L’extrême droite tombe les masques en pleine mascarade juridique israélienne

La venue au pouvoir de l’actuel gouvernement israélien, généralement considéré comme le plus à l’extrême droite de l’histoire de l’État, a permis à des ministres extrémistes d’assumer des positions significatives.

 

6 juin 2024. Bezalel Smotrich, le ministre israélien d'extrême droite, rejoint des dizaines de milliers de juifs ultranationalistes qui s'apprêtent à défiler dans la Vieille Ville de Jérusalem.

6 juin 2024. Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances, rejoint des dizaines de milliers de juifs ultranationalistes qui s’apprêtent à défiler dans la Vieille Ville de Jérusalem. (Photo : Eyal Warshavsky / SOPA Images/SIPA USA)

Mati Yanikov, 5 août 2024

 

Le 19 juillet, la Cour internationale de Justice (CIJ) a publié son avis consultatif à propos de l’occupation par Israël de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza.

La CIJ n’aurait pu être plus claire.

L’occupation est illégale, la présence d’Israël en territoire occupé doit cesser « le plus rapidement possible », Israël est coupable de discrimination raciale « systématique », Israël doit cesser immédiatement toute activité de peuplement et Israël est redevable de réparations aux Palestiniens.

Et on ne parle pas ici des responsabilités juridiques des autres États auxquels il incombe, compte tenu de cette décision, d’agir afin de mettre un terme à la présence illégale d’Israël en territoire occupé, de ne pas accepter le moindre changement physique ou démographique imposé à ces territoires et de cesser toute assistance ou aide qui contribue au maintien de la présence israélienne en territoire occupé.

Cette tâche devient rapidement de plus en plus malaisée, toutefois.

Au cours des semaines qui ont précédé la décision de la CIJ, nombre de plans des ministres israéliens d’extrême droite en vue de saisir plus de terre occupée encore et de modifier le statut des institutions administratives des territoires occupés ont vu le jour.

S’ils sont appliqués, ces plans équivalent à un énorme bond en avant pour l’annexion en cours par Israël de la Cisjordanie et ils accorderaient une marge de manœuvre plus grande encore dans les attaques de colons contre les villages, les propriétés et l’existence même des Palestiniens.

 

« C’est méga-dramatique »

Les pratiques illégales d’Israël en Cisjordanie n’ont évidemment rien de neuf. Mais la venue au pouvoir de l’actuel gouvernement israélien, généralement considéré comme le plus à l’extrême droite de l’histoire de l’État, a permis à des ministres extrémistes d’assumer des positions significatives tournant autour de l’administration des territoires occupés, en influençant considérablement la politique du logement, le travail de police et celui de la réglementation des colonies israéliennes, dont un grand nombre sont illégales, même selon les lois israéliennes.

L’un des personnages les plus importants n’est autre que Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances, qui a profité de l’occasion offerte par le 7 octobre pour aller de l’avant dans les plans du peuplement qu’il s’est chargé de décrire à ses partisans.

Le 9 juin, au cours d’un rassemblement privé de colons juifs dans un avant-poste de colonie au sud de Qalqiliya en Cisjordanie, Smotrich était en quasi-ébullition.

« Je vous le dis, c’est méga-dramatique »,

disait à son public le chef du parti du sionisme religieux, tout en brandissant l’un des plus importants portfolios du pays et en présentant ses plans – bien avancés déjà – prévoyant de transférer l’autorité juridique de la fameuse Zone C (ou 60 pour 100 de la Cisjordanie) de l’armée israélienne à un administrateur civil responsable auprès du ministère de la Défense.

« De tels changements modifient l’ADN d’un système »,

ajoutait Smotrich, qui propose ni plus ni moins que l’annexion complète de tous les territoires occupés.

Ses propos, enregistrés en secret par un membre de l’organisation israélienne de défense des droits Peace Now, sont parvenus au New York Times et ont été ensuite repris par d’autres médias.

« Nous avons créé un système civil séparé »,

a dit Smotrich lors du rassemblement, un système, a-t-il clarifié, qui maintient un rôle pour le ministère israélien de la Défense afin qu’il puisse détourner la curiosité internationale et donner l’impression que l’armée se trouve toujours au cœur de la gouvernance de la Cisjordanie.

Ceci est important afin de présenter l’occupation israélienne comme non permanente, puisque ce serait une transgression manifeste des lois internationales. Pour cette raison, la cour suprême israélienne a longtemps entretenu la fiction évidente selon laquelle l’occupation continue par Israël du territoire de 1967 était « temporaire ».

 

Une couverture juridique

Tant qu’elle est officiellement administrée par des institutions et des fonctionnaires militaires, elle est superficiellement conforme à la Convention de Genève, qui dit qu’une armée occupante peut

« temporairement exercer une occupation militaire là où c’est nécessaire pour des raisons d’autodéfense légale »

et tant qu’un accord de résolution n’a pas été atteint, bien que cette conformité n’inclue en aucun cas des colonies.

L’Administration civile israélienne, qui a été instaurée dans le but de gouverner les Palestiniens de la Cisjordanie occupée, est une institution militaire utilisée pour justifier la légalité d’une occupation militaire « temporaire » vieille de 57 ans.

Transférer cette occupation d’un contrôle militaire à un contrôle civil est par conséquent « méga-dramatique », naturellement, surtout à la lumière de l’avis consultatif de la CIJ du 19 juillet.

Selon plusieurs rapports, Smotrich a déjà désigné un adjoint pour travailler en son nom à l’Administration civile.

Hillel Roth, un colon de Cisjordanie à l’instar de Smotrich, a assumé toute l’autorité concernant la planification, l’immobilier, la mise en vigueur, le transport et la protection environnementale.

Roth n’est pas sous le contrôle de l’actuel chef de l’Administration civile, le brigadier-général Hisham Ibrahim, mais sous celui d’une nouvelle administration créée par Smotrich.

Selon le New York Times, Smotrich a déclaré que le gouvernement avait mis de côté 270 millions de dollars du budget de la Défense pour garder les colonies en 2024-2025.

Tout cela ne laisse à l’Administration civile que très peu d’autorité et modifie la situation de façon significative en transformant sans doute l’annexion rampante de facto par Israël en un territoire israélien de jure.

Certains membres du personnel militaire israélien ont exprimé des inquiétudes à propos de la réaction en Cisjordanie. Le quotidien israélien, Yedioth Ahronoth, a cité « une importante source de la sécurité », restée anonyme, qui s’inquiétait du fait qu’

« il est hautement probable que le camp palestinien aille percevoir cela comme une violation manifeste des accords d’Oslo. Après tout, en Judée et en Samarie [c’est-à-dire en Cisjordanie], l’Administration civile est également responsable d’une population palestinienne en Zone C ».

Lors du rassemblement de colons du 9 juin, Smotrich aurait également expliqué que son premier but avait été d’instaurer sa nouvelle administration en dehors du ministère de la Défense, afin qu’elle soit entièrement sous son propre contrôle, mais qu’il avait finalement changé d’avis, surtout parce qu’il estimait

« que la chose serait plus facile à avaler dans le contexte politique et juridique, de sorte que personne ne pourra dire que nous nous sommes engagés dans l’annexion, la souveraineté, etc. ».

Les plans de légalisation, de réglementation, de budgétisation et d’infrastructure de 63 avant-postes illégaux ont également été annoncés lors de ce rassemblement. Ces avant-postes, construits illégalement, même selon les lois israéliennes, sont installés à des endroits stratégiques afin de perturber les mouvements de la population indigène, de les contrôler et d’empêcher la création d’un État palestinien, et ces intentions, Smotrich les a exprimées très ouvertement, ce fameux 9 juin.

« Nous sommes venus pour peupler la terre, pour y bâtir et pour empêcher sa division et la création d’un État palestinien, que Dieu nous en préserve ! »,

a-t-il dit lors du rassemblement.

 

Un « no man’s land »

Le 27 juin, deux semaines après le rassemblement, les médias israéliens ont rapporté que le gouvernement israélien allait prendre une série de mesures punitives à l’encontre de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.

Ces mesures – y compris la « légalisation » des cinq avant-postes de colonies, l’expansion des colonies, la mise en vigueur de restrictions de bâtir en Zone A (sous contrôle total de l’AP) et des sanctions contre certains hauts responsables de l’AP, dont la limitation de leurs déplacements et l’interdiction de se rendre à l’étranger – ont été imposées à la suite de l’annonce un mois plus tôt par la Cour pénale internationale (CPI) que ses procureurs allaient requérir des mandats d’arrêt pour le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense Yoav Galant, de même que la reconnaissance d’un État palestinien par nombre de pays européens.

« Telle est notre réponse », a déclaré Smotrich, à la suite des sanctions annoncées :

« Nous avons dit il y a un mois que, chaque fois qu’un pays reconnaîtra unilatéralement un État palestinien, nous allons établir en Judée et en Samarie une colonie en son nom. Cinq États ont commis cette erreur et, maintenant, nous avons établi cinq colonies. »

Smotrich n’est pas le seul ministre d’extrême droite à faire jouer ses muscles en Cisjordanie occupée.

Fin juin, un article du Yedioth Ahronoth décrivait la Cisjordanie comme un « no man’s land », après la désignation d’Itamar Ben-Gvir, un autre politicien israélien d’extrême droite, chef du parti kahaniste Force juive, comme ministre de la sécurité nationale.

Sa position lui confère, entre autres choses, l’autorité sur la police.

L’article se poursuit en prétendant que la police israélienne en Cisjordanie – qui est responsable de l’application de la loi aux colons juifs de la zone – rechigne à enquêter sur les crimes de haine, de façon à ne pas indisposer Ben-Gvir.

L’article rapporte aussi que Ben-Gvir intervient dans les enquêtes sur le terrorisme juif et il explique les tensions croissantes entre les trois principales agences sécuritaires dans les territoires occupés : la police, l’armée et le Shin Bet, l’agence israélienne de renseignement intérieur.

Non seulement la police refuse d’enquêter sur les incidents de fusillades mortelles par les colons, elle craint également d’entrer dans les colonies avec des mandats d’arrêt et, parfois, elle laisse tout simplement les colons suspects agir sans la moindre restriction.

Ceci correspond à une réalité sur le terrain qui a été établie longtemps avant la nomination de Ben-Gvir. Pour les Palestiniens en Cisjordanie, la distinction entre « militaire » et « civil » n’existe plus depuis des décennies, et un très bon exemple de la chose, ce sont les pogroms réguliers dont souffrent régulièrement les villageois et les citadins de Cisjordanie des mains des prétendus « jeunes des collines » et des colons extrémistes, souvent sous l’œil vigilant des militaires.

Ce qui diffère cette fois, c’est que l’État ne semble même pas se soucier de présenter un semblant de procédure régulière.

 

Les rivalités

Ce que cela révèle également, toutefois, c’est que l’élite israélienne au pouvoir n’a rien de monolithique. Il y a de nombreuses luttes de pouvoir au sommet des diverses agences sécuritaires à propos de la gestion correcte du pouvoir d’apartheid d’Israël.

Comment se fait-il que « pas un seul juif radical » n’a été arrêté, aurait demandé Netanyahou à ses responsables de la sécurité au cours d’une réunion récente concernant un incident en avril qui s’était soldé par l’homicide de deux Palestiniens en Cisjordanie.

« Les Américains se montrent pressants », aurait-il dit.

Aucune charge n’avait été déposée à la suite de l’événement et le commandant militaire de cette zone de la Cisjordanie occupée avait ouvertement interrogé le commandant de district de la police de Ben-Gvir, au cours de la réunion portant sur la façon dont avait été menée l’enquête. Il avait trouvé cela « intéressant ».

Mais, alors que de telles prises de bec suggèrent des frictions au sein même de l’élite sécuritaire israélienne – et alors que les propos mêmes de Netanyahou suggèrent qu’Israël ressent une véritable pression de la part d’une administration américaine désespérée de montrer qu’elle fait réellement quelque chose – cette friction est en fait maintenue dans des limites très étroites.

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite israélienne sert le but consistant à opérer une distinction entre les mesures israéliennes officielles et « les extrémistes ». .Ceci aide au blanchiment des atrocités israéliennes derrière une façade de légalité, tout en laissant intentionnellement le sale boulot aux marges extrémistes de l’État même, créées en encourageant et en finançant le projet illégal de peuplement.

Mais ces marges extrémistes ont trouvé leur chemin vers le pouvoir officiel et le mainstream. Le monstre que l’État a créé a échappé à son contrôle. Comment conserver cette façade ?

Les diverses réactions en Israël à la prise de pouvoir par les marges extrémistes constituent réellement une indication qu’il y a une faille croissante dans la société israélienne sur la façon de gérer au mieux l’apartheid, l’occupation, le colonialisme de peuplement et le génocide.

Les personnes engagées dans une approche légaliste font surtout partie des establishments juridiques et sécuritaires, et du mouvement social « pro-démocratique » de la classe moyenne, dont une des dirigeantes, Shikma Bresler, a fait savoir bien explicitement que la priorité était de protéger les soldats israéliens des tribunaux internationaux.

Pour ces élites, une apparence de pouvoir de la loi doit être sauvegardée à tout prix.

Par ailleurs, l’extrême droite est engagée dans l’action directe. Des personnages puissants comme Smotrich et Ben-Gvir entendent bien prendre des décisions risquées qui modifieront le statu quo juridique des territoires occupés afin de pouvoir continuer le sabotage physique de toute opportunité d’un futur État palestinien.

Et ils ne constituent plus une marge, comme en témoignent les nombreuses conférences et marches bien achalandées exigeant la relance des colonies de peuplement israéliennes à Gaza.

Au moment où les masques tombent, Israël – et tout le Moyen-Orient avec lui – fait route vers un avenir incertain. Il devient de plus en plus malaisé pour « l’ordre mondial basé sur des règles » de continuer à assurer l’impunité d’Israël.

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Mati Yanikov est un activiste anti-colonialiste qui vit à Haïfa.

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Publié le 5 août 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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