
Entre-temps, PGZ Group, une firme polonaise, expose un « véhicule d’infanterie de combat » Borsuk qui est équipé de lanceurs de missiles antichars Rafael.
La vigilance est d’une importance vitale
L’interdiction concernant Eurosatory n’efface pas le précédent soutien de la France à Israël. Le mois dernier encore, Stéphane Séjourné, le ministre français des Affaires étrangères, a accueilli son homologue israélien Israel Katz à Paris.
C’est le même Katz qui avait annoncé en octobre que les gens de Gaza
« ne recevraient pas une seule goutte d’eau ni une seule batterie avant d’avoir disparu de la surface du monde ».
L’homme faisait partie des trois dirigeants politiques israéliens dont les commentaires seraient mis en exergue dans la décision préliminaire internationale de Justice (CIJ) qui allait suivre.
La CIJ a estimé que les griefs de l’Afrique du Sud envers Israël, dans le cadre de la Convention sur le Génocide, étaient plausibles. Ce verdict provisoire constitue presque certainement un facteur qui sous-tend l’interdiction d’Eurosatory et les actuelles réticences de certains pays à fournir des armes à Israël.
La quasi-totalité des armes importées par Israël ces dix dernières années provenaient des EU et de l’Allemagne.
Ces dernières semaines, il a été rapporté que l’Allemagne n’envoie plus à Israël ce qu’elle appelle des « armes de guerre », dont des chars et des bombes.
Pourtant, le gouvernement de Berlin passe toujours pour un ami solide d’Israël et de son industrie de l’armement.
Début juin, Olaf Scholz, le chancelier, a d’ailleurs mis un point d’honneur à visiter le pavillon israélien de l’ILA Berlin Air Show.
Même si certaines exportations peuvent avoir été suspendues, l’Allemagne continue d’être une importante cliente de l’industrie israélienne de l’armement.
À peine deux semaines avant qu’il ne qualifie les Palestiniens de Gaza de « bêtes humaines », en octobre, Yoav Gallant, le ministre israélien de la Défense, signait un accord prévoyant de fournir à l’Allemagne le « système de défense par missile » Arrow-3. Le contrat vaut environ 4,3 milliards de dollars.
Ce genre de coopération a lieu au moment où l’Union européenne consent des efforts en vue de concrétiser un objectif à long terme consistant à donner à son industrie de l’armement ce qu’elle qualifie de « turbo boost » (poussée turbo).
Le projet a été accéléré par l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. L’accroissement de la militarisation a été identifié comme priorité par Ursula von der Leyen qui, aujourd’hui, cherche à décrocher un deuxième mandat de patronne de la Commission européenne.
Israël a de fortes connexions avec les fabricants d’armes européens et il a tiré profit de la poussée turbo dans laquelle sont engagés les dirigeants européens.
L’interdiction Eurosatory peut être un signe que la situation a changé. Il reste néanmoins impératif de se montrer très vigilant à l’égard des fabricants d’armes israéliens.
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David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
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Publié le 19 juin 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
Mardi 18 juin, tard dans la soirée, l’organisateur d’Eurosatory, a obtenu la levée de l’interdiction d’accès au salon pour les représentants des entreprises d’armement israéliennes. Trouvez ici le communiqué de Stop Arming Israel, qui relate les péripéties judiciaires concernant l’interdiction, puis l’annulation au moins partielle de l’interdiction de la présence des marchands de mort israéliens à la grande foire des armements Eurosatory à Villepinte (Seine-Saint-Denis). :
Malgré des décisions de justice, une belle claque pour les marchands de mort israéliens