Bien décidés à rester dans le nord

“Nous ne répéterons pas la même erreur que celle commise par nos ancêtres en 1948. Nous ne quitterons pas le nord.”

 

7 juillet 2024. Des Palestiniens ont reçu l'ordre de l'armée israélienne d'évacuer la partie orientale de la ville de Gaza.

7 juillet 2024. Des Palestiniens ont reçu l’ordre de l’armée israélienne d’évacuer la partie orientale de la ville de Gaza. (Photo : Hadi Daoud / APA images)

 

Khuloud Rabah Sulaiman, 24 juillet 2024

Le 7 juillet, Omar Shubaki et sa grande famille ont été forcés de quitter leur maison dans la partie orientale de la ville de Gaza à cause des bombardements sans discernement des avions, chars, drones et quadricoptères israéliens. Omar était resté dans sa maison, en compagnie des 25 membres de sa famille, tout au long des précédentes attaques israéliennes contre le quartier d’al-Daraj. Après les attaques de juillet, ils s’étaient rendus dans le quartier d’al-Rimal, près du siège de l’UNRWA, dans la partie occidentale de la ville.

« J’ai vu des milliers de gens affolés et complètement éperdus fuir dans les rues, sans savoir où aller »,

explique Omar.

« Mais nous étions tous forcés de suivre les ordres trompeurs d’Israël et de faire route vers l’ouest. »

En chemin, Omar a découvert des scènes d’horreur : des enfants qui pleuraient dans les rues, cherchant leurs parents, et des gens qui pleuraient et hurlaient à l’agonie.

Sans relâche, l’armée israélienne a bombardé le quartier d’al-Rimal peu après l’arrivée d’Omar et de sa famille. Ils ont pensé que ç’allait être la dernière nuit de leur existence.

Les explosions constantes illuminaient la maison où ils se trouvaient et qui, toute la nuit, n’a cessé d’être ébranlée. Les éclats passaient si près que Omar et sa famille se sont cachés dans une pièce afin de se protéger. Les femmes et les hommes se blottissaient les uns contre les autres et étreignaient leurs enfants et leurs petits-enfants, qui pleuraient, criaient et récitaient des versets du Coran.

Cette nuit-là, ils n’ont pas dormi : les explosions étaient de plus en plus intenses et se rapprochaient de leur maison.

Quand ils ont essayé de s’en aller, poursuit Omar, les soldats dans les chars leur ont tiré dessus. Ils n’ont pas été touchés mais d’autres autour d’eux tombaient comme des mouches.

Les missiles, quadricoptères et chars israéliens ont continué de s’en prendre aux gens et une espèce de jet militaire d’un modèle qu’ils n’avaient jamais vu a largué des bombes.

« Ils nous ont ordonné de nous rendre dans la zone d’al-Rimal où ils avaient l’intention de nous surprendre par des attaques haineuses et de nous tuer de sang-froid après que nous nous serions tous rassemblés en cet endroit, après avoir été humiliés, déplacés, assoiffés et mourant de faim »,

dit Omar.

Lui et les membres de sa famille ont évité d’être touchés par les tirs israéliens et ils se sont finalement réfugiés dans une école à Jabaliya, au nord d’al-Rimal.

Le lendemain, l’armée israélienne a largué des tracts les enjoignant, eux et bien des autres, d’évacuer vers le sud.

« Israël tente de vider Gaza de sa population, juste pour l’annexer et l’inclure à son prétendu État bâti en 1948 sur nos terres volées et celles volées à la Cisjordanie »,

ajoute Omar.

« Ils ne savent pas que nous ne répéterons pas la même erreur que celle commise par nos ancêtres en 1948. Nous ne quitterons pas le nord. »

Omar a juré de retourner dans sa maison dès que l’armée israélienne se sera retirée.

« Je ne la quitterai pas une nouvelle fois »,

dit-il.

« Nous resterons dans le nord. »

 

Les allées et venues inconnues de la femme et des enfants

Hani al-Helo était en chemin avec sa femme et ses trois enfants vers une école du quartier de Tal al-Hawa à Gaza ; ils venaient d’être forcés de quitter leur maison dans le quartier d’al-Sabra.

Hani dit qu’il a été surpris par l’horrible son des explosions toutes proches et incessantes qui avaient duré des heures ce 7 juillet et avaient été suivies d’intenses tirs d’obus, plus proches encore.

Il dit encore qu’il s’était senti trompé par les affirmations de l’armée israélienne disant que l’ouest de Gaza était sûr.

« Ils nous ont forcés à quitter notre maison et notre quartier que nous n’avions jamais quitté avant cela et ils nous ont piégés ici, dans le quartier d’al-Rimal »,

dit-il, ajoutant qu’il ne se laissera pas humilier par la brutalité de l’armée israélienne.

Hani al-Helo et tous les hommes qui se sont réfugiés dans l’école ont décidé de fuir sans leurs enfants ni leurs femmes.

« Rester dans une école, dans un endroit sous un toit, avec des portes, est bien mieux pour nos femmes que d’être jeté dans les rues sous les bombardements qui ont lieu partout au hasard »,

dit Hani.

« J’ai étreint mes enfants et embrassé ma femme sur la tête »,

dit-il.

Hani craignait d’être arrêté, ce qui aurait privé sa famille de sa seule source de revenu. Après s’être enfui, il est resté dans la rue des journées entières avant de trouver une maison endommagée qui était suffisamment intacte pour servir d’abri à sa famille.

Il a cherché à contacter sa femme afin de lui transmettre l’adresse de leur nouvelle « maison », puisque la présence des chars et des soldats israéliens l’empêchait de retourner lui-même à l’école.

« Je n’avais pas d’autre choix que de lui envoyer un message par téléphone, de lui envoyer l’adresse dans l’espoir qu’elle la verrait et qu’elle arriverait à destination »,

dit-il.

Il n’a pas eu de réponse de sa part et, quand il a finalement été en mesure d’atteindre l’école après le retrait de l’armée israélienne, il n’y a plus retrouvé sa famille.

Hani al-Helo est ennuyé de ce que l’armée israélienne l’a forcé de faire route vers le sud, via des routes supposées sûres où, dit-il, bien des personnes sont tuées par des snipers, attaquées par des chiens de l’armée ou arrêtées.

Mais il doute que sa femme ait obéi à des ordres de descendre vers le sud. Jour et nuit, il prie pour retrouver sa famille.

« Nous nous sommes promis l’un à l’autre que si nous voulions quitter le nord, ce serait pour nous retrouver ensemble au ciel »,

dit-il.

 

Retourner chez soi pour y rester

Muhammad Salman, 25 ans, était traité à l’hôpital al-Ahli quand l’ordre d’évacuation était arrivé le 7 juillet. Cela faisait une semaine qu’il était à l’hôpital pour des blessures subies lors de l’invasion par Israël de Shujaiya, le 27 juin.

Le cousin de Salman l’avait porté sur son dos, puisqu’il ne pouvait pas marcher sur sa jambe meurtrie, jusqu’à un magasin de vêtements fermé, dans le quartier de Tal al-Hawa. Ils s’y étaient abrités durant les attaques israéliennes.

« Nous entendions les immeubles s’écrouler sur les gens qui se mettaient à hurler et, ensuite, les hurlements disparaissaient »,

raconte-t-il.

Les attaques les avaient forcés de quitter le magasin. Peu après leur départ, le magasin avait été anéanti par un missile israélien.

Depuis l’intérieur d’un autre bâtiment, Salman et son cousin ont vu des gens qui s’enfuyaient. Certains tombaient sur le sol, où ils perdaient sans doute tout leur sang jusqu’à en mourir ou pour finir écrasés sous les chars. Leurs corps seraient ensuite dévorés par les chiens ou laissés là à putréfier.

Ils se sont cachés pendant tout un jour dans un bâtiment abandonné. Puis l’armée israélienne a largué des tracts ordonnant aux gens de faire route vers le sud.

« Nous ne faisions pas attention à leurs menaces et sommes allés dans une école du camp d’al-Shati (ou Beach Camp) pour nous y abriter temporairement »,

dit Salman.

« Nous avons vécu dans les pires sortes de souffrances, dans le nord – toutes sortes de pertes, de tueries, d’arrestations, de tortures et d’affamement, ces cinq mois écoulés. Toutes sortes de souffrances… Ce n’était pas pour quitter le nord, maintenant. »

Il dit qu’il a pu retourner à Shujaiya, le quartier où il a passé toute sa vie, après que l’armée israélienne a annoncé son retrait, le 11 juillet.

« Je suis content d’avoir trouvé une chambre habitable dans notre immeuble démoli. Mon cousin et moi avons décidé d’y rester »,

dit-il.

« Nous ne quitterons pas nos maisons, nos quartiers, ni le nord, même si tout était détruit. Nous acceptons de vivre dans leurs décombres. Nous acceptons de nous déplacer d’un endroit à l’autre dans le nord, mais pas en dehors. »

« Nous ne partirons pas du tout, même si cela doit nous coûter la vie. »

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Khuloud Rabah Sulaiman est journaliste et elle vit à Gaza.

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Publié le 24 juillet 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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